Le sort de la force Barkhane ne tient plus qu’à un fil. La France a déjà promis de réduire le nombre des soldats engagés. Avant de se jeter dans la bataille électorale en France, Emmanuel Macron peut se désengager de cette guerre qu’il a héritée de François Hollande.
Avant le sommet G5/France de Pau, les opinions sahéliennes voulaient le retrait de Barkhane. Un an après, ce sont celles de France qui ont ce désir brûlant. Pourquoi les opinions publiques, principalement des trois pays (Burkina, Mali, Niger) qui paient le plus lourd tribut à cette guerre étaient tant remontées contre la force Barkhane et la France, il y a un an ? Le sommet de Pau, suscité par cette fronde, a essayé de recoller les morceaux de l’alliance G5/ France, qui éclatait sous la pression des sociétés civiles et du comportement « méprisant » du président français envers ses « partenaires », les cinq chefs d’État des pays du Sahel, qui ont alors été convoqués comme des laquais à Pau pour s’expliquer sur ce que leurs peuples veulent. Cette bourde diplomatique élyséenne n’a pas arrangé les choses ; elle a mis de l’eau au moulin anti-impérialiste français au Sahel. Pau a-t-il changé les choses entre la France et ses alliés du G5 ?
Un an après Pau, c’est l’opinion française qui ne veut pas de cette guerre, et ne veut plus voir ses fils mourir au Sahel. La France va se retirer, si ce n’est pas dans quelques mois, ce sera sans doute après l’élection présidentielle française. Nos patrons de la sécurité et de l’armée ont-elles inscrit ce scénario sur leurs tablettes ? Le G5 a-t-il enfin reçu les équipements nécessaires ? Les carences matérielles et humaines de nos forces de défense et de sécurité sont-elles comblées ?
En décembre 2019, début janvier 2020, les attaques des groupes armés contre le Niger, le Mali et le Burkina étaient nombreuses et les dépouilles des soldats morts au front n’étaient plus ramenées dans les capitales pour des funérailles nationales. C’est ainsi que des cimetières militaires sont créés dans les capitales régionales des zones confrontées au terrorisme au Burkina. Les parents des soldats morts sont invités à ces enterrements qui n’étaient plus médiatisés, car les populations étaient de plus en plus en colère contre cette guerre et le dénuement des soldats face à l’ennemi.
Ressentiment anti forces françaises
La situation était des plus catastrophiques au Mali et au Burkina qui sont devenus respectivement 11e et 12e dans le classement du GTI2020 (Global terrorisme index) qui mesure le nombre de victimes de l’année précédente et l’impact du terrorisme sur le pays. Par rapport à l’année 2018, le Mali a « gagné » deux rangs et le Burkina 15 places de progression dans l’enfer. Avec une telle dégradation de la situation sécuritaire, la colère grondait dans la population et les organisations de la société civile se demandaient pourquoi cet état de fait. Quelles sont les causes de cette débâcle, face aux groupes armés insurgés et djihadistes qui travaillent ensemble contre les États défaillants des deux pays ?
Le Niger dans le même classement se retrouvait très loin de ses deux voisins de l’ouest, à la 24e place et avait reculé de deux rangs, c’est-à-dire que la situation s’améliorait. Le 10 décembre 2019, il connaîtra l’attaque la plus meurtrière contre une garnison militaire, celle d’Inates dans la région de Tillabery, non loin de la frontière du Mali et du Burkina qui fera 71 morts et plusieurs personnes disparues. Les combats auraient duré des heures et les soldats nigériens n’ont bénéficié d’aucun appui, ni de leurs frères d’armes nigériens, ni de Barkhane, ni des soldats américains présents au Niger. Cette bataille a frappé les esprits et soulevé beaucoup de questions !
Le Burkina Faso avait connu un scénario similaire plus tôt, en aout 2019 avec l’attaque de la garnison militaire de Koutougou qui fera 24 morts et a laissé une grande blessure morale dans le pays, avec le chef de file de l’opposition Zéphirin Diabré qui a demandé la démission du gouvernement. Une manifestation aura lieu au camp Guillaume Ouédraogo par des soldats mécontents du dénuement de la troupe envoyée au front : manque d’armes, manque de vivres, de médicaments et d’eau, avec les pertes en vie humaines qui démoralisent la troupe. Surtout, selon les soldats, qu’une alerte les informait de cette attaque et elle n’a pas été prise au sérieux par l’encadrement. L’armée burkinabè va subir un revers dans le Soum suite à cette attaque et abandonnera plusieurs postes militaires.
Le Mali qui est l’épicentre de la crise va connaître aussi des difficultés dont la prise du poste militaire d’Indelimane en novembre 2019 avec 49 soldats tués.
Le rappel de ces épisodes douloureux de l’année 2019 vise à montrer que les armées n’étaient pas en capacité de défendre l’intégrité des territoires pour de multiples raisons. Les conséquences de ces défaites sur l’opinion seront une grande campagne contre la présence des forces étrangères et de la France au Sahel. L’opinion sahélienne avait surestimé l’importance de la supériorité technologique dans la lutte contre le terrorisme et pensait que la force Barkhane avait la solution miracle pour débarrasser les pays sahéliens des groupes armés terroristes. Ne voyant pas ce résultat venir, des artistes comme Salif Kéita, des cinéastes comme Cissoko, des organisations de la société civile comme l’ODJ (Organisation démocratique de la jeunesse), le Balai Citoyen vont réclamer le départ de la France et de ses soldats. De multiples diatribes auront cours sur les réseaux sociaux sur le « double jeu », les visées impérialistes sur les richesses minières de la zone en conflit dans les trois pays ; ce qui aura le don d’énerver intensément le président français, Emmanuel Macron.
Les soldats français ne sont pas des tirailleurs sénégalais
Un an après, les mêmes causes produisent les mêmes effets, mais cette fois en France. L’année 2021 démarre très mal pour la Force Barkhane qui subit trois attaques et perd en une semaine cinq soldats, atteints par des engins explosifs improvisés, alors que la moyenne des décès des troupes françaises à l’extérieur est de 6 morts par an. Ces décès de début janvier portent le total des victimes militaires françaises au Sahel à 58 depuis l’opération Serval en 2013. Ce qui augmente l’émoi dans l’opinion française, c’est que 2019 avait été horrible pour la France avec 17 morts dont 13 lors d’un accrochage aérien entre deux hélicoptères qui se sont crachés.
Aussi, les appels « à ne pas s’ensabler », les conseils selon lesquelles cette guerre au Sahel ne peut pas être gagnée par des troupes occidentales se retrouvent dans les organes de presse. Le désamour populaire de cette guerre est exprimé par un sondage où la moitié des sondés s’opposent à l’opération française au Mali. Alors qu’en février 2013, 73% des sondés étaient pour l’opération Serval, et ses « bravekiè » qui avaient stoppé les pickups des groupes armés fonçant sur Bamako et avait libéré Tombouctou.
« Troupes françaises hors du Sahel », crient à l’unisson à un an d’intervalle les populations sahéliennes et françaises. On peut se demander ce que la rencontre de Pau a pu bien apporter comme solution aux difficultés du terrain, à part calmer la crise de nerfs de part et d’autre. On sait que les protagonistes (G5 et France) ont dit s’être entendus, avoir clarifié le cadre politique de l’intervention, redéfini les objectifs. La France espérait ne plus être seule dans cette histoire avec une force européenne Tabuka qui n’est pas encore en place. Et le rôle de gendarme est de moins en moins agréable, si au lieu d’être celui qui arrête les méchants, on est la cible et une cible vulnérable. C’est pourquoi la France va quitter le Sahel car son opinion n’est pas prête à payer le prix des soldats français qui meurent au Sahel. Les citoyens français ne veulent pas que leurs fils et filles, leurs frères et sœurs, servent de chair à canon au Sahel. Les militaires français ne sont pas des tirailleurs sénégalais. La guerre en occident est vue de plus en plus comme dans les jeux vidéo, avec zéro victime, et les morts seulement dans le camp ennemi ; c’est pourquoi l’utilisation de la technologie (drones, avions…) prend de plus en plus d’ampleur.
En finir avec le G5 et mobiliser la CEDEAO
Le G5 semble une coquille vide qui attend toujours les équipements militaires. Il est comme la plupart des regroupements nationaux, une usine à séminaires et réunions. Quand la force Barkhane sera partie, il faudra s’attendre à une intensification des attaques des groupes armés. Nos militaires doivent se préparer à des moments difficiles. Il faut qu’on accepte de compter sur nos propres forces pour gagner cette guerre.
D’abord dans chaque pays, restaurer l’autorité de l’État et le réinstaller dans les territoires abandonnés de l’Est, du Nord, du Centre nord, du Sahel, de la Boucle du Mouhoun si on prend l’exemple du Burkina. C’est une des conditions pour le retour des personnes déplacées. Le président Roch Marc Christian Kaboré a promis un redécoupage territorial qui est une piste. Il faudra aussi des mesures d’accompagnement pour les fonctionnaires qui seront envoyés aux avants postes pour la reconquête et l’occupation du pays. Rien que pour cela, la remise à plat des rémunérations de la fonction publique se justifie. Pourquoi verser des rentes de situation en fonds spéciaux à des catégories de fonctionnaires alors que le pays risque de disparaître si rien n’est fait, et que l’on ne change pas de vision. Mais une réforme ne se fait pas sans débats et sans écoute des différentes parties. Et il faut rompre avec cette habitude des chefs qui s’attaquent aux privilèges des petits, sans rien céder des leurs qui sont plus importants.
Il faudra que les pays du Sahel convainquent les pays côtiers de la CEDEAO de les soutenir. La stratégie des groupes armés, notamment Al Qaeda et l’État islamique au grand Sahara, c’est de partir des maillons faibles pour gagner. Ils ont occupé les zones abandonnées du Mali, du Burkina et du Niger et progressent pour prendre ces pays totalement. Si c’est fait, ce sera le tour des pays côtiers. Ne pas voir cela, c’est faire la politique de l’autruche. Et certains pays comme le Togo, par opportunisme, exporte l’or que ces groupes armés exploitent au Sahel ; c’est une grosse erreur que le Burkina avait faite et qu’il paie aujourd’hui.
Si l’ensemble de la CEDEAO considère le terrorisme comme un problème régional, on peut obtenir des succès. Il est vrai que notre communauté est très impactée par le terrorisme avec le pays le plus riche et le plus puissant, le Nigeria, qui est classé 3e dans l’index GTI. La solution de nos problèmes doit venir de nous et non de l’étranger, qui nous laissera tomber si ses intérêts sont en jeu. Il faut que les dirigeants africains sortent de leur mentalité de colonisés, de néo-colonisés et réfléchissent pour les intérêts de leurs peuples. Ils nous feraient honneur en allant au Tchad pour la prochaine réunion des chefs d’État du G5 avec une solution alternative, au lieu d’attendre que le ciel leur tombe sur la tête.