Pas de changement de stratégie dans la région pour l’instant : la France ne retire ni ne réduit ses troupes engagées dans l’opération Barkhane. Mais la question se reposera lors du prochain sommet du G5 Sahel...
Le sommet du G5 Sahel qui s’est tenu à N’Djamena, au Tchad, cette semaine, n’a finalement pas débouché sur un changement de stratégie dans la guerre contre les djihadistes. La France ne réduira pas ses troupes engagées dans le cadre de l’opération Barkhane, au moins dans les prochains mois. Un temps envisagé, la réduction des effectifs a été repoussée à la fin de l’été.
Le « bourbier malien »
Au fil des attaques et des soldats français tombés au Sahel (55), des voix de plus en plus nombreuses en France recommandaient le départ pur et simple du contingent français, brisant l’unité qui avait prévalu lors du lancement de l’opération Serval en 2013 contre les djihadistes lancés à la conquête du Mali.
Huit ans ont passé depuis la reprise du nord du Mali, et il est vrai que l’évolution du conflit n’incite guère à l’optimisme. Les 5 100 soldats français engagés sur le terrain ont certes conduit à l’élimination de nombreuses unités, la destruction de camps et la mort de chefs djihadistes, mais la violence contre les civils n’a cessé de croître et de s’étendre vers le centre du Mali, puis le Niger et le Burkina Faso voisins. Plus grave, les djihadistes se sont enracinés localement, en se nourrissant des faillites des États, de la misère et des rivalités ethniques. Certains parlent même de bourbier malien, après le bourbier afghan, autre aventure occidentale menée au nom de la lutte contre le terrorisme. « La France est engagée dans une guerre ingagnable, pense le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos (1), l’une des voix les plus critiques sur le sens de l’intervention française au Sahel. L’armée tue régulièrement des leaders djihadistes mais il n’y a personne pour prendre le relais une fois que les soldats français regagnent leurs bases. Les insurgés peuvent alors revenir occuper les territoires laissés vacants par des États défaillants. »
Marc Conruyt, commandant de l’opération française, a récemment reconnu que la victoire finale exige l’émergence d’une administration locale capable de répondre aux besoins de sécurité et de développement économique des populations. Mais le coup d’État perpétré à Bamako a mis en lumière la fragilité des institutions maliennes, dont le renforcement prendra des décennies. « Le djihadisme n’est jamais que le symptôme de la crise profonde des États au Sahel, poursuit Marc-Antoine Pérouse de Montclos. La France n’a ni les moyens ni l’envie de recoloniser la région. »
Partir, pire que rester ?
Un départ des troupes françaises aujourd’hui ouvrirait cependant de sombres perspectives du fait, justement, de la faiblesse de l’État malien. Malgré les efforts de formation et d’équipement, les troupes maliennes semblent aujourd’hui incapables de prendre le relais. « Le retrait de la seule force vraiment structurée opérant au Mali serait susceptible de conduire à un effondrement de l’État et à une fuite des Occidentaux de Bamako dans des circonstances qui rappelleraient le départ des Américains de Saïgon en 1975 », prévient Serge Michailof, chercheur associé à l’Iris et auteur d’Africanistan. L’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (2).
La prise de pouvoir des djihadistes à Bamako entraînerait un affaiblissement durable de l’influence française dans la région. Paris, qui s’est engagé par une série d’accords de défense à soutenir les gouvernements locaux, y perdrait sa crédibilité en Afrique occidentale, notamment au Sénégal et en Côte d’Ivoire, des pays importants pour la France. « En tant que membre du Conseil de sécurité, nous avons une responsabilité particulière dans cette partie du monde », insiste le député La République en marche Thomas Gassilloud, membre de la commission défense de l’Assemblée nationale, qui ne veut pas choisir entre le retrait et le statu quo.
Un consensus semble en effet se dégager en France autour de la nécessité de changer de stratégie. « Le maintien de Barkhane sous sa forme actuelle est très difficile à envisager, reconnaît Serge Michailof. Nos forces, qui étaient accueillies avec des fleurs en 2013, se font régulièrement caillasser quand elles sortent de leurs bases. » L’engagement français s’orienterait vers moins de troupes au sol et davantage d’interventions aéroportées, d’actions des drones armés et d’opérations de soutien de l’armée malienne. Une option qui n’est pas sans rappeler le pari perdu des Américains en Afghanistan…
Faut-il alors négocier avec les « terroristes » ? « Il n’y a pas de choix. Nous sommes en fait engagés dans une guerre contre-insurrectionnelle qui nécessite d’utiliser à la fois le bâton et la carotte », répond le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos. L’opinion publique et les autorités maliennes plaident aussi en faveur de discussions avec les djihadistes locaux. « La France doit faire preuve d’humilité, ajoute le député Thomas Gassilloud. Au final, c’est aux Maliens de choisir avec qui ils veulent faire la paix et la guerre. »