Il a été nommé général quatre étoiles, le 14 août, mais il continue d'encombrer l'échiquier politique. Amadou Haya Sanogo se résoudra-t-il à quitter le devant de la scène, lui le capitaine putschiste par qui le chaos est arrivé ? Il a promis de rester en retrait, mais son ombre a plané sur la campagne électorale... Pour gouverner librement, le président IBK devra le faire rentrer dans le rang.
Si l'on se fie à sa carte d'électeur, dont une copie est affichée sur le mur du bureau de vote no 6, ce n'est qu'un agent de la fonction publique. Le simple président d'une institution au nom impossible à retenir (Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité), qui présente toutes les caractéristiques d'une coquille vide. Mais lorsqu'il a pénétré dans la cour poussiéreuse de l'école publique du camp militaire de Kati, le 28 juillet,Amadou Haya Sanogo avait tous les attributs d'un "grand quelqu'un". Cortège de 4x4 rutilants, gardes du corps menaçants, obligés en treillis... Le capitaine, boubou et bonnet bleu, épouse au bras, était venu voter comme un citoyen ordinaire, lancera-t-il à la presse après avoir mis son bulletin dans l'urne. Vraiment ?
Sur le mur de l'école, une fresque attirait l'oeil. C'était un portrait du capitaine. Au-dessous, il était écrit "Amadou Haya Sanogo. Le Mali d'abord". S'il avait été candidat, nul doute qu'il en aurait fait son slogan. En son absence, c'est Ibrahim Boubacar Keïta qui l'a adopté. IBK, "le candidat de la junte", selon ses adversaires. L'un des rares politiques à ne pas avoir été inquiété par les putschistes après leur prise de pouvoir l'année dernière. Celui qui présente, pour la junte, le plus de garanties, notamment parce qu'il s'est rapidement démarqué du Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FDR), la coalition antipustch.
À aucun moment l'ombre du capitaine n'a cessé de planer sur la campagne électorale, qui s'est clos par un second tour opposant Ibrahim Boubacar Keïta à Soumaïla Cissé le 11 août. La junte, entend-on à Bamako, aurait soutenu le premier. Elle aurait ordonné aux troupes (et à leurs familles) de voter pour lui. Et lorsque Moussa Sinko Coulibaly, le ministre de l'Administration territoriale, a fait une déclaration hasardeuse le 30 juillet, affirmant que la probabilité de voir IBK l'emporter dès le premier tour était forte alors que seulement 12 % des bulletins avaient été vérifiés, bon nombre d'observateurs y ont vu la main de Sanogo. Le colonel Sinko est l'un des trois ministres du gouvernement de transition issus de la junte, et c'est un proche du capitaine. Est-ce suffisant ?
"La junte, c'est fini"
La théorie du complot est séduisante, mais elle est fausse, assurent les entourages du capitaine et du candidat. "C'est vrai que la junte est plus proche d'IBK, mais je ne crois pas qu'elle l'ait soutenu", affirme un sous-officier qui fut pendant quelques mois l'un des conseillers les plus influents de Sanogo avant de s'éloigner de Kati, la ville-garnison d'où étaient partis les putschistes en mars 2012 et où ils se sont retranchés depuis. Certes, le capitaine a reçu IBK durant la campagne, "mais la quasi-totalité des candidats est venue le voir", affirme l'un de ses collaborateurs. Certes aussi, la ville de Kati a voté en masse pour le natif de Koutiala, "mais c'est parce qu'il est populaire dans les casernes, et ce depuis des années", précise un cadre de l'armée. "On oublie trop souvent que la junte correspond au sentiment général des troupes, que quand elle a pris le pouvoir, elle était très populaire dans les casernes", indique un spécialiste des forces armées.
Que doit-on dire au juste ? La junte ou l'ex-junte ? La réponse à cette question varie en fonction de la place que l'on occupe sur l'échiquier politico-militaire malien. Le premier concerné, Sanogo lui-même, assure que "la junte, c'est fini", que "les soldats resteront dans les casernes", et qu'il se soumettra au futur président. Un béret rouge qui a croupi plusieurs mois en prison après l'échec du contre-coup d'État du 30 avril 2012 parle, lui, de la junte au présent, parce que, dit-il, "elle continue de tirer les ficelles".
Des hommes de pouvoir, proches de Sanogo depuis longtemps
En l'espace de quelques mois, Sanogo et ses proches ont placé leurs hommes à tous les postes stratégiques. Il y a le général Yamoussa Camara au ministère de la Défense, le colonel Sinko à l'Administration territoriale (chargée des élections), le général Tiefing Konaté à la Sécurité intérieure. Il y a aussi le chef d'état-major général des armées, les chefs d'état-major des armées de terre et de l'air, le commandant de la gendarmerie, le directeur des renseignements...
La plupart sont issus de la première promotion du Prytanée militaire de Kati (celle de 1981), à laquelle a également appartenu le colonel Youssouf Traoré, qui est peut-être aujourd'hui l'homme le plus influent dans le cercle restreint des officiers qui entourent Sanogo, avec l'adjudant-chef Seyba Diarra et le lieutenant Amadou Konaré. La plupart connaissent donc le capitaine depuis longtemps. Contrairement à Sanogo, qui n'était pas un premier de la classe, ils ont continué leur apprentissage militaire et ils sont diplômés de l'école des officiers (promotions 1991 et 1992). "Ils ne sont pas là par hasard, confie une source diplomatique. Nombre d'entre eux sont des gens compétents qui sont à leur place."
"Quel que soit le futur président, les hommes de l'ex-junte vont compter pour la simple raison qu'ils tiennent l'armée", affirme un ancien collaborateur de Sanogo qui travaille désormais dans un ministère. Certes, il sera toujours possible, pour le nouveau président, de s'en débarrasser, "mais il faudra bien les remplacer, or il n'y a qu'eux", poursuit notre source. Au sein de l'état-major, on rappelle aussi que les putschistes travaillent en étroite collaboration avec les autres officiers depuis que la reconquête du Nord a commencé, en janvier. "Hormis les bérets rouges, tout le monde marche ensemble."
Rien ne dit, en revanche, que les putschistes continueront à s'entendre. Tous ces hommes doivent à Sanogo leur élévation dans la hiérarchie, mais il n'est pas sûr qu'ils lui resteront fidèles. "La junte de début 2012 n'est plus la même qu'aujourd'hui, affirme l'ancien conseiller de Sanogo, lui-même promu général, le 14 août. La solidarité du départ s'est amenuisée au fil du temps."
Il y a eu des divergences, notamment quand Sanogo a accepté de lâcher le pouvoir, sous la pression de la communauté internationale et contre l'avis d'une partie de son entourage. Surtout, les intérêts individuels ont pris le dessus. "Aujourd'hui, estime un autre conseiller du capitaine qui a lui aussi pris ses distances, c'est chacun pour soi à Kati. Tous ces hommes ont des ambitions démesurées sur le plan matériel.
Certains se sont enrichis avec la complicité du pouvoir de transition. Ils sont devenus des hommes d'affaires. L'esprit de corps a éclaté et leur réputation, au sein de la troupe, en a pris un coup. Le nouveau président n'aura pas face à lui un bloc uni, mais des individus qui joueront de leurs relations pour se placer." Le pouvoir de nuisance des putschistes est "nul" aujourd'hui, ajoute cette source.
Mais il n'y a là rien de nouveau. Cela fait des mois que les putschistes se sont bunkerisés à Kati. Ils n'en sortent qu'en de très rares occasions. "À partir du moment où le capitaine s'est montré incapable de reconquérir le Nord, il a dû lâcher le pouvoir. Et quand la France et les pays africains ont envoyé leurs armées, c'en était fini. La communauté internationale le boude. La seule chose qui l'a maintenu à flot, c'est sa relation avec Dioncounda Traoré."
Curieuse, cette relation. Au début, les deux hommes ne pouvaient pas se voir. Puis le président de transition a pris Sanogo sous son aile. Peut-être parce qu'il le craint. Ou peut-être parce qu'il a fini par apprécier cet ex-capitaine bien plus subtil qu'il n'y paraît. Les deux hommes se voient souvent - à Koulouba plus qu'à Kati. "C'est Dioncounda qui faisait que Sanogo était encore de la partie. Il accédait à toutes ses demandes. Mais avec le nouveau président, le capitaine et ses hommes ne compteront plus", avance un diplomate européen.
Il a été nommé général quatre étoiles, le 14 août, mais il continue d'encombrer l'échiquier politique. Amadou Haya Sanogo se résoudra-t-il à quitter le devant de la scène, lui le capitaine putschiste par qui le chaos est arrivé ? Il a promis de rester en retrait, mais son ombre a plané sur la campagne électorale... Pour gouverner librement, le président IBK devra le faire rentrer dans le rang.
Si l'on se fie à sa carte d'électeur, dont une copie est affichée sur le mur du bureau de vote no 6, ce n'est qu'un agent de la fonction publique. Le simple président d'une institution au nom impossible à retenir (Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité), qui présente toutes les caractéristiques d'une coquille vide. Mais lorsqu'il a pénétré dans la cour poussiéreuse de l'école publique du camp militaire de Kati, le 28 juillet,Amadou Haya Sanogo avait tous les attributs d'un "grand quelqu'un". Cortège de 4x4 rutilants, gardes du corps menaçants, obligés en treillis... Le capitaine, boubou et bonnet bleu, épouse au bras, était venu voter comme un citoyen ordinaire, lancera-t-il à la presse après avoir mis son bulletin dans l'urne. Vraiment ?
Sur le mur de l'école, une fresque attirait l'oeil. C'était un portrait du capitaine. Au-dessous, il était écrit "Amadou Haya Sanogo. Le Mali d'abord". S'il avait été candidat, nul doute qu'il en aurait fait son slogan. En son absence, c'est Ibrahim Boubacar Keïta qui l'a adopté. IBK, "le candidat de la junte", selon ses adversaires. L'un des rares politiques à ne pas avoir été inquiété par les putschistes après leur prise de pouvoir l'année dernière. Celui qui présente, pour la junte, le plus de garanties, notamment parce qu'il s'est rapidement démarqué du Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FDR), la coalition antipustch.
À aucun moment l'ombre du capitaine n'a cessé de planer sur la campagne électorale, qui s'est clos par un second tour opposant Ibrahim Boubacar Keïta à Soumaïla Cissé le 11 août. La junte, entend-on à Bamako, aurait soutenu le premier. Elle aurait ordonné aux troupes (et à leurs familles) de voter pour lui. Et lorsque Moussa Sinko Coulibaly, le ministre de l'Administration territoriale, a fait une déclaration hasardeuse le 30 juillet, affirmant que la probabilité de voir IBK l'emporter dès le premier tour était forte alors que seulement 12 % des bulletins avaient été vérifiés, bon nombre d'observateurs y ont vu la main de Sanogo. Le colonel Sinko est l'un des trois ministres du gouvernement de transition issus de la junte, et c'est un proche du capitaine. Est-ce suffisant ?
"La junte, c'est fini"
La théorie du complot est séduisante, mais elle est fausse, assurent les entourages du capitaine et du candidat. "C'est vrai que la junte est plus proche d'IBK, mais je ne crois pas qu'elle l'ait soutenu", affirme un sous-officier qui fut pendant quelques mois l'un des conseillers les plus influents de Sanogo avant de s'éloigner de Kati, la ville-garnison d'où étaient partis les putschistes en mars 2012 et où ils se sont retranchés depuis. Certes, le capitaine a reçu IBK durant la campagne, "mais la quasi-totalité des candidats est venue le voir", affirme l'un de ses collaborateurs. Certes aussi, la ville de Kati a voté en masse pour le natif de Koutiala, "mais c'est parce qu'il est populaire dans les casernes, et ce depuis des années", précise un cadre de l'armée. "On oublie trop souvent que la junte correspond au sentiment général des troupes, que quand elle a pris le pouvoir, elle était très populaire dans les casernes", indique un spécialiste des forces armées.
Que doit-on dire au juste ? La junte ou l'ex-junte ? La réponse à cette question varie en fonction de la place que l'on occupe sur l'échiquier politico-militaire malien. Le premier concerné, Sanogo lui-même, assure que "la junte, c'est fini", que "les soldats resteront dans les casernes", et qu'il se soumettra au futur président. Un béret rouge qui a croupi plusieurs mois en prison après l'échec du contre-coup d'État du 30 avril 2012 parle, lui, de la junte au présent, parce que, dit-il, "elle continue de tirer les ficelles".
Des hommes de pouvoir, proches de Sanogo depuis longtemps
En l'espace de quelques mois, Sanogo et ses proches ont placé leurs hommes à tous les postes stratégiques. Il y a le général Yamoussa Camara au ministère de la Défense, le colonel Sinko à l'Administration territoriale (chargée des élections), le général Tiefing Konaté à la Sécurité intérieure. Il y a aussi le chef d'état-major général des armées, les chefs d'état-major des armées de terre et de l'air, le commandant de la gendarmerie, le directeur des renseignements...
La plupart sont issus de la première promotion du Prytanée militaire de Kati (celle de 1981), à laquelle a également appartenu le colonel Youssouf Traoré, qui est peut-être aujourd'hui l'homme le plus influent dans le cercle restreint des officiers qui entourent Sanogo, avec l'adjudant-chef Seyba Diarra et le lieutenant Amadou Konaré. La plupart connaissent donc le capitaine depuis longtemps. Contrairement à Sanogo, qui n'était pas un premier de la classe, ils ont continué leur apprentissage militaire et ils sont diplômés de l'école des officiers (promotions 1991 et 1992). "Ils ne sont pas là par hasard, confie une source diplomatique. Nombre d'entre eux sont des gens compétents qui sont à leur place."
"Quel que soit le futur président, les hommes de l'ex-junte vont compter pour la simple raison qu'ils tiennent l'armée", affirme un ancien collaborateur de Sanogo qui travaille désormais dans un ministère. Certes, il sera toujours possible, pour le nouveau président, de s'en débarrasser, "mais il faudra bien les remplacer, or il n'y a qu'eux", poursuit notre source. Au sein de l'état-major, on rappelle aussi que les putschistes travaillent en étroite collaboration avec les autres officiers depuis que la reconquête du Nord a commencé, en janvier. "Hormis les bérets rouges, tout le monde marche ensemble."
Rien ne dit, en revanche, que les putschistes continueront à s'entendre. Tous ces hommes doivent à Sanogo leur élévation dans la hiérarchie, mais il n'est pas sûr qu'ils lui resteront fidèles. "La junte de début 2012 n'est plus la même qu'aujourd'hui, affirme l'ancien conseiller de Sanogo, lui-même promu général, le 14 août. La solidarité du départ s'est amenuisée au fil du temps."
Il y a eu des divergences, notamment quand Sanogo a accepté de lâcher le pouvoir, sous la pression de la communauté internationale et contre l'avis d'une partie de son entourage. Surtout, les intérêts individuels ont pris le dessus. "Aujourd'hui, estime un autre conseiller du capitaine qui a lui aussi pris ses distances, c'est chacun pour soi à Kati. Tous ces hommes ont des ambitions démesurées sur le plan matériel.
Certains se sont enrichis avec la complicité du pouvoir de transition. Ils sont devenus des hommes d'affaires. L'esprit de corps a éclaté et leur réputation, au sein de la troupe, en a pris un coup. Le nouveau président n'aura pas face à lui un bloc uni, mais des individus qui joueront de leurs relations pour se placer." Le pouvoir de nuisance des putschistes est "nul" aujourd'hui, ajoute cette source.
Mais il n'y a là rien de nouveau. Cela fait des mois que les putschistes se sont bunkerisés à Kati. Ils n'en sortent qu'en de très rares occasions. "À partir du moment où le capitaine s'est montré incapable de reconquérir le Nord, il a dû lâcher le pouvoir. Et quand la France et les pays africains ont envoyé leurs armées, c'en était fini. La communauté internationale le boude. La seule chose qui l'a maintenu à flot, c'est sa relation avec Dioncounda Traoré."
Curieuse, cette relation. Au début, les deux hommes ne pouvaient pas se voir. Puis le président de transition a pris Sanogo sous son aile. Peut-être parce qu'il le craint. Ou peut-être parce qu'il a fini par apprécier cet ex-capitaine bien plus subtil qu'il n'y paraît. Les deux hommes se voient souvent - à Koulouba plus qu'à Kati. "C'est Dioncounda qui faisait que Sanogo était encore de la partie. Il accédait à toutes ses demandes. Mais avec le nouveau président, le capitaine et ses hommes ne compteront plus", avance un diplomate européen.
Promotion éclair et retraite anticipée pour Sanogo ?
Reste à leur trouver une porte de sortie honorable. Cela peut prendre, pour la vingtaine de gradés identifiés comme appartenant au premier cercle de Sanogo, la forme d'une retraite grassement payée ou d'une affectation confortable, et, pour le désormais général quatre étoiles, qui est encore jeune (41 ans), d'une promotion éclair suivie d'une retraite anticipée. Celui auquel les pays de la sous-région ont refusé le statut d'ancien chef d'État pourrait se voir accorder les avantages dus à un ancien président (salaire, logement, sécurité) puis se faire nommer dans un consulat ou une ambassade loin du Mali. Ce n'est qu'une hypothèse, mais elle séduit un certain nombre de chancelleries, même si "Sanogo n'a jamais envisagé de quitter le pays", selon un proche.
En tout état de cause, il y a peu de chances que le général "rentre tranquillement dans sa caserne", comme il l'affirmait en avril 2012 à Jeune Afrique. À la même date, il disait aussi que "la seule façon de faire une sortie honorable, [c'était] de partir en laissant le pouvoir au président démocratiquement élu".