La Cité des Askias, Gao, comme toutes les autres localités du Mali, a voté massivement au 1er et au 2ème tour de la présidentielle. A l’annonce des résultats du deuxième tour nous y étions. Nous avons échangé avec certains cadres de l’administration. Les attentes sont grandes…et le chantier vaste.
La ville de Gao
La ville de Gao
Gouvernorat : la difficile reprise de service
Le Général Mamadou Adama Diallo, Gouverneur de Gao, se souvient toujours de ce jour où il l’a échappé belle : «lors de l’attaque de Gao, nous avons eu beaucoup de chance. Mon véhicule de commandement, dont j’avais perdu la trace depuis longtemps, a été utilisé pour transporter certains militaires blessés…Avec mon Cabinet, nous avons décidé de monter à bord d’un véhicule, mais c’était chaud, très chaud. Nous étions sous les obus des assaillants, mais Dieu merci, nous avons eu la vie sauve». Il faut reconnaître que, plus que les autres grandes agglomérations du Nord Mali, Gao a été celle qui a subi plus de dégâts. D’abord envahie par les rebelles du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA), le 24 mars 2012, la Cité de Askias a enregistré une arrivée massive, dès avril 2012, de nombreux islamistes de toutes couleurs (Ansar Dine, AQMI, Boko Haram, Ansar Al Charia, MUJAO). Trois mois plus tard, c’était le clash entre les islamistes-trafiquants de drogue et les bandits du MNLA. En effet, la bataille de fin juin 2012 a laissé des traces indélébiles dans la ville. La bataille, selon les habitants de la ville que nous avons plusieurs fois rencontrés, a fait plus de morts que toutes les confrontations que Gao a connues. Et les édifices publics en ont pris un sérieux coup.
Dans une villa que le gouvernorat a prise en location, au huitième quartier, le Chef de l’exécutif manque presque de tout. Dans son bureau, ce sont quelques chaises collectées, ici et là, qui meublent l’espace. C’est aussi la salle de réunion de toute la région. Il y a quelques temps, le Gouverneur a bénéficié de l’électricité 24 heures sur 24. «Il nous faut des moyens pour que la région redémarre normalement. Depuis le temps colonial les habitants de Gao et même les Maliens, qui sont de passage, s’identifient à la résidence et aux bureaux du Gouverneur. Aujourd’hui, nous ne sommes pas à mesure de déménager dans nos locaux, car ils sont dans un état de délabrement total. J’espère que le nouveau président élu pensera à nous afin que nous puissions travailler dans les conditions optimales». Des conditions optimales de travail pour le gouvernorat et les autres services de l’Etat, Gao en a besoin. Car, si le Gouverneur bénéficie d’une grande salle, où il s’est casé seul, son Directeur de Cabinet partage le même bureau avec le Conseiller aux Affaires administratives. Les huit secrétaires, elles, sont entassées dans une minuscule salle.
Toutes ces insuffisances ne découragent, cependant, pas le Général Mamadou Adama Diallo : «Nous devons travailler dans ces conditions dures afin que la ville et la région vivent. Je savais que cela ne serait pas facile et je suis venu avec toute mon équipe. Ensemble et avec l’aide des populations, nous relèverons tous les défis», affirme-t-il.
Police : avec les moyens de bord
Toute la région de Gao, l’une des plus grandes au Mali, ne compte que 85 agents de police. L’ahurissante information nous a été donnée par le Directeur régional de la police, le Contrôleur général Nia Coulibaly. Celui-ci nous a d’ailleurs confié que «c’est à cause de la crise que ce nombre a été relevé à 85. Le nombre n’ayant jamais dépassé 72». A côté de cet effectif insuffisant, la police de Gao ne dispose presque d’aucun moyen de travail. A part les quelques armes mises à leur disposition. Pour tout, elle n’a qu’un seul véhicule de service que les patrouilles et les éléments d’autres missions qui lui sont dévolues doivent se partager. Or, actuellement dans la ville, le banditisme a refait surface avec les vols de tout genre. «Nous avons des problèmes d’insécurité dû au manque d’électricité. Il nous revient chaque jour des cas de vol et de cambriolage chaque jour. Mais nous restons impuissants, car nous somme limités. Nous n’avons qu’un seul véhicule. C’est dur de travailler dans ces conditions, mais nous sommes confiants et savons que bientôt, les mesures seront prises pour que nous travaillions normalement».
Entre l’ancien poste de police, le bâtiment administratif le plus dévasté de Gao, et les locaux provisoires qu’occupe le Directeur régional et ses collègues, il n’y a pas une grande différence : pas d’électricité, peu d’eau, peu de commodités. Dans le bureau, deux petite chaises de maison, un semblant de table et de chaise de bureau. Pour se donner souvent un peu d’air et avoir les dernières nouvelles à la télé, les policiers allument un générateur poussif, pendant quelques minutes. Dans la cour chaque agent de police se démerde comme il peut pour s’asseoir. On est en plein dans le système D. «On passe plus de temps sous les arbres que dans les bureaux. Il fait chaud et nous n’avons pas d’électricité pour mettre les ventilateurs en marche», de souligner un policier.
CAP de Gao : toujours la débrouille
Mme Touré Ouleymatou Maiga, Directrice du Centre d’Animation Pédagogique (CAP) de Gao n’a pas sa langue dans la poche. En septembre 2012, alors que les islamistes occupaient Gao, elle s’est mise à sensibiliser les populations pour ne pas laisser les enfants rejoindre les rangs des djihadistes. Ce faisant, elle s’est employée à les envoyer à l’école. Pour cette action, elle a reçu des remontrances de la part des fanatiques. Au même moment, elle se battait pour que l’école de Gao reste à flot. Avec l’aide quelques bonnes volontés et même celle des radicaux (le fait est rare pour être souligné). Lorsque nous l’avions rencontrée, elle n’avait plus de bureaux, pas de budget de fonctionnement, pas de véhicule…même pas un stylo pour écrire et squattait dans un lycée de la place. Mais, son verbe, lui, était combatif : «J’ai l’impression que le Mali a oublié l’école de Gao et surtout celle de tout le nord de notre pays. Il faudra un jour que les dirigeants de ce pays rendent des comptes. Nous manquons de tout et personne ne veut comprendre que nous sommes capables de continuer à travailler». De retour à Bamako, lors d’une conférence de presse improvisée, après la parution de notre reportage, le ministre de l’Education nationale d’alors, Adama Ouane, avait menti en affirmant que «les mesures étaient prises pour doter l’école de Gao en moyens adéquats». On sait désormais ce que ces paroles sont devenues. Rien…que du vent !
Il y a quelques jours, nous avons rencontré Mme la Directrice du Cap, chez elle. Elle travaille toujours assez intensément. Elle reçoit ses collègues jusqu’à des heures tardives pour des séances de travail. Mais, les conditions restent toujours «précaires». «Nous manquons de tout. Ce sont les mêmes conditions que pendant la période des islamistes. Sauf que nous sommes libres de parler et de travailler librement. Il faut que l’administration nous remette à l’école. Il faut que les nouvelles autorités choisissent des gens qui ont l’amour du travail, de l’école malienne. Il ne faut pas nommer le ministre de l’Education par amitié ou simplement par sympathie politique. Si on ne sort pas de ce système de copain-copain, l’école malienne restera dans un trou noir pour longtemps».
La Directrice, qui a dans sous sa responsabilité plus de 200 écoles, effectue toujours les missions avec son véhicule privé. Elle continue à organiser le travail, tant bien que mal. «Voilà des Maliens qui méritent des décorations et des promotions à des grands postes de responsabilité. Elle ferait une très bonne ministre de l’Education», a commenté un haut gradé de l’armée malienne, lors d’une cérémonie à laquelle nous avons assisté. Avant de conclure «…mais au Mali, ce sont les médiocres qui sont promus à des postes de responsabilité».
Paul Mben, envoyé spécial