SociétéSega Diarrah, président de BI-TON, politologue et consultant : « La transition en cours nécessite une correction. Il faut une vraie conférence nationale »
Selon Séga Diarrah, politologue et consultant, président de BI-TON, la transition doit être une opportunité pour les Maliens de poser les fondements d’une réconciliation nationale et d’une refondation du Mali. C’est pourquoi, propose-t-il, une relecture de l’Accord s’impose pour garantir la paix et la réconciliation à travers une conférence nationale. Dans son analyse, il révèle que Barkhane est perçue comme une force d’occupation, car « n’ayant pas d’agenda clair de retrait et encore moins d’objectifs quantifiables ». Alors, conseille l’expert, il est indispensable pour elle d’avoir un plan de retrait du Mali. « Ce plan doit prévoir un transfert des zones sous contrôle français aux forces armées maliennes de sécurité ».
Mali Tribune : Que pensez-vous de la gestion de la situation sécuritaire du pays par la transition ?
Séga Diarrah : Nous constatons que malgré la mainmise de l’armée sur tous les postes clés de l’administration, le nombre d’incident sécuritaire n’a pas diminué en comparaison à la même période de l’année dernière. Contrairement à l’année dernière, les écoles de cette année sont fortement menacées dans la zone Office du Niger, des centaines d’hectares de riz ont été brûlés par des groupes terroristes. D’autres villes, à l’instar de Farabougou, sont toujours sous embargo terroriste. Il n’y a pas d’amélioration visible de la situation sécuritaire depuis le renversement d’Ibrahim Boubacar Keita.
Mali Tribune : Cette semaine, le Président de la transition Bah N’Daw s’est rendu à Paris où il a rencontré le Président français, Emmanuel Macron. Quelle analyse faites-vous de cette visite ? Que peuvent être les retombées pour le Mali ?
D. : Le Président Bah N’Daw est à Paris à la demande du Président français Emmanuel Macron. Il s’agit visiblement pour Paris de s’assurer du soutien de la junte au pouvoir pour la continuité de l’opération Barkhane contre laquelle des voix s’élèvent à Bamako et à Paris pour demander son retrait. Paris veut également s’assurer de l’adhésion de la junte à la nouvelle stratégie sahel que le Président Macron proposera à ses pairs pendant le sommet de Ndjamena au Tchad. Même si cette visite n’aura aucun impact sur la vie du Malien lambda, elle est le signe d’une reconnaissance des pouvoirs de la junte vis-à-vis de Paris.
Mali Tribune : Récemment certaines voix se sont levées contre la présence de l’armée française au Mali et dans le Sahel, êtes-vous pour ou contre ? Pourquoi ?
D. : Je pense que la politique menée par la France au Mali ne peut plus continuer dans sa forme actuelle. Le statuquo dans la gestion de la ville de Kidal pose un problème de souveraineté. En réalité, cette ville est l’épicentre de la crise dans le nord et le centre du Mali. Un sanctuaire pour les trafiquants d’armes, de stupéfiants et d’Homme. Après 7 années de présence de la force française au Sahel, le terrorisme ne s’est jamais porté aussi bien qu’aujourd’hui dans cette région. C’est pourquoi les Maliens ont compris qu’ils ne veulent plus compter sur cette présence de forces françaises pour lutter contre le terrorisme et le grand banditisme. Barkhane est perçue comme une force d’occupation, car n’ayant pas d’agenda clair de retrait et encore moins d’objectifs quantifiables. Alors oui, il est indispensable pour Barkhane d’avoir un plan de retrait du Mali. Ce plan doit prévoir un transfert des zones sous contrôle française aux forces armées maliennes de sécurité.
Mali Tribune : Un mouvement «anti-mise » en œuvre de l’Accord pour la paix est en gestation. Trois mouvements de jeunes appellent à s’unir contre l’engagement de la transition dans la mise en œuvre de l’Accord, soutenez-vous cette initiative ?
D. : Je soutien toute initiative citoyenne pour la défense de la souveraineté et de l’intégrité du territoire national. Je pense que les jeunes ont raison de tirer sur la sonnette d’alarme. La gestion du pays par les nouvelles autorités de la transition n’est guère rassurante.
Mali Tribune : Quelle analyse faites-vous de l’Accord ?
D. : A la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, le contexte militaire et politique nous était défavorable. Cet accord est ainsi entériné et légalisé par la communauté internationale sous l’influence française à l’ONU doit faire face à une opposition de la majorité des Maliens.
Je vois l’accord d’Alger comme une décision prise en pleine guerre, par des diplomates sous pression qui agissent dans l’urgence et ignorent souvent ce qui se décide dans le bureau d’à côté.
L’accord d’Alger est la concrétisation de la politique française au Sahel qui consiste à laisser les Touaregs minoritaires gouverner le nord du Mali au détriment de la majorité. Cette politique de Touareguisation avait eu son précédent pendant la guerre d’Indochine avec la création de l’État vietnamien de Saïgon et son « Armée nationale » dans laquelle furent formés les « généraux » de Saïgon qui succédèrent à Ngô Đình Diệm.
L’accord d’Alger est à la base de nouvelles atrocités depuis sa signature en 2015. Le fait de prévoir que les groupes armés signataires, placés au même niveau que le gouvernement, bénéficient d’une impunité totale, malgré leur rébellion et les exactions commises, plusieurs autres groupes ont vu le jour notamment les autres factions touarègues restées loyales à l’Etat malien et les communautés non touarègues à se venger, en se faisant justice elles-mêmes
L’accord d’Alger ne peut être une réponse à la crise au nord du Mali car il ne traite pas les causes de la rébellion.
Mali Tribune : Vos propositions pour une sortie de crise ?
D. : Cette transition doit être une opportunité pour les Maliens de poser les fondements d’une réconciliation nationale et d’une refondation du Mali. C’est pourquoi il est indispensable d’avoir une relecture de l’accord pour la paix et la réconciliation à travers une conférence nationale. Ce processus doit inclure les protagonistes de la crise au centre du Mali. La communauté internationale doit accompagner le Mali dans cette quête de solution locale interne, qui aboutira à la fin de l’impunité et à la mise en place d’institutions crédibles. Ainsi, on pourra doter notre pays d’une nouvelle constitution qui reflétera les aspirations des Maliens, ainsi que d’un organe unique de gestion de la transition. En outre, cette transition doit également marquer une rupture avec l’ancien système, en engageant des poursuites judiciaires contre ceux qui ont détournés les deniers publics.
Mal Tribune : Votre point de vue sur le front social, la reprise de l’école, la lutte contre l’insécurité à Bamako et dans les autres régions du pays ?
D. : Les syndicats sont dans leurs droits de demander une amélioration des conditions de travail et de rémunération de leurs membres. Il s’agit pour la plupart, des revendications déjà acceptées par les gouvernements précédents.
Les premiers pas de la transition étaient de nature à affaiblir certains grands syndicats au détriment de syndicats autonomes.
Il s’agissait donc d’un rapport de force qui a beaucoup affaibli le pouvoir de la transition. Le gouvernement a donc tout intérêt à trouver un terrain d’entente avec les plus grands syndicats pour éviter de nouvelles grèves générales qu’il ne pourra plus supporter.
La reprise de l’école est une bonne nouvelle. Garder les enfants à la maison est un luxe que le Mali ne peut pas se payer. Les mesures proposées pour accompagner cette reprise des classes sont salutaires. Le gouvernement doit encore accentuer davantage ses efforts sur la sensibilisation et l’accompagnement des différents établissements scolaires dans le respect des gestes barrières et le port de masques.
L’insécurité dans nos grandes villes est la conséquence de la prolifération des armes liée au conflit au centre et au nord du Mali. C’est aussi la conséquence des différents détournements opérés dans le domaine de la sécurité pendant les 5 dernières années. Nos forces de l’ordre sont à bout de souffle, les caméras de vidéosurveillance défaillantes installées à coup de milliards à travers la ville de Bamako sont une belle illustration de la gangrène de cette corruption. Un audit des contrats passés est indispensable avant d’envisager de nouvelles solutions.
Mali Tribune : Un dernier mot ?
Séga Diarrah : Après avoir organisé un simulacre de « Concertations », adopté une Charte de la Transition rejetée par les principaux participants auxdites Concertations, imposé un Président de Transition dans une mascarade de consultation dénoncée par ceux-là mêmes convoqués à cet effet, les putschistes viennent de boucler la boucle en désignant un Conseil national de Transition qui sera à leurs bottes.
Je lance un appel de vigilance à tous les Maliens à travers Mali Tribune, la transition en cours nécessite une correction. Elle doit prendre en compte les aspirations du peuple malien.