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Imam Mahmoud Dicko sur France 24 : «Il est temps que le peuple malien prenne son destin en main»
Publié le mercredi 17 fevrier 2021  |  LE Wagadu
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© aBamako.com par A S
Cérémonie de remise de trophée "personnalité de l`année" à l`imam Mahamoud Dicko
Bamako, le 07 novembre 2020 Le forum Libre, une organisation de la société civile a décerné le titre de « Personnalité de l’année 2020 » à l’imam Mahmoud Dicko
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L’Imam Mahmoud Dicko a accordé une interview le vendredi 12 février à la télévision France 24 au cours de laquelle il est revenu sur son manifeste. Il a également évoqué la refondation et la moralisation de l’armée malienne sans laquelle aucune issue n’est possible.
France 24 : Alors, il y a quelques jours, après des mois de silence, vous avez publié un manifeste pour la refondation du Mali dans lequel vous expliquez que la situation du pays est périlleuse et vous appelez à un pacte républicain… Alors une question très simple : est-ce que d’après vous le Mali est au bord du gouffre ?

Mahmoud Dicko : Le Mali, effectivement, est dans une situation qui n’est pas tellement souhaitable. Même si on n’est pas dans le gouffre, je pense que pour quelqu’un qui est un observateur avisé, nous devrons vraiment faire en sorte que la situation ne puisse perdurer de la même manière. Et c’est pour cela que j’ai, enfin, publié ce manifeste pour en faire un appel à l’endroit d’abord de nos concitoyens, pour qu’on puisse vraiment se mettre ensemble, tous, parce que seuls unis qu’on peut vraiment relever ces défis qui sont devant le peuple malien.

Dans peu de temps, peut-être que la communauté internationale va nous demander d’aller à des élections ; nous allons à des élections pendant que le tissu social est complètement abîmé et que les forces politiques sont dispersées. Je pense réellement que la situation mérite qu’on se mette ensemble pour ce qu’il faut faire avant les futures élections. C’est cela, en réalité, le sens que je donne à ce manifeste.

France 24 : Alors, vous dites dans ce manifeste, je veux vous cite : «Depuis le 18 août 2020 donc depuis le coup d’Etat, j’ai laissé ma porte grand ouverte, j’ai inlassablement écouté et observé, la situation me paraît trop grave pour que je garde le silence, si nous ne réagissons pas maintenant activement collectivement, l’Etat qui nous gouverne n’a plus de sens, il faut sauver le pays.» Est-ce que cela veut dire que le régime qui a été mis en place depuis ce coup d’Etat, aujourd’hui, vous dites, nous amène dans l’impasse ?

MD : Ecoutez, c’est la situation, certainement, qui peut nous amener dans l’impasse. Vous savez le coup d’Etat devrait être un moment, une occasion pour sceller une certaine réconciliation entre l’armée et le peuple malien.

Mais, malheureusement, il faut le constater avec beaucoup de difficultés et tout ce qu’il y a eu comme hauts et bas dans cette situation qui a fait en sorte qu’il y a encore des méfiances de part et d’autres, entre cette armée, qui est une armée républicaine, une armée du peuple, et une grande partie de la classe politique malienne.

Nous devrions restaurer cette confiance. On ne peut pas faire une refondation de notre pays si l’on ne refonde pas cette situation. Ça va commencer, d’abord, par la refondation de notre armée, la moralisation de notre armée et la réconciliation entre l’armée et le peuple, la restauration de la confiance entre l’armée et son peuple, et c’est à partir de cela que nous pouvons ensemble bâtir quelque chose qui va être vraiment salutaire pour l’avenir du Mali.

F24 : Vous ne vous êtes pas vraiment exprimé sur le coup d’Etat du 18 août dernier. Est-ce que c’était une erreur ou est-ce qu’il fallait faire partir Ibrahim Boubacar Keita quel que soit le moyen ?

MD : Bon écoutez, moi je ne parlerai pas d’erreur ou de coup d’Etat. Le coup d’Etat est un fait et ce fait est, aujourd’hui, derrière nous. L’essentiel c’est de se mettre ensemble aujourd’hui pour ne plus tomber dans les erreurs passées, c’est pour cela que j’ai fait ce manifeste et je pense qu’il fallait le faire ; alerter l’opinion nationale et voire internationale car nous sommes dans un monde changeant avec un nouvel ordre mondial qui se dessine à l’horizon. Nous avons des partenaires qui ont des enjeux électoraux comme nous en 2022, donc il est temps que le peuple malien prenne son destin en main et que nous-mêmes, nous agissions pour nous, par nous, pour essayer vraiment de trouver la solution.

F24 : Le calendrier qui a été mis en place prévoit le retour aux élections d’ici 14 mois. Vous avez dit dans votre première réponse que vous n’étiez pas favorable aux élections dans les conditions actuelles. Alors, que faut-il faire ? Est-ce qu’il faut repousser les élections ou est-ce qu’il faut les avancer ? En tout cas, vous semblez penser que le calendrier mis en place n’est pas le bon.

MD : Je ne parle pas de calendrier ; je parle des conditions dans lesquelles nous allons à ce calendrier et ce sont ces conditions qu’il faut changer, pas le calendrier. Je n’ai jamais parlé de calendrier et je pense que si l’on va à des élections dans cette situation, dans ce contexte, ça va être difficile et ça, je le maintiens.

F24 : vous avez aussi dans ce manifeste proposé des services de médiateur entre les groupes armés et les groupes civils. Et on sait qu’il y a une question qui agite beaucoup au Mali, plus largement au Sahel, à savoir : est-ce qu’il faut discuter avec les groupes djihadistes ? Donc une question très concrète, une réponse très concrète. Est-ce que vous appelez à un dialogue avec des leaders comme Amadou Koufa, Iyad Ag Agaly pour véritablement parvenir à une réconciliation nationale ou est-ce que vous considérez, comme la France par exemple, qu’il ne faut pas parler avec ces gens-là ?

MD : Ecoutez, je ne sais pas ce que la France dit ou ce que la France souhaite. La France est un pays souverain et je respecte son opinion. Mais je pense qu’au Mali, ici, nous sommes dans une situation où le bon sens nous oblige à aller vers, en tout cas, à chercher une solution.

Si l’on ne peut, par le bout des armes, arriver vraiment à bout de ces gens-là ; ceux qui nous aident aujourd’hui sont dans l’impasse. Mais qu’est-ce qu’il faut faire ? On n’arrive pas à les vaincre militairement, on ne discute pas avec eux, on ne parle pas avec eux, alors comment peut-on accepter d’installer le pays dans une guerre infinie ?

Mais le bon sens ne peut pas accepter ça et c’est pour cela qu’il faut quand même, à un moment donné, que le peuple se mette ensemble pour dire qu’est-ce que l’on veut. Vous ne pouvez pas nous demander de ne pas parler avec des gens, alors que militairement, on n’arrive pas à bout de ces gens-là, ceux qui nous aident n’y arrivent pas non plus, et vous ne voulez pas qu’on parle avec eux. Donc, ça veut dire qu’on va rester dans une guerre infinie.

Un peuple avec tous les défis qui nous assaillent, tous les problèmes que le Mali a aujourd’hui et si l’on doit s’installer dans une guerre infinie, alors-là, c’est la République qui est en péril.

F24 : vous proposez donc d’être un intermédiaire entre le pouvoir malien et Amadou Koufa, et Iyad Ag Ghaly ; est-ce que vous avez même peut-être déjà pris des contacts dans ce sens ?

MD : Pourquoi vous citez seulement Iyad et Amadou Koufa ? Les acteurs sont nombreux, les problèmes entre les différentes communautés sont là, qui nous assaillent et ceci me préoccupe plus que toute autre chose.

Des gens qui ont vécu ensemble durant des millénaires, des siècles qui s’entredéchirent aujourd’hui et c’est vraiment l’avenir même de la République qui est en jeu, quand les communautés composantes de cette nation, aujourd’hui, s’entretuent. Et il faut trouver une solution, il faut parler au moins avec eux, ces acteurs qui sont sur le terrain. Je pense réellement que ce n’est pas au-dessus de nos moyens.

F24 : Mais est-ce que vous, vous voulez le faire, vous ?

MD : Mais moi, je ne suis qu’un individu. Ce n’est pas moi. C’est le peuple malien qui décidera de qui doit faire quoi, mais il faut qu’on se mette ensemble au moins pour définir ça.

F24 : Est-ce que vous avez un agenda caché ? Vous êtes un imam, vous êtes un acteur politique, est-ce que vous avez des ambitions politiques ?

MD : Bon, écoutez, cette affaire d’agenda caché, c’est ça qui hante tout le monde. Je n’ai pas d’agenda caché, je le dis, je n’ai pas d’ambition personnelle qui est là. Je ne suis pas un parti. Ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est le sort de mon peuple, de mon pays, de ces milliers de personnes qui vivent la misère noire, qui sont dans des situations difficiles de précarité qu’on ne peut pas expliquer aujourd’hui. Ils n’ont pas d’eau potable, ils n’ont pas la santé, ils n’ont pas l’éducation.

Il y a des milliers de villages aujourd’hui qui n’ont pas d’école, qui n’ont pas de centre de santé, qui n’ont pas d’eau potable. Mais quel agenda cache-t-on quand on a un peuple comme ça et on n’arrive pas vraiment à trouver une solution ? Quel est l’agenda que moi je veux cacher ? Pourquoi cacher un agenda si je l’ai ? Je suis un citoyen libre de ce pays. Si j’ai un agenda, je n’ai pas besoin de le cacher.

F24 : IBK, l’ancien président, vous l’avez soutenu et vous l’avez critiqué, comment se fait-il qu’il vous a accusé, je cite : «de vouloir instaurer par la force une République islamique au Mali ?» Vous êtes proche de l’Arabie Saoudite, vous parlez de manifeste républicain ; est-ce que vous êtes en faveur d’un Etat laïc au Mali ? Est-ce que vous pourriez clarifier votre position à ce sujet ?

MD : Pourquoi voulez-vous me singulariser tout le temps ? Moi je fais partie d’un ensemble qui est le Mali et c’est le peuple malien qui décidera de ce qu’il veut. Ce n’est pas l’imam Dicko qui va s’imposer. J’ai beaucoup de respect pour mon grand-frère, l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita, que j’estime beaucoup, que j’aime bien, et il a dit ce qu’il a dit, c’est sa pensée et je respecte sa pensée. Car c’est un droit pour lui de me critiquer mais je crois qu’il me connaît mieux beaucoup de gens.

Si j’avais cet agenda, je ne serais pas obligé, moi de transformer les mosquées en QG pour lui et de le faire élire, lui qui n’a pas de projet de société islamique. Mais, maintenant, il est libre de penser ou de dire ce qu’il veut. Mais je veux tout simplement vous dire qu’être proche de l’Arabie Saoudite ne veut pas dire qu’il faut transformer le Mali pour en faire autre chose que les Maliens eux-mêmes ne décident pas.

Non, moi j’ai beaucoup de respect pour ce peuple malien, c’est un grand peuple, c’est une grande nation. Je sais qu’aujourd’hui, nous sommes dans les difficultés mais nous avons vraiment les ressources pour pouvoir arriver à bout de ça et j’aime à le dire tout le temps, que si l’on interroge le génie malien, il sortira certainement la solution pour trouver la voie à suivre.

F24 : Dernière question Monsieur Dicko. Exactement qu’est-ce que vous préconisez de façon très concrète, on sait que vous préconisez un dialogue mais bon ça ce sont des mots mais des actes. Qu’est-ce que vous préconisez dans les semaines, dans les mois à venir ?

MD : Mais les actes que je préconise, je ne peux les concrétiser seul ; c’est avec le peuple malien, c’est ensemble que nous allons faire. Si j’ai des idées, je les partage avec le peuple malien et c’est au peuple malien d’apprécier ce que l’on doit faire de ces idées. Inchallah !

Fadiala N. Dembélé/Stagiaire
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