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Adam Thiam conduit hier à sa dernière demeure: Un hommage poignant de Tiébilé Dramé à son ami
Publié le lundi 22 mars 2021  |  Le Combat
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Quand, en route pour Pasteur, dans la nuit du 5 au 6 mars, en compagnie de Zeynaba Dikko, tu m’as appelé pour me parler de ton état de santé, j’étais loin, très loin de penser que tu avais quitté ton domicile pour un voyage sans retour.

Je suis encore loin d’être prêt pour cet exercice que le destin m’impose: faire ton éloge funèbre.

D’autant que j’avais toujours pensé que c’est toi qui ferais mon oraison funèbre, toi aux grandes capacités d’écriture, toi dont la sensibilité et l’intelligence sont désormais légendaires!

Mesdames et Messieurs,

Chers frères et sœurs, chers enfants, me voici donc, dans un rôle auquel je ne m’étais nullement préparé, d’où le caractère décousu de ce que je vais dire à cette assistance venue ici pour toi suite à l’émotion que ton départ brusque a suscitée.

Départ brusque, oui!

Au Point G, les 14, 15 et 16 mars , les progrès résultants de la technique de ventilation non invasive (VNI), l’oxygène de qualité, les heures de sommeil de qualité, les massages pulmonaires ont conduit les praticiens à te transférer, le 17 mars, de l’Unité Covid-19 vers une salle individuelle au service de Réanimation polyvalente, dernière étape vers la poursuite du traitement à la maison. Je recevais et transmettais au compte-gouttes ces nouvelles rassurantes quand, patatras, le 18 mars à 21h53, je reçus ce message : « Koro, je n’ai pas de bonne nouvelle! Adam vient de décéder à la suite d’un arrêt brutal du cœur »!

Quoi?

Me précipitant à l’hôpital, dans les minutes qui ont suivi l’appel, j’y trouve, abasourdis et hébétés, le Docteur Ibrahima Traoré « You » et la Jeewo Maalaado: Zeynaba Dikko.

Oui, cette mort a pris de court! D’où l’émotion suscitée tant au Mali que hors de nos frontières.

Adam était mon ami. Nous avons été dans la même classe au Lycée de Badala. Nous nous sommes retrouvés à Londres vers la fin des années 1980. Il travaillait chez Accor, une ONG internationale présidée Simone Veil, j’étais chercheur chez Amnesty International dont le Secrétaire Général était Ian Martin!

Notre proximité, celle de nos familles, notre complicité intellectuelle datent de ces années londoniennes.

Revenus en Afrique, lui à

Dakar pour Oxfam, moi à Bamako après le succès de la révolution démocratique, nous avons posé ensemble les fondations du Républicain dont il est devenu après une formation à Boston, Massassuchetts, l’Éditorialiste respecté. Peu à peu, l’analyste politique s’est imposé. Ses avis étaient sollicités au Mali et hors de nos frontières.

Adam était d’abord un homme de terrain et un acteur majeur des ONG internationales, véritables écoles d’engagement et d’humilité.

Pour en arriver là, il est passé par l’Université de Dakar, puis, il est allé très tôt à la meilleure université du monde: celle du terrain, auprès des communautés à la base. Ce terrain qui commande et dont les conclusions telles des sentences imposent le respect.

En effet, après ses études supérieures, il est aussitôt recruté par le CIPEA ( Centre international pour la promotion de l’élevage en Afrique) dont le chef de programme, Jeremy Swift, un passionné du Sahel, reste un ami au Mali.

Hier soir, Jeremy m’a envoyé un témoignage dont je tire l’extrait ci-après:

» Adam était un des premiers chercheurs dans les années mille neuf cent soixante-dix avec lesquels j’ai travaillé sur l’économie des pasteurs Peulh du Gourma Malien. Il était un chercheur de grande qualité. Son rapport sur la vision des pasteurs eux-mêmes de leur économie et de leur utilisation des ressources naturelles était un des principaux documents sortis de la recherche de cette équipe. Il montrait une compréhension profonde de la vie de ces gens, de leurs problèmes, et surtout de leurs connaissances techniques, économiques et écologiques au sujet de l’élevage ».

Le Gourma malien, le Haoussa, le Seeno, le Seeno Mango. le Haïré, Gao, les dunes du Tilemsi, l’ Adagh n’avaient pas de secret pour Adam. Il connaissait son pays et ses habitants. Immense privilège qui donne une autorité certaine et incontestée.

Les années qui ont suivi, la grande sécheresse et la famine de 1973, 1974 et 1975 ont drainé vers le Sahel, nombre de jeunes européens et américains animateurs d’ONG comme « Save the Children », Oxfam, Accor. Plusieurs de ces jeunes idéalistes et généreux, rencontrés sur le terrain, sont encore dans l’univers d’Adam et parmi ses meilleurs amis: Camilla Toulmin habitante de Dogoduman (Ségou), Cédric Hesse ou Mike McIinton

Adam était aussi un amoureux des musiques du terroir et des belles lettres. Originaire d’une famille dont l’aïeul, Mamadou Thiam est parti du Fouta Tooro (la vallée du fleuve Sénégal) à la suite des dernières campagnes d’émigration impulsées par Ahmadou Sékou, Roi et Émir El Moumines à Ségou, Adam a montré toute sa vie durant une sensibilité particulière aux musiques du terroir: » le symbole de la dignité et du lien social » Samba Diabaré Samb, le Yeela, les chants et danses des guerriers de la vallée du fleuve, Baaba Maal, Mangala, les chants et la geste de Ségou, du Khasso, la Cora, le Balafon, le Mandé , le Kénédougou, les rythmes du centre et j’en passe…

Homme de lettres, admirateur de l’immense éveilleur des consciences, Aimé Césaire, de la figure universelle des Arts et des Lettres, le poète, philosophe et sage des Indes, Rabindranah Tagore ou d’Édouard Maunick, le grand poète des rives africaines de l’Océan Indien. Que dire de l’exaltation de la poésie patriotique du Palestinien Mahamoud Darwiche?

Pour comprendre la sensibilité esthétique et poétique de Adam Thiam, il faut se référer à son histoire familiale, notamment à la figure tutélaire du frère aîné, Thierno Ahmed disparu trop tôt qui, même mort, a continué d’exercer sur le cadet une fascination irrépressible.

Thierno Ahmed, c’était une voix unique, le chantre de « Ma patrie, le Mali…terre d’accueil, d’ hospitalité, d’humanité et de réconciliation ».

Adam, militant. Peu de gens savent l’engagement politique de Adam Thiam en faveur la démocratie et des droits de l’homme au Mali. La petite communauté malienne vivant à Londres à la fin de 1990 début 1991 avait comme repères

Amine et Fatto Maïga. Adam s’occupait des relations avec la presse britannique et organisait les rendez-vous des leaders du mouvement démocratique malien avec Amnesty International, l’International Socialiste et l’International Libéral qui avaient leurs sièges dans la capitale britannique. Maître Mountaga Tall peut en témoigner.

Adam avait pris une part active dans les manifestations de Maliens devant la BBC pour amplifier le combat des démocrates de l’intérieur pour le multipartisme. Ce jour de décembre 1990 quand Kadiatou Sow Salaama, Drissa Diakité et Oumar Mariko étaient à la tête de l’historique manifestation. « Demokarasi, I San bè, San bè , les Maliens de Londres ameutaient la presse britannique, la BBC en particulier pour donner de l’écho au combat des forces démocratiques de l’ intérieur! Contre la répression au Mali, les manifestants londoniens allumaient des bougies devant les portes de la célèbre radio. Dans cette lutte, nous recevions le soutien de panafricanistes ghanéens comme Nicholas Atempugré ou Napoléon Abdulaï, nouvel ambassadeur désigné du pays de l’Osagyefo au Mali!

Pivot et ciment du clan Thiam, Adam était dehors une passerelle humaine, regroupant, faisant se rencontrer et recevant chez lui les gens aux parcours les plus variés, souvent très contradictoires.

Il aimait les enfants. Pas seulement les siens. Pas seulement ceux de ses frères et sœurs. Il aimait les enfants des autres, ceux de ses amis, les miens en particulier!

Le Mali était sa passion. Adam aimait son pays et son peuple. Des gens de toutes conditions étaient dans sa proximité. Il avait à cœur notre vieux pays tant ballotté, si malheureux.

Il abhorrait l’injustice, l’incompétence et la médiocrité.

Il a conseillé les présidents de la 3e République et ceux des deux transitions, sans jamais perdre sa liberté de jugement, sans jamais perdre sa capacité de donner un avis dissident.

Adam,

Ces derniers mois ont été très éprouvants. Les rangs se sont, au fil des semaines, clairsemés: il y a eu Larbo Lamine, le 4 novembre, puis, il y’a eu Saïdou Assama Bati, le 22 décembre, puis il y a eu Soumaïla Cissé, le 25, Tavarich Demba, le 28 …. et aujourd’hui, toi….

Nous nous inclinons devant le Seigneur des mondes et acceptons sa volonté!

Maintenant qu’approche l’heure de quitter pour de bon Ayaki, Jaffar, Atcha, Thierno Ahmed et Badjénéba, pars, rassuré, vas, tranquille, nous te faisons ce serment:

Tant qu’ il nous restera un souffle de vie, nous n’abandonnerons pas le combat pour le Mali et pour l’ Afrique, nous ferons le Mali, nous ferons l’ Afrique!

Qu’Allah t’accueille dans sa Sainte Demeure, là où sont reçus ceux qui aiment leur pays, ceux qui assistent leurs parents, ceux qui ont de la compassion pour les nécessiteux, ceux qui ont pitié des pauvres et du Mali.

Que la terre du Mali que tu as tant chérie, te soit légère!

Bamako, le 21 mars 2021.

Tiébilé Dramé
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