Le discours du directeur général de sécurité extérieure française comporte de nombreux éléments de langage qui confirment tout ce qui a été dit et écrit sur le rôle négatif de ce service d’espionnage français durant la décennie noire en Algérie. Dans une interview au Figaro, Bernard Emié avait déjà étayé la thèse de la guerre des services qui opposait la DGSE, qu’il dirige actuellement, à la DST, le service du contre-espionnage dont des sources sécuritaires algériennes ont de tout temps loué l’excellente collaboration et l’échange ininterrompu et fructueux de renseignements liés à la nébuleuse terroriste islamiste.
«Chaque jour, nous agissons avec tous les services de renseignement impliqués dans la lutte antiterroriste. Et je souhaite rendre un hommage particulier aux services de renseignement des pays du G5 Sahel : les services maliens, nigériens, burkinabés, tchadiens et mauritaniens, qui sont en première ligne, à nos côtés», a, en effet, affirmé Bernard Emié dans son discours prononcé le 1er février dernier sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, dans le centre-nord de la France. Contrairement aux discours lénitifs et feints des responsables politiques français, l’ancien ambassadeur de France à Alger a troqué l’artifice diplomatique contre le langage cru du militaire.
Bernard Emié n’est plus dans la simulation lorsqu’il ignore sciemment le rôle central de l’Algérie dans la lutte contre l’extrémisme violent et, dans le même temps, met l’accent sur la nationalité algérienne du chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, abattu, a-t-il tenu à préciser, «par l’armée française» et «au plus près de la frontière malienne avec l’Algérie». L’allusion est claire. Le premier espion de France adresse une pique insidieuse à la partie algérienne qui refuse d’intégrer le G5 Sahel et qui devient, dès lors, une entrave aux visées françaises dans la région du Sahel.
Le dernier rapport du partial International Crisis Group vient en appui aux déclarations du patron de la DGSE qui a défendu bec et ongles l’«action» de son service qui «a permis de désorganiser les groupes terroristes et d’entraver la plupart de leurs chefs». Le discours est le même, sans nuances, mais avec une répartition des rôles. Pour cet organisme de «réflexion», «l’Accord d’Alger (dialogue intermalien, ndlr) s’est révélé fragile» car, avance-t-il, «s’il propose une feuille de route pour le redéploiement de responsables et d’institutions étatiques dans le nord du Mali, la paix qu’il a instaurée demeure plus que précaire». Une façon de justifier la présence militaire française au Mali sous-tendue par une «stratégie multidimensionnelle» au Sahel.
La DGSE a pu obtenir une vidéo d’un conclave des principaux chefs d’Al-Qaïda tenu au centre du Mali, a-t-il dit. Une révélation qui en cache une autre : celle de l’infiltration des groupes islamistes armés (GIA) en Algérie dans les années 1990, confirmée par les services secrets algériens lors de la prise d’otages et l’assassinat abject des sept moines trappistes de Tibhirine par Djamel Zitouni. Le bruit fait autour de la prétendue implication de l’armée algérienne dans cette exécution qui a semé l’émoi en Algérie, au regard du respect que les Algériens vouaient aux religieux chrétiens victimes de calculs politiciens franco-français, sert d’écran de fumée pour cacher la culpabilité de la DGSE qui était en contact direct avec le sanguinaire chef du GIA et dont les négociations secrètes avaient abouti à la décapitation des otages.
Le mystère demeure entier sur cet épisode de la décennie noire et sur le rôle du service action de la DGSE dans ce crime qui semble s’inscrire dans la double guerre qu’il menait à la fois au DRS algérien et à la DST française. Des secrets que Bernard Emié, ses prédécesseurs ou ses successeurs dévoileront peut-être un jour. Sait-on jamais.