Suite à l’abrogation du décret de nomination des membres de la CENI, le débat fait rage au sein de la classe politique et même de la société civile. Pour en savoir d’avantage sur cette situation, nous avons approché un expert du domaine. Il s’agit de Dramane Diarra, président du réseau APEM, une ONG incontournable dans le domaine électoral au Mali.
L’Analyste: Monsieur DIARRA, pouvez-vous présenter brièvement le Réseau APEM (Réseau ONG d’Appui au Processus Electoral au Mali) dont vous avez la charge de présider ?
Dramane DIARRA : Le Réseau ONG d’Appui au Processus Electoral au Mali (Réseau APEM), plate-forme d’une cinquantaine d’organisations de la société civile, depuis sa création le 8 novembre 1996 se dédiait à l’accompagnement du processus démocratique et électoral au Mali, essentiellement, par :
La contribution au renforcement et à l’amélioration du cadre d’organisation et de mise en œuvre du processus électoral ;
L’éducation, la sensibilisation, la formation et l’information des acteurs, notamment des citoyens ;
L’observation électorale.
Ainsi, en 24 ans d’existence, le Réseau APEM s’est acquitté convenablement de cette mission avec l’accompagnement appréciable de nombreux partenaires techniques et financiers. En effet, le Réseau APEM a formé, informé, sensibilisé, tant les acteurs politiques, les agents électoraux et les citoyens à l’occasion de toutes les élections générales et même partielles qu’il a aussi observées, à l’exception notable des dernières législatives de mars et avril 2020. Tout simplement parce que le Réseau APEM n’a pas voulu s’associer à la mascarade, pourtant prévisible, qu’annonçait l’organisation de ces élections.
L’Analyste : Le 1er février dernier, le décret de nomination des membres de la CENI a été abrogé. Quelle appréciation faites-vous de cela ?
Dramane DIARRA : En guise de rappel, à la suite des élections générales de 1992, le désir de transparence occasionna la mise en place d’une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), chargée d’organiser entièrement les élections de 1997 en lieu et place de l’Administration. Cette expérience s’est soldée par un fiasco à l’occasion des élections législatives du 13 avril 1997, qui furent annulées par la Cour Constitutionnelle. En 2002, de nouvelles missions ont été assignées à la CENI qui, désormais, s’occupe essentiellement de la supervision et du suivi des opérations concourant à la régularité du référendum et des élections générales. Ces missions avaient pour effet de prévenir les manquements à la loi tout le long du processus électoral (de l’inscription des électeurs sur les listes électorales à la proclamation des résultats provisoires) au moyen de l’interpellation de tout infracteur, notamment l’administration, ou recours gracieux, et dans le cas échéant l’assignation du fautif devant les juridictions. La CENI ne s’est jamais valablement acquittée de cette tâche.
La loi électorale dit que les membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante sont nommés par décret pris en Conseil des Ministres avant le début des opérations de révision annuelle des listes électorales précédant l’année de l’élection. Elle poursuit en disposant que le mandat de la CENI prend fin trois (3) mois au plus après la proclamation définitive des résultats du référendum et des élections générales.
En l’espèce, la dernière CENI avait été mise en place par décret N°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017 et les dernières élections générales (législatives de mars-avril 2020) ont vu leurs résultats définitifs proclamés il y’a, au moins dix (10) mois. Par conséquent le décret d’abrogation (décret N°2021-0003/PT-RM du 08 janvier 2021) pouvait intervenir en août ou en septembre 2020, sans que personne ne trouve à s’en plaindre. Et mieux, après l’élection présidentielle de juillet-août 2018, le décret de nomination des membres de la CENI aurait pu être abrogé en novembre ou décembre 2018. Au regard des dispositions légales sus rappelées, cette abrogation est parfaitement légale, et a même pris du temps, comme on peut le constater.
Par ailleurs, en cas de statu quo, la nouvelle CENI devrait être mise en place avant le 1er octobre 2021, date du début des opérations de révision annuelle des listes électorales.
L’Analyste: Qu’est-ce que vous pouvez proposer aux autorités de la transition dans le cadre de la mise en place d’une nouvelle structure d’organisation des élections ?
Dramane DIARRA :
Le cadre d’organisation des élections au Mali (avec trois (3) structures concurrentes : Administration, CENI et Délégation Générale des Elections DGE) a montré toutes ses limites il y’a bien longtemps. Et le Réseau APEM, toujours à l’avant-garde des questions électorales et de démocratie a été des premières entités à dénoncer cet état de fait. Nous parlions tantôt du fiasco de la CENI de 1997, dû essentiellement au retard criard dans la mise en place de la CENI qu’à tout autre aspect. Dès lors, nous avons penché pour une structure unique d’organisation des élections, peu importe sa dénomination, pourvu qu’elle soit consensuelle, impartiale, responsable et efficace.
Maintenant, en ce qui concerne la mise en place d’une nouvelle structure d’organisation des élections, je dirai aux autorités de la transition, qu’il me semble trop tard de vouloir élaborer une structure entièrement nouvelle d’organisation des élections générales d’ici douze (12) mois. Or, l’administration dans son état actuel n’inspire pas confiance. Elle est même suspectée de manœuvres malsaines par nombre d’acteurs politiques et d’observateurs. Ainsi, je conseillerai aux autorités de la transition à immédiatement aller au consensus avec la classe politique et les acteurs de la société civile. Ensuite, il est impérieux de régler la question de la nouvelle structure d’organisation des élections d’ici le mois d’août 2021, soit d’ici six (6) mois, y compris la relecture de la loi électorale qui est inévitable. Les actes d’exclusion, les actions portant à équivoque ou à confusion, les velléités de partialité n’ont aucune raison d’exister aujourd’hui dans notre processus électoral. Vouloir la paix et la stabilité à la fin de la transition passe nécessairement par une préparation inclusive et absolument transparente et impartiale des élections. Au dernier semestre d’ici la fin de la transition il sera trop tard pour des compromis de bonne foi.
Nous espérons que les débats sur le nouveau cadre d’organisation des élections seront des plus ouverts afin que nous puissions y contribuer. Mais d’ores et déjà, en l’absence d’une structure toute nouvelle d’organisation des élections, de l’administration seule maitre d’œuvre, il y’a lieu d’envisager :
L’administration: pour l’organisation technique et matérielle ;
Une agence électorale: comprenant uniquement des personnalités recrutées suivant appel à candidature, ou bien majoritairement des personnes indépendantes avec quelques éléments de la classe politique. Elle doit être la plus consensuelle possible et sera chargée de la remontée des procès-verbaux, de la centralisation des résultats et de la proclamation des résultats provisoires.
Au-delà de la question de structure, nous avons un fichier électoral malsain pour plusieurs raisons : des noms de personnes décédées qui, même radiées par les commissions administratives, reviennent systématiquement d’année en année. Le centre de traitement des données qui relève du Ministère de l’Administration Territoriale et non de la DGE, ne les prenant pas en compte, on ne sait pour quelle raison. Il y’a aussi l’absence de casier électoral qui fait que de dizaines, voire de centaines de milliers de personnes condamnées, en tout cas privées du droit d’électeur par la loi ou par le juge, figurent sur les listes électorales. Cette situation permet l’organisation de fraudes massives à partir déjà des listes électorales. Par conséquent l’inscription volontaire pourrait être une solution. Sinon, le Ministre en charge de l’Administration Territoriale devrait recourir à l’établissement de nouvelles listes électorales ou tout au moins à une révision exceptionnelle de ces listes.
L’Analyste: L’idée de création d’un organe unique fait son chemin, adhérez-vous à cela ? Sinon qu’est-ce que vous pensez de cela ?
Dramane DIARRA :
Je l’ai rappelé au début que nous avons été parmi les premiers à demander la création d’un organe unique indépendant d’organisation des élections parce que lors de nos nombreuses sessions de formation, de sensibilisation des acteurs nous enregistrons la primeur de beaucoup de propositions, en plus de l’expertise avérée de beaucoup de nos adhérents. Et c’est aussi pourquoi nos avis sont recherchés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Pays. Donc pour répondre à votre question, nous adhérons pleinement à la création d’une telle structure.