« S’obstiner de peur de perdre la face n’est pas une politique. Pour donner une chance à la paix, il faudra bien que les peuples s’expriment »
Jean-Luc Mélenchon est président du groupe LFI à l’Assemblée nationale ; Bastien Lachaud est député LFI, membre de la commission de la défense.
La France est en guerre au Mali depuis huit ans. L’opération Barkhane a succédé à l’opération Serval sans vote des élus de la nation. Pourtant, 55 soldats y ont péri. Des centaines d’autres y ont été blessés. La présence française est de plus en plus impopulaire. Le recours accru aux frappes aériennes et aux drones nous rend de plus en plus suspects et augmente le risque de faire des victimes civiles. C’est l’enlisement.
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Voici pourtant quatre ans que les Insoumis alertent. Nous avons successivement demandé un débat parlementaire au titre de l’article 35 de la Constitution. Nous avons proposé qu’une commission d’enquête travaille à un bilan stratégique des opérations extérieures et réponde à cette simple question : la situation est-elle pire ou meilleure après intervention militaire ? On aurait notamment vu qu’à l’origine de la crise malienne, il y a la désastreuse guerre de Nicolas Sarkozy en Libye et que le Mali compte aujourd’hui plus de jihadistes qu’en 2013. Nous avons aussi demandé fin 2019 que le gouvernement produise une stratégie et un calendrier indicatif afin d’acter que la France a bien pour objectif de ramener ses soldats à la maison. Rien de tout cela ne nous fut accordé.
Au coup par coup. Emmanuel Macron avait annoncé que des « décisions structurantes » seraient prises au sommet de N’Djaména les 15 et 16 février. Résultat ? Presque rien : des objectifs toujours aussi flous, et donc pas de stratégie ni de calendrier. C’est la fuite en avant et la gestion au coup par coup. 1 200 soldats tchadiens en plus seront envoyés au Mali : Emmanuel Macron souhaite manifestement sous-traiter la crise au dictateur Idriss Déby. Pas de quoi pavoiser.
Un an après avoir augmenté les effectifs français de 600 soldats, on suit exactement la logique des Etasuniens en Afghanistan. Le fameux « surge » (augmentation des effectifs) décidé par Obama n’a finalement abouti qu’à la négociation avec les talibans…
Emmanuel Macron souhaite manifestement sous-traiter la crise au dictateur tchadien Idriss Déby. Pas de quoi pavoiser
Mais comment discuter des moyens sans connaître les fins ? Or les buts de la guerre n’ont jamais été précisément définis. Dans le meilleur des cas, les officiels français s’obstinent à considérer la mise en œuvre des « accords d’Alger » comme l’objectif. Or la population malienne ne les a pas réellement approuvés. Beaucoup à Bamako les considèrent comme une prime au terrorisme et y voient le prélude à la partition du pays.
Le plus souvent d’ailleurs, l’exécutif français n’entre pas dans ces « détails ». Il répète : « Avec Barkhane, nous venons en aide aux Maliens » ? Mais les Maliens se sont-ils prononcés récemment sur le sujet ? Le veulent-ils toujours ? Le dernier président a été renversé par l’action combinée d’un mouvement social puissant et d’une junte de plus en plus suspecte aux yeux des démocrates.
Usure. « Nous assurons la sécurité des Français » ? Mais aucun attentat contre des intérêts français n’a été organisé ou commandité depuis le Mali. Et la présence de terroristes jihadistes sur un territoire n’implique pas que la France doive y envoyer des soldats. En envoie-t-on au Mozambique, au Nigeria ou au Cameroun ? Affecter une partie des moyens de la guerre au renseignement vaudrait mieux que cet enlisement.
« Nous luttons contre le terrorisme » ? Pourtant, depuis huit ans que l’armée française est engagée, le nombre de terroristes de toutes obédiences n’a pas durablement diminué. Leur aire d’influence s’est étendue et le nombre des victimes et réfugiés continue de croître. Récemment, par exemple, une centaine de Nigériens a été assassinée. D’ailleurs, on ne lutte pas contre un procédé mais contre un ennemi. Or au Mali, l’ennemi est loin d’être clairement identifié : on y trouve des jihadistes, des indépendantistes, des trafiquants, des combattants de misère… Les traitera-t-on tous de la même façon ?
Chaque année environ 800 millions d’euros sont dépensés pour ce résultat. L’usure des hommes et du matériel s’aggrave. La lassitude gagne les opinions et le crédit de la France s’érode. Aucune des causes structurelles de la crise n’a disparu. La misère, l’absence d’Etat et des services publics essentiels restent sans réponse.
Au lieu de proposer une feuille de route claire, qui définisse à quelles conditions le retrait des troupes françaises est possible, comme le demande la France insoumise depuis des années, Emmanuel Macron s’enferre dans une gestion solitaire et au jour le jour de la guerre. S’obstiner de peur de perdre la face n’est pas une politique. Il est temps de remettre de la rationalité et de la transparence dans tout cela. Pour donner une chance à la paix, il faudra bien que les peuples s’expriment.
Jean-Luc Mélenchon, président du groupe LFI à l’Assemblée nationale et Bastien Lachaud, député LFI, membre de la commission de la défense.