Dans le cadre de notre mission d’information, nous avons, le mercredi 24 février 2021, rencontré Mamadou Traoré, président du parti « Union » et membre de la Coalition des forces patriotiques (COFOP). Le jeune leader politique s’est, via cette interview que nous vous proposons, penché sur des questions brûlantes du pays : bilan des 5 mois de gestion du pays par les nouvelles autorités ; plan d’action du gouvernement de Moctar Ouane ; Accord d’Alger ; tenue des élections…
Le Pays : investi le 15 septembre 2020, le président de la transition, Bah N’Daw, et son gouvernement formé en mois d’octobre sont au pouvoir depuis 5 mois aujourd’hui. Quel bilan tirez-vous de ce temps ? Est-ce qu’il y a eu de satisfaction ?
Mamadou Traoré : Nous sommes dans une situation d’exception par le fait du coup de force qui a été fait le 18 août 2020 au président de la République Ibrahim Boubacar Keita. Nous nous sommes alors retrouvés dans une période post coup d’État condamné dans l’article 121 de la constitution. Ce pays doit avancer, parce que nous sommes une République. Depuis la mise en place de Bah N’Daw et son équipe, nous ne sommes pas en train d’avancer parce que nous avançons de façon bancale. On ne peut pas dire qu’il y a un bilan zéro, mais les avancées ne sont pas visibles. C’est un bilan qui est très peu satisfaisant. Aux yeux de nous les membres du parti « Union » et de la COFOP, c’est une transition qui est train d’avancer toute seule. Cela est contraire à la gestion d’une République qui se gère par des concertations avec à la fois le concours de la classe politique toute entière et de la société civile. La gestion de la République est politique, donc Bah N’Daw et Assimi Goita sont politiques aujourd’hui. Aujourd’hui, les membres du CNSP continuent de faire la mainmise sur les choses, et les avancées ne sont pas considérables.
Selon vous, quelle est la situation politique du pays depuis le départ de l’ex-président Ibrahim Boubacar Keita ?
La situation politique est morose. Parce que, les politiques que sommes nous devons tous faire notre mea-culpa. Même si je suis jeune sur la scène politique, les ainés ont commis de grosses erreurs qu’il faudra faire ce mea-culpa, demandant pardon au peuple pour avancer. La situation est telle qu’on a l’impression que la junte au pouvoir ne veuille pas du tout travailler avec les politiques. Et je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’eux-mêmes veuillent faire la politique à la place des politiciens. Chacun à son rôle dans la cité. Personne n’empêche un militaire de faire la politique. Les conditions sont là, dans la constitution, si vous voulez faire la politique, vous démissionnez dans l’armée. Cela serait mieux que de faire l’érection sur la scène politique en arrêtant non seulement la constitutionnalité des choses, mais en faisant aussi des arrestations arbitraires qui sont injustes.
Le vendredi 19 février, Moctar Ouane était face aux membres du conseil national de transition pour présenter son Plan d’Action du Gouvernement finalement adopté par les membres. Quelle analyse faites-vous dudit plan d’action ?
Le Plan d’Action du Gouvernement de Moctar Ouane est bien beau. Si on arrivait à réaliser, c’est une très bonne chose. Mais je ne pense pas de façon réaliste qu’en douze (12) mois qu’on puisse réaliser de tel projet. Pourquoi ? Parce que nous avons six axes dans ce plan d’action. Et chacun des axes est un programme quinquennal. Donc en douze mois, on ne peut pas réaliser de tels axes. Moi je pense que nous devons être réalistes aujourd’hui en limitant la charge de la transition à trois axes : la sécurisation du pays ; l’organisation des élections par la mise en place d’un organe unique ; et le déploiement des services sociaux de base sur toute l’étendue territoriale. Nous ne dévons pas dépasser cela, la transition ne peut pas s’arroger des avantages d’une République normale ou d’un pouvoir mis en place par des élections. Par exemple, dans le projet de révision constitutionnelle de Moctar Ouane, la constitution dit clairement que ce pouvoir revient au président de la République qui passe par les députés avant la phase référendaire. Aujourd’hui, nous n’avons pas de Président de la République, mais plutôt un Chef de l’État. Nous n’avons pas de députés, mais des conseillers dans le CNT.
Êtes-vous optimistes ou pessimistes quant à la pose des jalons du ‘’Mali Nouveau’’ courant cette période ? Pensez-vous que cette transition est sur la bonne voie ?
Il n’y aura pas de ‘’Mali nouveau’’. Ce pays n’est pas né de la dernière pluie. L’État étant une continuité, je pense que nous allons peut-être trouver la formule pour boucher les failles, trouvant des solutions. La transition à ce rythme n’est pas sur la bonne voie. Parce qu’elle doit de nos jours concerter en allant avec toutes les couches socio-politiques du Mali.ET nous, en tant que politiques, sommes surpris de voir que Bah N’Daw n’ait jamais rencontré la classe politique depuis son investiture. Nous ne soutenons pas une transition, mais soutenons la République. Parce que les membres de la transition passent, mais la République reste. Donc si elle chavire, nous chavirons tous. Et soutenir la République voudrait dire : critiquer et proposer des solutions. C’est raison pour laquelle que nous avons estimé que le CNT a été mis en place de façon arbitraire. Bah N’Daw lui-même n’a pas respecté le décret. Pour corriger ces erreurs, la classe politique doit être prise pour compléter le nombre des membres du CNT (121) à celui de l’Assemblée nationale dissoute (147). Cela changera la donne au niveau du CNT, et fera taire aussi beaucoup de tensions autour de l’hémicycle. Il faut un gouvernement d’union nationale aujourd’hui.
Cela fait plus de 5 ans que la Barkhane et la communauté internationale sont là pour aider le Mali à sécuriser les personnes et leurs biens. Tout récemment, on a même vu les Chefs d’État tenir un sommet à N’Djamena, au Tchad, pour la lutte contre le terrorisme dans le sahel. Ne pensez-vous pas que la présence de ces forces étrangères au Mali a été un échec ?
Je ne pense que cette présence soit un échec. Dans des situations comme la nôtre, il faudra être réaliste. C’est nous qui avons appelé ces forces étrangères en 2012.Depuis 2018, la COFOP et le parti « Union » ont demandé une coordination de toutes les forces ici présentes, voire celle des chefs d’État-major. Cela pourra donner beaucoup d’avantages face aux ennemis. Tout le monde s’est fait aider à un moment donné de l’histoire. La France dont on parle a été aidée par les africains pendant la guerre mondiale. Ce n’est pas mauvais, pour moi, à ce qu’on soit aidé par les autres. Mais il faudra vraiment mettre en œuvre les conclusions des sommets de Pau et de N’Djamena.
Compte tenu de la gestion opaque du pouvoir, le M5-RFP a récemment tenu un meeting pour dénoncer la gestion clanique du pouvoir. Quelle analyse faite-vous de cela ?
Certes j’ai beaucoup d’amis parmi eux, mais les membres du M5 font des erreurs. C’était une erreur de demander le départ d’IBK sans pour autant avoir un plan politique. Ils se sont faits assistés par une autorité morale. Il doit avoir une autorité politique quand les politiques se mettent ensemble, et non une autorité morale. Je pense que le M5 fait du travail politique. Le départ d’IBK n’était pas notre avis. Parce que nous disions que cela se termine par un coup d’État. Un militaire ne fait jamais un coup d’État pour remettre le pouvoir à un civil. Voilà la situation dans laquelle nous sommes de nos jours. Et sortir aujourd’hui brandir les armes pour dire à ceux-ci de quitter le pouvoir n’est pas notre avis.
Est-ce possible de tenir les élections dans le temps ? Quelles sont vos propositions de tenue d’élections crédibles et transparentes ?
Avec une bonne volonté politique, je dirais que c’est possible de tenir les élections dans le temps. Nous avons remarqué que nous ne sommes pas d’avis avec le PM Ouane par rapport à la mise en place d’un organe unique en charge des élections. Aujourd’hui, si la transition le veut réellement, elle doit pouvoir respecter le délai. Et s’ils ont un autre plan caché, ça va être difficile de respecter le délai. À Cela, je dirais qu’il faudra mettre fin à des arrestations arbitraires en respectant la constitution. La première proposition que je faite est la création d’un organe unique pour l’organisation des élections crédibles et transparentes. La deuxième c’est dire aux jeunes de s’intéresser à la politique. Il faut qu’il y ait relecture de certains articles de l’Accord d’Alger. Pour l’insécurité, nous évitons de faire des propositions, parce qu’on suppose que ce sont des militaires formés pour sécuriser les citoyens dirigent le pays.
Des derniers mots ?
Je souhaite que le Mali puisse sortir de l’ornière. Quand les Maliens se trouvent pour parler du pays, nous allons pouvoir trouver du chemin pour le Mali émergent. Je suis d’accord pour un Mali émergent. Mais je ne suis pas d’accord avec un ‘’Mali nouveau’’.
Réalisée par Mamadou Diarra