Neuf ans après le début de l’entrée en guerre de la France au Mali, des nombreuses voix s’élèvent à Paris et Bamako pour appeler au départ des soldats français. Mais ce désengagement serait lourd de conséquences, analyse le Journal du Mali.
En 2013, 73 % d’opinions favorables, en 2019, 59 %… Ils ne sont plus que 49 % des Français à approuver l’opération Barkhane. Une nette détérioration au fil des années de l’adhésion à cette opération. Sans compter le nombre accru de Maliens qui demandent un départ des forces étrangères du Mali.
Aux avant-gardes de cette revendication, le mouvement “Yèrèwolo, debout sur les remparts”, qui avait appelé à une mobilisation à Bamako mercredi 20 janvier, jour symbolique du 60e anniversaire de l’armée malienne, pour demander le départ de l’armée française. La manifestation tourna finalement court après que les forces de l’ordre ont gazé la poignée de personnes rassemblées. Pour ce mouvement, “le Mali n’aura jamais la paix tant qu’il ne contrôlera pas son armée et ne jouira pas pleinement de sa souveraineté”.
Soupçons de bavure
La relative impopularité de l’opération Barkhane résulte d’un sentiment de lassitude des populations maliennes, en raison de l’enlisement de la crise sécuritaire dans les régions du nord et du centre mais aussi progressivement dans celles du sud du pays [d’abord appelée Serval, l’opération a été lancée en 2012 par la France pour combattre les groupes terroristes au nord du Mali, mais, neuf ans plus tard, la menace s’est accentuée].
Comme pour ne rien arranger, la polémique autour de la frappe de Barkhane à Bounti le 3 janvier 2021 est venue renforcer la vision des Maliens qui souhaitent le retrait de cette force [une vingtaine de personnes ont été tuées alors qu’elles assistaient à un mariage dans ce village du centre du Mali, et certaines voix soupçonnent une bavure de l’armée française, ce que dément Paris].
Le parti d’opposition Sadi a ainsi affirmé que l’armée française avait commis “une tragique bavure, qui a coûté la vie à de nombreux innocents. […] Vouloir occulter cette réalité et conclure à la présence de terroristes pour justifier une quelconque frappe de l’armée française est une insulte à l’intelligence collective de notre peuple”, lit-on dans son communiqué.
Faire rentrer les soldats ?
Alors donc que l’opération Barkhane fait face aux critiques sur son efficacité, la France envisage de réduire l’effectif de son dispositif présent au Sahel. Les 600 soldats supplémentaires déployés en janvier 2020 devraient être prochainement rapatriés. Le sommet conjoint de la France et des pays du G5 Sahel, prévu pour février prochain à N’Djamena, sera l’occasion de prendre une décision.
“Cette réduction des effectifs sera peut-être vue comme un acte de bonne volonté qui pourrait permettre de faire avancer les négociations entre Bamako et les djihadistes, mais elle peut être vue également comme un aveu de faiblesse et encourager les actions contre les soldats restants de Barkhane ou de la Minusma [la force des Nations unies]. Et bien entendu contre les militaires maliens”, analyse Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network.
La task force Takuba, qui vise à faire travailler les forces spéciales européennes, pourrait en revanche être renforcée. Mais, là aussi, “on peut s’interroger, parce que les dernières attaques, qui ont été très meurtrières pour la force Barkhane en fin d’année 2020 et en début d’année 2021, pourraient avoir dissuadé les partenaires européens de déployer des effectifs sur le terrain”, indique Niagalé Bagayoko.
Il paraît de plus en plus difficile pour une opération extérieure de s’impliquer dans la résolution d’une crise dont les racines font qu’il est extrêmement difficile de n’avoir qu’une approche militaire. “On voit très bien aujourd’hui que cette problématique djihadiste apparaît comme très imbriquée dans d’autres questions, notamment celles des affrontements intracommunautaires ou plus largement entre groupes djihadistes et certaines milices d’autodéfense, ce qui tend à rendre la situation extrêmement complexe”, souligne-t-elle.
La faiblesse de l’armée malienne
“Ceux qui prônent un départ immédiat de la France ne feront que précipiter le Mali dans un désastre qui ne dirait pas son nom. Je comprends cette position, parce qu’il y a de plus en plus de morts et de victimes, mais c’est ensemble, avec la communauté internationale, qu’on pourra résoudre ce problème”, argue Abdoulaye Tamboura [spécialiste des questions sécuritaires au Sahel].
La véritable alternative ne serait autre qu’un renforcement des capacités des forces armées maliennes, à travers “une formation et des outils de guerre assez efficaces, même en matière de renseignement, ce qui prendra encore quelques années”, ajoute celui qui soutient qu’au-delà de Segou [ville située à 240 kilomètres au nord de Bamako] les forces armées maliennes ne maîtrisent plus le terrain, contrairement aux djihadistes aguerris.
C’est pourquoi, si la France n’a pas vocation à “rester éternellement” au Mali, comme l’a plusieurs fois répété la ministre des Affaires étrangères française, l’État malien doit se préparer à trouver des alternatives.
Germain Kenouvi
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