La CDR a pu mesurer que les choses restaient compliquées dans la ville où les divergences s’expriment sans équivoque. C’est hier que le président de la Commission dialogue et réconciliation (CDR) est arrivé à Kidal, où il a été accueilli à l'aérodrome par le gouverneur Adama Kamissoko. La délégation comprenait également neuf commissaires et une équipe de journalistes. Au cours de cette visite de prise de contact avec les autorités régionales, notabilités, populations civiles et groupes armés, Mohamed Salia Sokona a expliqué les objectifs de sa structure.
L'étape kidaloise boucle une longue tournée nationale initiée par la Commission. À Kidal, le président de la CDR a prêté une oreille attentive aux critiques et appréciation des uns et des autres envers son institution. Pour lui, l’important était que dans cette ville devenue très particulière toutes les parties conviées aux échanges fussent réunies dans la même salle de conférence, assises côte à côte. Chacun des protagonistes avait son drapeau en main et tout s’est passé sans incident notable, mais dans une atmosphère passablement agitée.
Après une rencontre à huis clos à la mairie entre le gouverneur, le visiteur du jour et le représentant du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), Mohamed Ag Intallah, la délégation a rendu une visite de courtoisie au patriarche Intallah Ag Attaher. Mais avant de s’y rendre, il lui a fallu passer quelques coups de fil pour calmer le petit groupe de manifestants pro-MNLA qui s'était posté devant l'Assemblée régionale où devait avoir eu lieu la rencontre avec les populations.
La dite rencontre s'est par ailleurs tenue dans un climat tendu. Car dans la salle de conférences de l'Assemblée quelques drapeaux du MNLA flottaient face à celui du Mali, posé devant le gouverneur installé au présidium. De même, les exclamations provocatrices ont résonné à plusieurs reprises dans la salle. Chaque fois que le président de la CDR ou le gouverneur prononçait le mot «Mali», des membres du MNLA - en majorité des femmes et des jeunes - scandaient «Azawad» du fond de la salle. Il faut noter que les représentants de la communauté Imghad (proche du colonel-major Elhadj Ag Gamou) qui est restée attachée à la République du Mali se sont abstenus de tout tapage avant l’intervention de son porte-parole.
Pour le gouverneur, Adama Kamissoko, les autorités administratives et politiques de la Région de Kidal ne ménageront aucun effort pour jouer pleinement leur partition dans la réussite du processus enclenché. Le chef de l’exécutif régional a aussi lancé un vibrant appel à l’ensemble de la population afin qu’elle s’inscrive résolument dans cette dynamique de paix et de réconciliation.
Les deux groupes armés MNLA et HCUA ont lu une déclaration commune devant les officiels avant de claquer la porte de la réunion en scandant «Azawad, Mali no». Traduisez « Vive Azawad, non au Mali ». Dans cette déclaration, ils refusaient toute légitimité la CDR, après des allégations de crimes contre leurs proches de la part des forces armées maliennes. «Le MNLA et le HCUA ne voient aucune efficacité dans la création d'une commission mise en place unilatéralement par un gouvernement de transition», soulignait la déclaration qui poursuivait que «par ailleurs le MNLA et le HCUA considèrent incongrue l'inclusion d'un ressortissant de l'Azawad dans une commission de l'Azawad». La lettre est signée par trois personnalités dont le vieil Intallah.
Après cette scène particulière, la rencontre pouvait continuer avec les représentants des autres communautés qui étaient plus nombreux et moins bruyants que les supporters de l’Azawad. Lorsqu’il a pris la parole, le représentant de la communauté Imghad, Ahmoudène Ag Ikmass, a tenu à saluer et à apprécier positivement la création de la CDR qui, selon sa conviction, ramènera la paix entre les deux parties. Un autre intervenant, Baba Ag Rhissa (qui disait s’exprimer en son nom propre), a pris la parole pour dire qu'il «difficile de trouver la solution à un problème dans une ville comme Kidal, où tout le monde croit chef. Personne ne veut écouter l'autre».
La signification de ce message codé était claire pour les initiés. La déclaration demandait en fait le rétablissement de l’autorité de ceux qu’elle désigne comme les vrais chefs traditionnels et qui dans un passé assez lointain avaient été évincés par le pouvoir colonial. Leurs remplaçants -autrement dit ceux qui à la faveur de la mise à l’écart de la vraie autorité traditionnelle se sont accaparés de la chefferie de la région - n'en font aujourd’hui qu'à leur tête au grand dam d’une majorité acculée au silence.
Ce que les intervenants ont exprimé était sans équivoque : les Imghad ne veulent plus rester sous la domination d'une autre ethnie qui a pris les armes contre la République, au nom de toutes les ethnies du Nord.
La tempête de sable qui s'annonçait a obligé la délégation à lever le camp plus tôt que prévu. Le déplacement de la délégation était sécurisé par les forces étrangères de la MINUSMA, l'Opération Serval et les forces armées maliennes. Le président de la CDR a promis retourner bientôt pour échanger longuement avec tout le monde. Après ce que l’on a vu et entendu, ce deuxième contact ne sera pas de trop, même s’il s’annonce aussi compliqué que le premier.