Il faudrait que la dynamique diplomatique insufflée par le président Macron puisse être complétée par une dynamique d’investissements permettant d’amarrer les populations du nord du Sahel aux Etats sahéliens et de réaligner les centres de gravité économiques et politiques de la région, analyse le politologue Romain Poirot-Lellig dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Le G5 Sahel tenu à N’Djamena, au Tchad, et via visioconférence mardi 16 février a constitué une étape importante dans l’espoir d’un réalignement des priorités ainsi que des énergies des membres de ce groupement au format inédit (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) mais encore insuffisamment prometteur.
Un an après le sommet de Pau, le président Emmanuel Macron a eu raison de faire le point des engagements des parties en présence et de saisir le contexte politique nouveau pour insuffler une force renouvelée à cette organisation. Le départ forcé du président malien Ibrahim Boubakar Keita en 2020 ouvre effectivement une fenêtre de tir pour tenter de redonner un modicum de crédibilité à des accords d’Alger moribonds et à une force régionale encore très faible et parfois contestée.
Si la France et ses partenaires sahéliens et européens souhaitent que cette tentative, probablement la dernière sous cette forme, réussisse, un changement de perspective pourrait utilement y contribuer. Tout d’abord, comme le président Macron l’a lui-même évoqué, il convient de se garder de tout optimisme quant à une solution de nature militaire.
Malgré ses succès réels et nombreux, l’opération Barkhane pour laquelle la France maintient aujourd’hui plus de cinq mille soldats ne peut qu’espérer contenir les groupes djihadistes au Sahel et non les éradiquer. En d’autres termes, les conditions sociales et économiques des populations locales fournissent un réservoir illimité de recrues pouvant être envoyées à l’abattoir au nom d’une cause supposément sainte ou, plus simplement, d’un salaire.
Maintien du chaos
Par définition, une guérilla a besoin de peu de moyens pour porter le fer au cœur de son adversaire : son but est de décrédibiliser l’Etat dans toutes ses dimensions (politique, sécuritaire et économique). Par ailleurs, selon une règle souvent observée, chaque djihadiste tué « produit » deux ou trois djihadistes supplémentaires issus de l’entourage immédiat ou distant du défunt.
Risquons une comparaison peu populaire dans les chancelleries et observons que les Américains « décapitent » le mouvement taliban depuis plus de vingt ans en Afghanistan sans que l’attrition du mouvement semble lui porter le préjudice escompté ni ne renforce de manière décisive la légitimité du gouvernement afghan.
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Bien entendu, le Sahel n’est pas l’Hindou Kouch et c’est précisément ces différences de situation qui créent une opportunité. Tout d’abord, observons que les caractéristiques de la bande sahélo-saharienne, et notamment de sa partie Nord où se concentre le phénomène djihadiste, se prêtent assez peu au développement humain – facteur qui va très probablement en s’aggravant du fait des changements climatiques.