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Entretien exclusif avec Me Mountaga Tall : « Nous sommes en plein dans la continuité de ce que les Maliens ont rejeté »
Publié le mardi 9 mars 2021  |  L'Alerte
Conference
© aBamako.com par A S
Conference de presse du Candidat Mountaga Tall
Bamako, le 09 juillet 2018 le candidat Mountaga Tall a tenu une conference de presse
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Dans une interview exclusive qu’il nous a accordée une semaine avant l’assemblée générale du M5-RFP, Me Mountaga Tall s’est prononcé sur l’état du Cnid, sa formation politique avant d’aborder la situation sociopolitique du Mali. L’homme de droit et membre du Comité stratégique du M5-RFP y parle notamment de la gestion de la transition, la crise sécuritaire ainsi que la nécessité pour les autorités actuelles de créer les conditions d’un processus inclusif pour jeter les jalons de la refondation du Mali. Lisez plutôt !


L’ALERTE : Maître Tall, comment se porte le CNID votre formation politique ?



Me Mountaga Tall : Ecoute, le CNID, est, aux termes de la loi et des critères du ministère de l’Administration territoriale, de ceux de la Délégation générale aux élections, le 5ème parti politique sur près de 220 au Mali. J’ai toujours dit que rester dans le top 5 pendant près de 30 ans peut être considéré comme appréciable, mais j’ai toujours ajouté que je ne m’en contente pas. Nous pouvons et nous devons devenir premier et nous travaillons dur, très dur pour cela.



Quelle sera la ligne de conduite de cette formation politique, le CNID aura un candidat ? C’est Maitre Tall ?



Il ne faut confondre torchon et serviette ni aller vite en besogne. Le CNID a tenu un congrès ordinaire au mois de décembre. Un congrès qui n’avait pas l’envergure de nos congrès précédents en raison des mesures liées à la pandémie à coronavirus. Ce congrès a décidé de la tenue d’un congrès extraordinaire en fin mai 2021. Cette date devrait d’ailleurs coïncider avec le trentième anniversaire de notre parti. J’ai soumis au congrès du mois de décembre mon souhait de ne pas renouveler mon mandat à la tête du parti lors du prochain congrès extraordinaire. Nous en discuterons mais ceci est ma position même si au moment du congrès je n’ai pas été suffisamment compris ni entendu mais je demeure sur cette position. Nous avons dit qu’il faut faire plus de place aux jeunes et aux femmes. Mais le congrès extraordinaire, délibérera sur les choix du parti pour l’élection présidentielle à venir. Sur ce point, aucune décision n’est prise et par conséquent je ne pourrai pas vous donner d’élément fiable et précis.



Si on demande à maitre Tall de renoncer à sa propre candidature au profit d’une plateforme politique comme le M5-RFP, est ce qu’il sera disposé à le faire ?



Les problèmes de candidature ne sont jamais des questions personnelles quand on vient d’un parti politique. Ce sont des questions portées par le parti. Une candidature personnelle provient d’un candidat qui n’a rien derrière lui et qui, au pied du lit le matin décide d’être ou de ne pas être candidat. Le Cnid Faso Yiriwa ton, depuis les élections de 1992 jusqu’à aujourd’hui a procédé par des choix démocratiques, par des primaires et personne n’a jamais entendu Maitre Tall dire avant un congrès du parti qu’il décide du choix du candidat ou que j’en serai ou je n’en serai pas. Ce n’est pas le moment de déroger à cette règle, d’en faire une jurisprudence qui desservira le parti à l’avenir.



Le mois de février a été marqué par la publication d’un manifeste attribué à l’ancien autorité morale du M5-RFP, quelle analyse faites-vous de ce manifeste ?



Aucune appréciation, l’autorité morale n’a jamais été l’autorité politique. Vous savez tous les Imams au Mali, à moins de n’en être pas un véritable est une autorité morale. Ce contrat nous a liés à l’Imam Mahmoud Dicko qui a décidé en toute liberté de regagner sa mosquée et qui décide aujourd’hui d’en ressortir par le biais d’un mémorandum. Quelle appréciation voulez-vous que je puisse porter sur une initiative personnelle pour laquelle je ne suis pas consulté et j’allais dire concerné. Je considère qu’il s’agisse de l’Imam Dicko ou de n’importe quel autre Malien, que chacun est libre de choisir sa démarche et sa voie. Par contre, des commentaires ont accompagné le lancement de ce mémorandum où j’ai entendu dire que ce sont les responsables politiques dans leur décadence qui sont allés chercher les leaders religieux pour se cacher derrière eux. Cela ne correspond pas à la réalité historique. La vérité est que n’importe quel candidat a l’obligation d’abord de se faire élire, puis, pour réussir son mandat d’avoir avec lui toutes les couches socio-professionnelles du pays. Parmi ces couches, je ne vois aucune raison pour laquelle on fera une stigmatisation, une fixation sur les religieux. Mais à côté d’eux il y a les femmes, les jeunes, les opérateurs économiques, les Maliens de la diaspora, les artisans, les artistes que les candidats vont aussi voir. C’est le minimum à faire si la candidature est sérieuse. Aller voir quelqu’un pour lui exposer son programme, lui demander d’accompagner ce programme ne peut pas être considéré comme un échec d’une classe politique. Il est vrai que certains religieux ont accepté d’accompagner certains hommes politiques mais c’est plus qu’une minorité, ça ce compte sur les cinq doigts d’une main.



Le Mali vit dans une période de transition depuis 7 mois, quelle analyse faite vous de cette situation exceptionnelle en terme politique ?

Vous savez, quels que soient les mots que l’on puisse utiliser, ce qui est en cours aujourd’hui, est l’aboutissement de la lutte héroïque et patriotique que le M5 a menée. Que cette lutte ait été récupérée par quelques militaires réunis au sein d’un conseil est un fait. Que le M5 –RFP ait tout fait pour faire comprendre à ces officiers que la réussite de la transition passait par un partenariat privilégié entre eux deux sans exclure quiconque d’autre est également un fait constaté par l’ensemble de la classe politique malienne et au-delà l’ensemble des Maliens. Que la junte militaire ait choisi une voie différente en cheminant seule est également un fait. Nous en avons tiré les enseignements et les conséquences au niveau du M5-RFP en disant dans un premier temps, faisons tout, même en dehors des institutions et des organes de la transition, pour aider la transition à réussir par ce que c’est notre bébé. On ne nous a pas donné l’opportunité de nous occuper de notre bébé. Pis, nous avons vu que ce qui était en cours n’avait rien à voir avec la transition de rupture souhaitée par le peuple malien qui a mené une lutte, portée par le M5-RFP pour la refondation du Mali. Nous sommes très loin aujourd’hui, d’un schéma de refondation du Mali. Nous sommes en plein dans la continuité de ce que les Maliens ont rejeté. En conséquence et en toute logique le M5 dont les positions sont les miennes a clairement dit qu’il faut rectifier la trajectoire de la transition. On rectifie une trajectoire quand elle n’est pas bonne. Je considère que la voie suivie n’est pas bonne, je suis avec le M5-RFP dans la logique de la rectification de la trajectoire pour offrir aux Maliens la transition de leur attente.



La voie a été déviée, donc on n’est pas dans la dynamique d’une refondation mais selon vous entre légalité et légitimité, quelle est la terminologie qui colle mieux à cette transition et ses acteurs ?



Au fait je ne voulais pas rentrer dans la science politique, moi je fais de la politique, je me pose une seule question. Est-ce que cette transition répond aux attentes des Maliens ? Est-ce qu’elle fait face aux priorités d’aujourd’hui à savoir la sécurité sous ses différents angles, la sécurité au nord, la sécurité au centre, l’insécurité qui s’est étendue sur l’ensemble du territoire, la sécurité alimentaire ? Ces questions se posent. Il y a aussi la gestion des crises sociales qui ont rarement atteint le niveau qu’elles ont d’aujourd’hui. Est-ce qu’on y fait face réellement ou est ce qu’on est en train de mettre la poussière sur le tapis en différant les problèmes sans jamais les régler. Est-ce que les bases de la refondation du Mali sont en train d’être posées, est-ce que le concept de la refondation est compris et mis en œuvre ? Pour ma part, je reste très sceptique et c’est pour cette raison que nous continuons à expliquer aux Maliens que la lutte n’est pas terminée et qu’il faudrait que tous ensemble nous devrons convaincre ceux qui détiennent aujourd’hui le levier du pouvoir à changer de trajectoire ou que nous nous donnions les moyens de les faire changer de trajectoire.



Deux transitions à moins de 10 ans, n’est-ce pas une insuffisance de notre démocratie et de ses acteurs notamment la classe politique ?



On fait un faux procès à la classe politique. Personne ne peut dire aujourd’hui que la classe politique n’est pas décriée au Mali du fait du comportement de certains hommes politiques que j’ai critiqués verbalement, par écrit et dans mes programmes. Ce n’est pas pour rien qu’en 1992, le CNID n’a pas accepté d’aller au gouvernement. Nous avions dit à l’époque que nous n’allions pas signer le pacte soumis aux partis qui voulaient aller au Gouvernement. C’était les PSPR, « les Partis Signataires du Pacte Républicain » parce que nous n’y croyions pas. Nous avons payé cher par notre liberté, notre honneur bafoué, nos amis dégagés de toute l’administration, d’autres amis dégagés de tous les marchés publics etc. Nous avons décidé d’assumer. A partir de ce moment il est difficile de comprendre que l’on considère que ceux qui ont combattu le système décrié et ceux qui étaient les acteurs de ce système aient les mêmes responsabilités. Cela ne marche pas. Qu’est-ce qui a été décrié au Mali aujourd’hui ? C’est la gouvernance et dans cette gouvernance il y a la part prise par certains hommes politiques mais aussi la part prise par certains militaires, la part prise par certains de la société civile et puisque je parle avec vous, la part prise par certains journalistes et d’autres. Tout le monde est concerné. Je ne dirai pas que tout le monde est coupable, mais la classe politique au Mali, en dehors de la période 1960 à 1968, n’a jamais dirigé seule le Mali. Dans tous les gouvernements il y avait des politiques, des acteurs de la société civile et des porteurs d’uniforme. Mais malheureusement cette gouvernance n’a pas été à la hauteur des attentes et je fais partie de ceux qui l’ont critiquée, qui ont proposé des solutions, même quand j’étais au gouvernement. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que je n’y étais plus parce que ce que j’ai vu à l’intérieur ne correspondait pas à ma vision, ni à mon éthique.



Le Premier ministre a présenté son plan d’action pour la conduite de la transition, 6 axes déclinés en 23 objectifs, 275 actions évaluées à travers 271 indicateurs. Voilà en résumé le plan d’action du premier ministre. Ce vaste chantier pour 13 mois, n’est-ce pas une ambition utopique ?



Le premier ministre est allé exposer un programme devant le CNT dont il a cherché et obtenu l’aval. Mais le M5 ne reconnait pas le CNT ni dans sa légalité, ni dans sa légitimité. A partir de ce moment, je suis en dehors de ce débat qui ne me concerne en rien. Quand la Cour suprême que nous avons saisie, nous dira qu’on a tort, cette CNT est légale et légitime, nous pourrions alors rentrer dans l’examen de ce que fait le CNT et de ce qu’on lui a proposé. Je serais étonné que la Cour dise cela parce que notre dossier est en béton, en béton armé. Mais nous ne demandons qu’une seule chose, que les autorités de la transition produisent un tableau pour nous dire : voici l’entité d’origine des différents membres du CNT et voici la lettre par laquelle ces entités d’origines les ont proposées. En ce moment les Maliens sauront si le CNT est un organe légitime ou pas. Je n’ai aucun problème avec les membres du CNT, je ne cherche pas à y être membre, je ne le serai pas. Je ne veux pas que quelqu’un en sorte forcement, je n’ai pas de proposition pour que quelqu’un y soit mais je rappelle que j’ai dédié ma vie au respect de la loi et à l’état de droit. Le M5 a dit depuis ses premières déclarations jusqu’aujourd’hui, que nous restons dans le cadre de la loi. Nous estimons que le CNT viole la Loi.



La classe politique demande la mise en place d’un organe unique de gestion des élections. Mais cela ne semble pas être la dynamique du gouvernement actuel. Que pensez-vous de cela ?



Pourquoi vous parlez de la classe politique seule ? Le dialogue national inclusif auquel nous n’avons pas participé l’a demandé. Les journées de concertations sur la transition l’ont demandé, la classe politique, la société civile, les organisations de suivi des élections l’ont demandé, c’est le seul sujet d’unanimité. Alors comment peut-on au regard d’un sujet qui fait l’unanimité vouloir faire autre chose et vouloir le faire pour le peuple malien ? C’est quand même très compliqué pour moi de comprendre cette démarche, mais je connais la finalité. Il s’agit d’organiser une session amicale du pouvoir. On l’a déjà connu au Mali, nous savons où cela nous a amenés et on n’est pas prêt d’accepter encore un tel schéma qui va enfoncer davantage le Mali dans le chaos. Le temps est venu où il faut un processus électoral transparent, inclusif afin que tout le monde se reconnaisse dans le résultat d’une élection. Voilà ce que nous souhaitons, voilà ce que nous voulons. Mais l’organe unique, il existe de fait aujourd’hui. Personne ne peut faire grief à un ministre d’avoir un comité ou une commission interne au ministère, mais quand on regarde les pouvoirs du comité, créé aujourd’hui auprès du ministère de l’Administration territoriale, c’est l’organe unique de fait. Il s’est adjugé des pouvoirs de la CENI, il conserve le pouvoir de l’Administration territoriale, il reste le fichier sur lequel le gouvernement a la haute main.



Visionnaire que vous êtes, quels doivent être aujourd’hui les axes prioritaires pour la bonne conduite de cette transition ?

L’histoire dira que la Charte de la transition, la Feuille de route sont des propositions du M5 qui ont été soit édulcorées, soit charcutées, soit vidées de leur contenu en tel ou tel endroit pour des raisons de convenance personnelle à ceux qui devaient prendre des décisions. Mais les documents complets que nous avons déposés devraient permettre de ne plus se poser ce genre de question. Nous partons d’une proposition très claire : l’organisation des assises nationales de la refondation au cours desquelles tous les problèmes seront mis sur la table. Ce ne serait pas un forum de plus. Ce serait un forum à finalité définie très clairement : par quel bout, de quelle façon, avec quel moyen et dans quel délai opérer. C’est cela la mission principale de la transition. Ceux qui pensent qu’il s’agit juste d’organiser les élections se trompent parce qu’on ne peut pas organiser les élections si la refondation n’est pas mise en œuvre. Les organiser serait l’aboutissement, dans le cadre de la transition, d’un processus de refondation. Donc pour répondre à votre question, au cours des assises nationales de la refondation, ces questions seront abordées et résolues, nous y avons suffisamment réfléchi.



On a l’impression que la lutte contre la corruption est le dernier souci des autorités actuelles ?



Parce que la corruption aujourd’hui est plus prégnante que sous IBK. Non seulement rien n’a changé mais surtout les choses se sont aggravées. C’est cela la vérité.



Donc c’est du IBK sans IBK?



Oui, IBK sans IBK c’est la même chose, quelque fois les choses se sont empirées. Et ce n’est pas que pour ça que les maliens se sont retrouvés au Monument de l’indépendance, ce n’est pas pour cela que certains ont donné leur vie, ce n’est pas pour cela que certains sont éclopés à vie, et ce n’est pas pour cela que nous, à notre âge, sommes allés sous le soleil, sous les grenades lacrymogènes et les balles au Monument de l’indépendance et dans la rue pour dire qu’il faut changer. Le changement, ce n’est pas la marche en arrière, le changement ce n’est pas retomber dans un gouffre, le changement c’est avancer. Mais malheureusement nous n’en sommes pas là.



Au moment où certains de vos concitoyens demandent la relecture voire même le rejet pur et simple de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, les autorités de la transition s’engagent pour sa mise en œuvre intégrale. Quelle est votre analyse ?



Moi je ne suis pas de ceux qui disent qu’il faut rejeter l’Accord, je ne suis pas de ceux qui disent non plus qu’il faut l’appliquer intégralement. Je me pose simplement une question. Lorsque vous êtes dans un véhicule qui n’avance pas, qui est en panne, vous ne pouvez pas dire que vous continuez. Vous cherchez la panne, les problèmes, les difficultés, la pièce à réparer, nous en sommes là avec l’Accord. Depuis 6 ans, il n’y a pas d’avancée significative. Si on ne marque pas une pause entre parties et de bonne foi pour se demander pourquoi cela n’avance pas, on restera dans les invectives et dans les incantations sans pouvoir avancer. Donc pour moi, il faut une relecture de bonne foi dans le cadre prévu par l’accord lui-même. Maintenant si dans cet exercice, il y a des blocages, on avisera. Parce que certains pensent que ce ne sera jamais possible, qu’on n’obtiendra pas l’accord de toutes les parties pour réviser. Moi je crédite tout le monde de bonne foi, je préfère juger sur acte au lieu de prêter des intentions.



Un message pour vos concitoyens et pour les autorités actuelles ?



A mon avis, le Mali n’est pas sorti de la zone de turbulence. Au contraire les turbulences se sont aggravées et on ne peut pas laisser le Mali dans cet état. C’est pourquoi j’en appelle à la responsabilité des autorités, j’en appelle à l’engagement des citoyens pour faire en sorte que le Mali ne bascule pas. Le M5 a toujours dit que le Mali encourait un grave risque de disparition en tant que république, en tant que nation, en tant qu’Etat. Ce ne sont pas des paroles en l’air, le risque est grand, conjurons-le si nous voulons garder notre mère patrie, ce bien qui nous est commun et qui nous appartient tous.

Interview réalisée par Nouhoum DICKO

Source : L’Alerte
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