Hier, mardi 30 mars 2021, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a publié son rapport de l’enquête sur les évènements de Bounty du 3 janvier 2021. Ce rapport de 36 pages confirme la frappe aérienne de la force française Barkhane sur des civils à Bounty (région de Mopti) au Mali. Selon les enquêteurs de l’Organisation des Nations Unies (ONU), au moins 22 personnes, dont 19 civils, ont été tuées par cette frappe de l’armée française. «Le groupe touché par la frappe était très majoritairement composé de civils», révèle le rapport de l’ONU. A cet effet, la MINUSMA recommande aux autorités maliennes et françaises d’établir les différentes responsabilités et d’octroyer le cas échéant une réparation appropriée aux victimes et aux membres de leurs familles. En réaction au rapport de la Minusma, le ministère des Armées Françaises précise que «les forces armées françaises ont effectué une frappe aérienne ciblant un groupe armé terroriste identifié comme tel ».
Suite aux allégations faisant état de la mort de plusieurs civils suite à une frappe aérienne à proximité du village de Bounty le 3 janvier 2021, la MINUSMA, à travers sa Division des droits de l’Homme et de la protection (DDHP), dit avoir déployé une mission spéciale d’établissement des faits du 4 janvier au 20 février 2021, avec l’appui de la Force et le soutien de la police scientifique des Nations Unies et de l’information publique, en vue de faire la lumière sur les informations et allégations reçues.
Selon la MINUSMA, l’équipe de la mission composée de 15 chargés des droits de l’Homme, avec le soutien de 2 experts de la police scientifique des Nations Unies et de 2 chargés de l’information publique, a effectué ses travaux à Bamako, Mopti, Sévaré, Douentza et Bounty. «Dans le cadre de cette enquête spéciale conduite conformément à la méthodologie du Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, l’équipe a observé des règles strictes de collecte d’information et de témoignages afin de s’assurer non seulement du respect des plus hauts standards en la matière, mais également de la crédibilité, la pertinence et fiabilité des éléments collectés.
L’équipe a organisé des entretiens présentiels individuels avec au moins 115 personnes et avec au moins 200 personnes lors des réunions groupées, et réalisé plus d’une centaine d’entretiens téléphoniques. Elle a également analysé au moins 150 publications, notamment des communiqués et déclarations officiels, des articles de presse, des déclarations et positions d’autres acteurs et des sources ouvertes ainsi que des photographies et vidéos concernant la frappe de Bounty », révèle le rapport de la Minusma publié hier dans la journée. Selon le rapport de la MINUSMA, le 25 janvier 2021, avec l’appui et la couverture aérienne de la force de la MINUSMA, l’équipe s’est rendue à Bounty et a visité le lieu de la frappe aérienne, l’endroit présumé d’enfouissement des dépouilles des personnes tuées par la frappe ainsi que le village. «Je me félicite que ce travail important de la MINUSMA, en conformité avec son Mandat relatif aux Droits de l’Homme, ait pu être réalisé avec la coopération de toutes les parties concernées », a déclaré le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Mali et Chef de la MINUSMA, M. Mahamat Saleh ANNADIF.
Au terme de l’enquête, la MINUSMA précise qu’elle est en mesure de confirmer la tenue d’une célébration de mariage qui a rassemblé sur le lieu de la frappe, une centaine de civils parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma. « Au moins 22 personnes, dont trois des membres présumés de la Katiba Serma présents sur le lieu du rassemblement, ont été tuées par la frappe de la Force Barkhane survenue le 3 janvier 2021 à Bounty. Sur les 22 personnes tuées, 19 l’ont été directement par la frappe dont 16 civils tandis que les trois autres civils ont succombé des suites de leurs blessures au cours de leur transfèrement pour des soins d’urgence. Au moins huit autres civils ont été blessés lors de la frappe. Les victimes sont tous des hommes âgés de 23 à 71 ans dont la majorité habitait le village de Bounty », indique le rapport de la mission onusienne au Mali. Selon le rapport, l’équipe n’a constaté sur le lieu de l’incident aucun élément matériel qui aurait pu attester la présence d’armes ou de motos tel qu’établi par le rapport des experts de la police scientifique des Nations unies. «Le groupe touché par la frappe était très majoritairement composé de civils qui sont des personnes protégées contre les attaques au regard du droit international humanitaire. Cette frappe soulève des préoccupations importantes quant au respect des principes de la conduite des hostilités, notamment le principe de précaution dont l’obligation de faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires», précise le rapport de l’ONU sur la frappe de l’armée française à Bounty au Mali.
Au terme de l’enquête, la MINUSMA a recommandé aux autorités maliennes et françaises de « diligenter une enquête indépendante, crédible et transparente afin d’examiner les circonstances de la frappe et son impact sur la population civile de Bounty ; d’examiner de manière approfondie les processus de mise en œuvre des précautions lors de la préparation d’une frappe ainsi que des critères utilisés pour déterminer la nature militaire de l’objectif aux fins de l’application du principe de distinction y compris l’appartenance à un groupe armé à la lumière de cet incident et à y apporter des modifications si nécessaires ; d’enquêter sur les possibles violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme et d’établir les différentes responsabilités et d’octroyer le cas échéant une réparation appropriée aux victimes et aux membres de leurs familles ».
La France maintient sa version des faits
En réaction au rapport de la Minusma sur les frappes de janvier au Mali, le ministère des Armées françaises salue le fait qu’une mission de l’ONU puisse enquêter en toute indépendance pour analyser les faits relatifs à la frappe aérienne survenue dans la région du village de Bounti au Mali le 3 janvier. Selon le ministère des armées de la République Française, c’est une condition essentielle de la vitalité des valeurs et du respect des principes démocratiques auxquels la France est fermement attachée. « Le ministère des Armées maintient avec constance et réaffirme avec force : le 3 janvier, les forces armées françaises ont effectué une frappe aérienne ciblant un groupe armé terroriste identifié comme tel. Le ministère émet de nombreuses réserves quant à la méthodologie retenue par le rapport. Elle oppose des témoignages locaux non vérifiables et des hypothèses non étayées à une méthode de renseignement robuste des armées françaises, encadrée par les exigences du droit international humanitaire », révèle le communiqué de presse du ministère des armées de la France.