La décision est perçue selon les uns sous l’angle de la volonté du gouvernement de s’accaparer l’organisation des élections, selon les autres un pas dans la mise en place d’un organe unique.
La polémique a enflé aux lendemains de la dissolution de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Un sujet clivant qui s’est imposé de façon croissante dans les conversations entre amis, autour des repas de famille ou d’entretiens dans les medias. La classe politique n’a pas soufflé dans la même trompette. Certains acteurs politiques ont versé toute leur bile sur la décision, ont dépeint la démarche cavalière du gouvernement sous l’angle d’une manœuvre destinée à prendre le contrôle de l’organisation des élections. « Une décision faite dans la précipitation et sans concertations des forces politiques ». D’autres ont applaudi des deux mains. « La dissolution de la CENI marque le début d’un processus nécessaire et répond à une demande importante. Les partis politiques n’avaient plus confiance dans le système actuel. Il était nécessaire de le modifier » a expliqué Hamidou Doumbia, porte-parole du parti Yelema. En effet, la création d’un organe unique est sortie des tuyaux du Dialogue national inclusif convoqué fin 2019.
Gros soupçons
Même son de cloche du côté de Choguel Kokala Maïga, une des figures emblématiques du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) qui a appelé le 4 février dernier à « convenir des modalités de création d’un organe unique et indépendant de gestion du processus électoral afin de réussir la tenue d’élections transparentes, régulières et crédibles » , « d’éviter le scénario d’une simple formalité pour une session du pouvoir par la junte et ses complices »s’est –il montré très précautionneux.
L’idée de création d’un organe unique est fort séduisante, mais Bréhima Fomba, docteur en droit public, a émis des doutes sur sa faisabilité. « Cette idée d’organe unique marche fort au Mali en ce moment, mais l’établir en si peu de temps me semble irréaliste, voire infaisable. Réfléchir à un organe unique, c’est bien. Mais le Mali manque de moyens matériels et humains pour le déployer ».
La création d’une Cellule d’appui au processus électoral fait bondir d’inquiétude Dr Bréhima Fomba qui y a vu «un renforcement de la mainmise du gouvernement sur les élections. Le ministre organise déjà les élections, il dispose des services de la Direction générale aux élections, des représentants de l’Etat, pourquoi créer une cellule additionnelle, dont le chef est nommé par le ministre lui-même ? »
Cellule confinée dans un rôle d’appui
Brahima Coulibaly n’est pas de cet avis. Ce conseiller chargé des élections au ministère chargé de l’administration territoriale a répliqué en des termes sans équivoques : « La cellule a uniquement pour but d’appuyer le ministre dans ses attributions. Elle n’a pas pour objet de se substituer à d’autres structures et ne préfigure pas la création d’un organe unique » avant de poursuivre sur sa lancée « elle se contentera de contribuer aux activités du ministère, notamment en matière logistique. Créée par décision du ministre le 15 décembre dernier, elle sera constituée d’une vingtaine d’experts qui devraient être nommés bientôt ». En attendant, Mady Ciré Touré en est son patron.
La CENI a été introduite dans le droit positif malien par la loi de 1997 qui faisait d’elle la seule structure à organiser le scrutin électoral, à exécuter les opérations relatives à l’établissement des listes électorales et aux proclamations des résultats provisoires en passant par l’organisation technique et matérielle du scrutin ainsi que le contrôle et la supervision. La loi modificatrice du 30 janvier 2004 a innové en réduisant le champ des prérogatives de la CENI à la supervision et au suivi du scrutin. A noter que la CENI nationale est composée de 15 membres : 10 membres désignés par les partis politiques de la majorité et ceux de l’opposition suivant une répartition équitable, 1 membre désigné par les confessions religieuses, 1 du Conseil de l’ordre des avocats, 1 du Syndicat autonome de la magistrature, 1 des associations de défense des droits de l’Homme, 1 de la Coordination des associations et ONG féminines (CAFO).
Le mandat de la CENI prend fin trois mois au plus après la proclamation définitive des résultats d’élections générales successives ou du referendum.
Un vent d’inquiétude venant de son président sortant, Amadou Bah, et qui a soufflé très fort s’est estompé progressivement. Un organe unique germera sur les cendres de la Commission électorale. Mettant ainsi en lambeaux les craintes formulées au sujet du respect strict des critères de représentativité dans la mise en selle d’une nouvelle CENI. Des craintes qui sont bâties sur l’absence des partis d’opposition et de la majorité.