Amnesty International publie ce mercredi son rapport annuel. Selon Agnès Callamard, nouvelle secrétaire générale de l’ONG, la France est engagée dans une voie « nocive » pour les droits humains et détruit à « petit feu » les valeurs de solidarité et d’égalité. Interview.
Quel bilan dressez-vous de l’évolution de la situation des droits humains en France ?
L’espace de débat public, l’espace pour la réalisation des droits civiques et politiques est en train d’être réduit. Pourquoi ? Parce que le droit de manifester a fait l’objet de nombreuses restrictions, parce que la France continue d’utiliser le gaz lacrymogène, les grenades de désencerclement, les LBD 40 de façon abusive et ça, cette utilisation de la violence par la police, ça crée de la peur.
Le cadre juridique s’est renforcé, mais contre les droits civiques et politiques : la loi de sécurité globale a renforcé le pouvoir des forces de l’ordre, a imposé une forme de surveillance. C’est une grande cause d’inquiétude, tout comme l’est le projet de loi concernant le respect des principes de la République.
Nous parlons aussi des politiques migratoires, de la criminalisation des actes de solidarité : cette violence, ces arrestations continuent.
Il s’agit là d’une destruction à petit feu des valeurs qui devraient fonder toute société. Il s’agit bien là d’un carton rouge (adressé à la France, NDLR), de dire « attention les derniers développements depuis quelques années et en particulier en 2020 vont dans une direction qui est extrêmement nocive, problématique, et possiblement même dangereuse pour l’ensemble des droits et libertés en France ».
C’est l’ensemble des valeurs de solidarité, de respect, les valeurs contre le racisme, les valeurs pour l’égalité qui sont attaquées par cet ensemble de mesures prises, on a l’impression, à la va-vite, sans une grande réflexion.
La défense des droits humains passe également par la diplomatie. Vous n’avez pas été tendre l’an dernier avec Jean-Yves Le Drian. Que reprochez-vous à Paris sur la scène internationale ?
La diplomatie française n’est plus ce qu’elle a été sur de nombreux dossiers liés aux droits, que ce soit par rapport à l’Arabie saoudite, que ce soit par rapport à la Chine.
La France a pris des mesures sur la vente d’armes qui sont là aussi difficiles à comprendre : nous vendons des armes à des États qui sont reconnus comme responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, la responsabilité de la France est engagée.
Comment jugez-vous l’attitude de la France concernant l’attaque au Mali qui, selon l’Onu, a coûté la vie à 19 civils en janvier ?
La France est dans cette position de silence et de déni. Le secret-défense, on le comprend, il a une place dans les pratiques et dans les politiques, mais il doit être aussi encadré. Quand la France met en œuvre le secret-défense afin de protéger sa réputation ou de protéger des activités illicites ou illégales, là le secret-défense viole les standards internationaux.
Frappe française au Mali : 19 civils tués en janvier selon l’ONU, Paris réfute toute bavure
Vous avez appelé en tant que rapporteure spéciale de l’ONU au rapatriement des enfants de jihadistes. Comprenez-vous la position de la France qui s’en tient à un retour au cas par cas ?
Les enfants de jihadistes dans ces camps du nord-est de la Syrie vivent des situations abominables, atroces au niveau humanitaire, au niveau du respect de leurs droits en tant qu’enfants. Il n’y a pas de raison pour que la France ne mette pas en œuvre son obligation au niveau du droit international qui consisterait à rapatrier ces enfants. Maintenant ils ne le font pas ou ils l’ont fait dans des cas exceptionnels, ils le font de façon arbitraire : ce n’est pas acceptable.