L’audience publique de la commission Vérité, Justice, et Réconciliation au lieu d’être un facteur de cohésion sociale risque d’être une source d’ouverture de plaies non cicatrisées. C’est le cas de la famille du leader estudiantin Abdoul Karim Camara dit Cabral dont la belle-sœur, Lalla Fatoumata Koïta a décidé de rompre afin de ‘’laver l’honneur et la dignité de son défunt mari’’ accusé par certains d’être à l’origine de l’arrestation de Cabral.
Indexé par certains membres de la famille comme responsable de la disparition d’Abdoul Karim Camara dit Cabral, Saliou Camara (un demi-frère de Cabral) n’avait d’autre choix que de se fier au temps qui est le meilleur juge. C’est après les audiences publiques de la Cvjr que Lalla Fatoumata Koïta dite Lama, la femme du défunt demi-frère de Cabral a décidé de rompre le silence en vue de laver l’affront contre son mari. C’est ainsi qu’elle a laissé entendre son indignation face au témoignage tenu lors des audiences publiques. « Je suis restée sur ma faim. Toute la vérité n’a pas été dite lors de cette séance d’écoute. Mes beaux-frères qui ont témoigné n’ont pas vécu ce qui s’est réellement passé. 80% de ce qu’ils ont raconté sont erronés », martèle Lalla Fatoumata Koïta. Selon l’interlocutrice du jour qui est d’ailleurs une institutrice à la retraite, les frères cadets du leader estudiantin assassiné sous le régime de Moussa Traoré qui ont témoigné devant la Cvjr ont occulté un pan très important des faits relatifs à l’assassinat d’Abdoul Karim Camara. Il s’agit du cas de son défunt « accusé à tort » d’avoir livré Cabral à ses bourreaux. Lama atteste que Mamadou Bassirou Camara et Farouk Camara (frères de Cabral qui ont témoigné devant la Cvjr) n’ont parlé que sur la base de correspondances à eux envoyées en France. Alors qu’il y a des membres de la famille qui sont encore vivants et qui peuvent mieux expliquer les faits dans cette histoire triste.
Les faits
Les mouvements de grève des années 1980 ont poussé Cabral à évoluer dans la clandestinité car il était vivement recherché par le régime. Seuls les membres de sa famille savaient où il était caché. Poursuivant, elle dira qu’un certain Baba Diallo, commissaire de police à « la poudrière » (actuel deuxième arrondissement) qui est aussi un proche de la famille, a propsé de confier Cabral à lui et qu’il allait intercéder afin d’atténuer la colère du régime. « La famille a refusé », a dit Lama.
La nuit du samedi, vers 2 heures du matin, poursuit Lama, Madou Camara, un frère de Cabral qui vomissait à l’entrée de la famille, confondu avec son frère est enlevé par des hommes en uniforme. Lorsqu’ils ont su qu’ils se sont trompés, ce dernier a été relâché avant d’être à nouveau ramené au commissariat du 1er arrondissement. La mère de Cabral a été par la suite arrêtée. Un des grands frères du fugitif qui était douanier à Bougouni s’est proposé pour remplacer leur mère dans les geôles de la police. Sa demande a été acceptée. C’est ainsi que la police a arrêté tous les frères de lait de Cabral qui ont été transférés au 2ème arrondissement martèle. Mamou, une sœur de Cabral, enceinte sous la menace de torture à l’électricité a fini par révéler la cachette de son frère qui était dans la résidence de leur cousin du nom de Kaba, à Djicoroni-para. M Kaba électrocuté a affirmé qu’il a exfiltré Cabral à Namagana à 5km de la frontière Guinéenne chez Kolo, un oncle. Ce dernier torturé en plein marché a affirmé que Cabral est chez lui à la maison. C’est là-bas que le leader estudiantin est arrêté et amené à Bamako. Les frères arrêté ont tous été libérés et le dimanche à 20h15 au JT, les autorités affirment avoir capturé Cabral avant d’obliger ce dernier à appeler ses camarades à rejoindre les classes le lendemain. Le lundi, vers 11heures, Cabral a été conduit par les militaires au camp-para. Le lundi matin, en me rendant à l’école où j’enseignais, un collègue m’a informée de l’assassinat de Cabral. C’est ainsi que j’ai rebroussé chemin. Une foule nombreuse était devant la maison. J’ai surpris Morimoussou, une tante de Cabral en pleine conversation avec les élèves qui étaient en colère. C’est cette dernière qui aurait expliqué à ses interlocuteurs que c’est Saliou Camara qui aurait soudoyé les policiers pour arrêter Cabral. Ces propos erronés ont failli couter la vie à mon mari Saliou car les élèves voulaient le lyncher. C’est ainsi que Saliou est parti au siège du Cmln pour recoudre le tissu. En colère, Saliou s’est mis à insulter les militaires qui l’ont menotté avant d’être rejeté devant le Centre culturel français. Les élèves avec le cercueil en main étaient venus devant la famille tout en réclamant le corps de Cabral. C’est ainsi qu’une échauffourée éclate entre les militaires et les étudiants dont le bilan dépasse tout commentaire. Après un mois, le domicile familial était devenu un enfer pour Saliou Camara qui, en plus du siège des militaires était face aux humiliations car sa famille estimait qu’il était impliqué dans l’arrestation d’Abdoul Karim Camara. Cet état de fait créait une atmosphère tendue obligeant Saliou à quitter Bamako. Saliou a par la suite adressé une lettre à Moussa Traoré qui chargera Baba Diarra de le rencontrer. C’est alors qu’on lui propose le poste de récepteur à Niafounké afin de lui mettre à l’abri de sa famille. Entre 1981 et 1982, un camarade de Cabral est muté à Niafounké qui à son tour a informé la population que Saliou est responsable de l’arrestation de Cabral. C’est ainsi que les refus de l’administration y compris le préfet de l’époque et du directeur de l’école où servait Lama comme secrétaire ont repris. Même la fille de Saliou était obligée d’abandonner les études à partir de la 8ème année de l’école fondamentale sous les coups de l’humiliation. C’est au cours d’une mission du Cmln conduite par Cheick Sadibou Koné que Saliou et Lama ont raconté leur vécu à l’envoyé du président du président Moussa Traoré. Le préfet a été relevé de ses fonctions. Pour mettre un terme à la souffrance de la famille Camara, Saliou et Lama ont été mutés à Macina. Depuis ce jour jusqu’ aujourd’hui, les enfants et les petits enfants continuent à subir les mêmes affronts. Lama estime que cette partie de l’histoire a été occultée lors de l’audience publique de la Cvjr et qu’il est important que les Maliens sachent la souffrance que les ayants-droit de Saliou ont subie. Cette séquelle mérite d’être cicatrisée pour l’honneur et la dignité de Saliou qui est accusé d’un acte qu’il n’a pas commis et que ces descendants en payent le prix », a-t-elle raconté.