Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Mohamed Amara, sociologue á l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako : « La situation du Sahel, une jauge de la politique intérieure française »
Publié le mercredi 17 mars 2021  |  Mali Tribune
Comment


Au Sahel, la menace djihadiste tend vers le Sud sahélien dans les pays côtiers comme la Côte d’Ivoire, le Benin… Malgré les engagements des chefs d’Etat sahélien, les Groupes armés terroristes (GAT) constituent toujours une menace importante pour les populations sahéliennes.
Au Mali les attaques se multiplient par-ci par-là, à tel point que nous assistons à une force de frappe disproportionnée et un enlisement de la situation sécuritaire. Qu’est-ce qui explique la multiplication de ces attaques ? Quelles sont les raisons de cet enlisement ? Mohamed Amara, sociologue à l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako et auteur de plusieurs livres dont : Marchands d’angoisses, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être, éditions Grandvaux, livre son analyse.



Mali-Tribune : Les attaques se multiplient ces derniers temps au Mali, Hérémakono, San, Koro etc. Qu’est-ce qui explique toutes ces attaques par-ci par-là ?

M A. : Toutes ces attaques par-ci par-là au Mali, c’est une façon de rééquilibrer les rapports de force. Ces groupes armés terroristes, il faut qu’ils existent, et pour exister, il faut qu’ils pèsent et pour peser il faut agir. Et agir c’est quoi ? C’est tuer nos Famas et extorquer de l’argent et spolier des populations locales pour s’imposer. Au cas où demain, il y a des possibles négociations. Ils savent très bien qu’ils ne peuvent plus prendre les capitales, cela n’est plus possible. Nous sommes tous d’accord qu’aujourd’hui, qu’on ne peut pas rester Ad vitam aeternam dans une guerre. A un moment, cette guerre va finir. Par contre, nous aurons toujours des crises à gérer, des gens qu’il faut insérer.



Mali-Tribune : A l’issue du sommet de N’Djamena le Président Idriss Deby Itno a envoyé 1 200 soldats tchadiens dans la zone des trois frontières pour lutter contre le terrorisme. Peut-on s’attendre à la décapitation des groupes djihadistes qui opèrent dans cette zone ?

M. A.: Je ne le pense pas, parce que la situation du Sahel est très complexe, c’est-à-dire quand on veut faire l’inventaire des groupes qui opèrent dans le Sahel Gsim ou Aqmi, ces groupes se sont installés de façon profonde dans le Sahel. Ils ont des liens partout, comme les liens de mariage. Ils ont reçu à développer une économie locale malheureusement qui échappe à toute forme de fiscalité. Ils prélèvent des impôts, des taxes locales sur le bétail pour nourrir leurs projets narcoterroristes : contrôler les territoires dans lesquels ils sont installés et par la suite développer leur vision du monde, qui est une vision terroriste, construite sur la terreur. Parler de décapitation, c’est certainement une façon de parler, c’est un projet intéressant. Mais penser qu’il faudrait plutôt voir sur comment le G5 Sahel y compris la France qui est un partenaire parvient à se donner la main pour coopérer, agir ensemble contre ce phénomène, cela pose nécessairement la question du dialogue avec Ag Ghali et Kouffa, tous des Maliens, aujourd’hui au Sahel et au Mali. On peut certes faire la guerre contre ceux qui seront contre la paix, et dialoguer ceux qui acceptent de faire la paix comme en Algérie dans les années 90 où, grâce au dispositif de concorde civile, les éléments du GSPC qui ont accepté de déposer les armes ont été amnistiés et inscrits dans une politique de réinsertion. Il faudrait donc trouver l’équilibre entre le fait qu’il faut faire la guerre contre les faucons (les terroristes) et le fait qu’il faut construire la paix avec les colombes. Quand on regarde la situation de nos Etats, nous avons été beaucoup fragilisés par ces guerres depuis 2012. Décapiter ! Pourquoi pas ? Mais avons-nous les moyens aujourd’hui de la faire ?

Mali-Tribune : Quelles sont selon vous, les raisons qui ont poussé Emmanuel Macron à renoncer à la réduction de la force Barkhane ?

M.A.: Je ne suis pas dans les secrets de Dieu. Macron est un Président tout ce qu’il dit, il le dit certes en fonction des éléments d’informations dont il dispose, fournis par les renseignements généraux la (DGSE), et aussi en fonction de son électorat à propos de la présidentielle de 2022. Laquelle élection présidentielle compte beaucoup pour le Président Macron pour sa réélection.

Et donc la situation du Mali et du Sahel est devenue une sorte de jauge de la politique intérieure française. Les opposants à Macron comme Jean-Luc Mélenchon de la France insoumise, comme Marine Le Pen du Rassemblement nationale (RN) essayent de se servir de la gestion du Sahel pour battre Macron en 2022. Le Président Macron sait très bien qu’une éventuelle réduction de l’effectif des militaires au Sahel, sans renforcer les capacités de résistances des Armées du G5-Sahel, pourrait impacter la dynamique sécuritaire actuelle. Et la conséquence immédiate d’une telle décision, c’est l’enlisement. Un tel enlisement peut avoir un impact sur sa réélection.

Mali-Tribune : Malgré les moyens humains, financiers et logistiques mis en œuvre, la situation sécuritaire s’enlise davantage. Qu’est ce qui explique cet enlisement ?

M.A.: Il y a deux niveaux d’explications. Tout le monde est d’accord qu’il y a une militarisation du Sahel. Malgré tout, la situation sécuritaire du Sahel n’est pas loin de l’enlisement à cause de la fragilité de nos Etats. Les contestations post-électorales au Niger et dans d’autres pays voisins (Côte d’Ivoire et Guinée Conakry, qui ne font pas partir du G5 Sahel) dénotent de la permanence des instabilités politiques. C’est le premier niveau d’explication.

Le deuxième niveau d’explication de ce bourbier sahélien, c’est le fait que le G5 Sahel a eu beaucoup de difficultés à voler de ses propres ailes. De prime à bord, Le G5-Sahel a été créé pour remplacer à terme Barkhane. Malheureusement, les cinq Etats du G5-Sahel n’ont pas réuni les financements nécessaires pour un fonctionnement autonome. Pour pallier ce déficit, la France reste en tête du contreterrorisme tant qu’il n’y a pas une autonomie financière de la force conjointe, G5-Sahel.

Mali-Tribune : Avec les 5 100 hommes plus la Task-force Takuba en cours est-ce que le Sahel n’est pas une poudrière ?M. A. : Je pense que le Sahel aujourd’hui est devenu un foyer de tensions sécuritaire, politique, sociale, et je dirai même économique à cause de la crise sanitaire (Covid-19), révélatrice des problèmes économiques déjà là. Nous avons vu en 2020, le point de départ des manifestations contre le régime IBK, c’était le couvre-feu en plus de la manifestation des soignants à Kayes qui demandaient plus des matériels adéquats pour lutter contre la Covid-19, sans oublier le contentieux électoral des législatives qui a mis le feu aux poudres. Quand le Mali brûle, il pourrait embraser ses voisins. Donc, ce foyer de tensions met au travail tous les Etats qui ont des intérêts avec le Mali et dans le Sahel. Dans ce cadre, la France, un des partenaires importants du Mali, tente d’éteindre le brasier malien, burkinabé, ou nigérien avant qu’il ne déborde des côtes atlantiques. Personne n’a envie que le terrorisme sahélien déborde et atteignent l’Europe. Récemment, le patron des renseignements généraux français disait que la menace est partout, et que des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal sont sous menaces terroristes. La future force Task-force Takuba doit soulager la France et aussi internationaliser la lutte contre le terrorisme au Sahel.



Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

(stagiaire)


Commentaires

Sondage
Nous suivre
Nos réseaux sociaux

Comment