Les djihadistes au Sahel «réfléchissent» à des attaques contre des cibles européennes: L’avertissement vient du directeur de la DGSE. Est-il à prendre au sérieux? Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, fournit des éléments de réponse à Sputnik.
«Depuis le Mali, ils [les terroristes] ont travaillé à des attaques contre nous, contre nos partenaires, ils réfléchissent à des attaques dans la région et en Europe.»
Les prises de paroles publiques du directeur de la direction générale des renseignements extérieurs (DGSE) sont rares. Lorsque Bernard Émié alerte sur les intentions de groupes djihadistes sahéliens de commettre des attentats sur le sol européen, le choc n’en est donc que plus grand. En particulier lorsqu’il est entouré de Florence Parly, ministre des Armées, et du Chef d’État-Major des armées, le général Lecointre à l’occasion d’un «comité exécutif» consacré au contre-terrorisme, qui se tenait sur la base aérienne d’Orléans-Bricy.
En entretien avec Sputnik, Alain Rodier juge pourtant peu probable ce scénario d’attentat terroriste commandité depuis le Sahel. L’ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français et directeur adjoint du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) affiche son scepticisme:
«D’après moi, les groupes djihadistes au Sahel n’ont ni les capacités ni la volonté de le faire. Une attaque de l’un de ces groupes sur le sol français engendrerait une réaction à mon avis brutale, qui serait contre-productive pour le ou les groupes qui décideraient de mener de telles actions.»
S’ils mènent en effet une guerre sans merci aux armées locales et aux soldats français de l’opération Barkhane (huit soldats français morts au Sahel en 2020, 47 depuis 2013), les différents groupes armés terroristes sont toutefois en concurrence au Sahel. Il y a «d’un côté, ce qui est devenu l’État islamique* au Grand Sahara (EIGS), de l’autre, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui entretiennent des rapports de rivalité et de coopération en même temps», précise Michel Goya, ancien colonel et spécialiste en analyse des conflits, dans les colonnes de L’Express.
Une attaque de l’un de ces groupes sur le sol français ou européen entraînerait mécaniquement une réponse militaire considérable, juge Alain Rodier. Voire «un soutien important de partenaires européens», actuellement réticents à l’idée de prêter concrètement main-forte à Paris. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard selon l’ancien officier de renseignement si, jusqu’à présent, ces groupes djihadistes n’ont pas commis d’attaques sur le sol européen:
«Depuis qu’Al-Qaïda* au Maghreb islamique [désormais appelé Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, ndlr] et l’État islamique* au grand Sahel existent, il n’y a pas eu, à ma connaissance, d’attentat réussi de leur part sur le territoire national ou européen. Ce n’était d’ailleurs pas l’un de leurs objectifs en ce qui concerne le GSIM. Le combat premier de ce groupe est sur place.»
Si une attaque venait à être commise sur le sol français ou européen, explique-t-il, «elle serait plus le fait d’un individu isolé» qui prendrait les armes après que son cerveau ait été lavé par la propagande djihadiste de la région.
Opération Barkhane: changer de stratégie ou s’enliser
Il est vrai que parmi les 42 terroristes ayant commis des attentats sur le sol français depuis janvier 2015, seuls deux étaient d’origine sahélienne, le terroriste de l’Hyper Cacher, Amedy Coulibaly, de nationalité malienne, et Abdallah Ahmed Osman, réfugié soudanais, qui a tué deux personnes et blessé cinq autres à Romans-sur-Isère le 4 avril 2020. Le premier avait prêté allégeance à Abu Bakr Al Bagdadi et à l’État islamique*, et le second semble avoir eu une démarche solitaire.
Depuis 2015, seuls deux djihadistes sahéliens ont frappé en France
Mais comme l’exige son poste, Bernard Émié préfère rester prudent. À la DGSE, on se prépare pour le pire et on espère le meilleur. Pour le chef des espions français, le Sahel est désormais, au même titre que le Levant, un «épicentre» du terrorisme international. Une analyse que partage également Alain Rodier, qui entend tout de même la compléter:
«Bernard Émié a raison sur le fait que les principaux pôles terroristes se trouvent au Sahel et au Levant. C’est là où la menace est la plus grande. J’ajouterais la région frontalière, incontrôlée et incontrôlable, entre l’Afghanistan et le Pakistan. Là-bas, Aymen al-Zawahiri, chef du groupe Al-Qaïda* et ancien numéro deux de Ben Laden, continue d’influencer et d’inspirer la nébuleuse djihadiste. On peut aussi ajouter certaines cellules dans le Caucase», précise le spécialiste des renseignements en guise de conclusion.
Pour autant, les capacités relatives des djihadistes sahéliens ne sauraient conduire la France à baisser la garde.