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Mort d’Idris Déby, un casse-tête pour la France et ses interventions militaires au Sahel
Publié le jeudi 22 avril 2021  |  .revolutionpermanente.fr
Crise
© AFP par DR
Crise au Mali : le Ministre de Défense français Jean-Yves Le Drian chez le président tchadien Idriss Deby
Samedi 27 avril 2013. Tchad. N `Djamena. Le Tchad devrait rester militairement impliqué dans Mali, Le Drian a dit samedi dans N `Djamena sur un tour de la région pour trouver le soutien. Photo : Jean-Yves Le Drian serre les mains du Président de Tchad Idriss Deby au palais présidentiel
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De possibles conflits internes mettraient en danger les engagements militaires tchadiens auprès des opérations impérialistes françaises dans le Sahel. Inquiétude à Paris après la mort du dictateur.

La mort du président dictateur Idris Déby au Tchad est tout sauf une bonne nouvelle pour la France. Les spéculations sur les circonstances de sa mort vont bon train depuis mardi. A-t-il vraiment été tué par le feu ennemi ? S’agit-il d’un règlement de compte au sein de son propre camp afin de se débarrasser d’un personnage trop puissant au sein du régime ? Le fait est que sa mort tombe au mauvais moment pour la stratégie sécuritaire française dans la région, dont la Tchad a depuis toujours été un acteur clé. La France espère une « transition » avec le moins de sursauts possibles afin de s’assurer le soutien militaire du Tchad dans la protection de ses intérêts au Sahel, en Afrique centrale et de l’ouest, sont « pré-carré colonial » traditionnel ». Or, plusieurs facteurs menacent cette perspective favorable à l’impérialisme français.

En effet, depuis l’époque coloniale le Tchad joue un rôle déterminant pour la France, lui assurant un contrôle et l’interconnexion de ses différentes possessions coloniales contre ses rivaux. A ce titre l’armée française et ses services de renseignements ont aidé Idris Déby prendre le pouvoir à travers un coup d’Etat en 1990. Et depuis cette date l’armée française est intervenue à plusieurs reprises aux côtés de son allié contre des rébellions qui menaçaient son pouvoir. C’est le cas notamment des bombardements aériens contre les opposants de Déby en 2006, 2008 et plus récemment en 2019.

Cependant, depuis 2013 le lancement de l’opération « Serval » (devenue en 2014 « Barkhane ») et le début de l’occupation du Mali sous prétexte de lutte contre les organisations armées islamistes, le Tchad est devenu encore plus important pour Paris. C’est depuis la base aérienne Kossei à Ndjamena, capitale tchadienne, que la France coordonne son intervention et celle de ses alliés dans la région. De plus, l’armée tchadienne est la principale force combattante de la force d’intervention G5-Sahel intégrant le Mali, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et pilotée par la France : parmi ses 6 000 soldats, 1800 sont tchadiens. Ndjamena avait annoncé également fin mars le déploiement de 1200 supplémentaire dans la région de la triple frontière (Niger, Mali, Burkina Faso), où les armées islamistes sont particulièrement actives. En plus de cela, le Tchad est fortement engagé au sein de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (Minusma) avec 1 500 soldats parmi les 13 000 casques bleus.


Autrement dit, l’armée tchadienne est une armée complètement au service des intérêts impérialistes de la France. C’est ce caractère servile à l’égard de l’ancienne puissance coloniale qui a permis en même temps au « clan » Déby et ses proches de se procurer des privilèges et de s’accaparer des richesses du pays tout en écartant leurs opposants. Comme le commentait Julien Durand de Sanctis dans une analyse lors des frappes françaises contre les opposants de Déby en 2019 : « la France a besoin du Tchad pour assurer la permanence de son dispositif militaire au Sahel. Le Tchad a besoin de la France pour survivre au sein d’un environnement géopolitique durablement menaçant pour le président Déby ».

En ce sens, il n’est pas étonnant que les hauts dirigeants du gouvernement français et même de l’opposition, comme Marine Le Pen, aient salué la mémoire d’un « grand ami » de la France. Loin des discours vides et hypocrites sur la « défense de la démocratie » que les dirigeants français aiment tant, souvent pour justifier leurs politiques racistes et réactionnaires, l’exemple de Déby et le Tchad est clair sur le rôle néfaste de l’impérialisme français en Afrique, prêt à soutenir les pires dictateurs tout en les présentant comme de « grands amis de la France ».

Quoi qu’il en soit, la mort de Déby est un véritable casse-tête pour la France. Paris ainsi qu’une partie du régime veut une « transition » dans le calme, assurant la continuité de l’alliance avec Paris. Il est plus que probable que cela soit le souhait d’une partie considérable des forces d’opposition. Cependant, rien ne peut garantir qu’à partir de maintenant différentes factions au sein de l’armée et de l’Etat n’entament une lutte pour la succession. Un scénario à la libyenne serait un cauchemar pour la France ; c’est-à-dire une situation où après la mort du dictateur les forces à l’intérieur du régime s’ajoutent à celles qui combattaient déjà le régime à l’extérieur provoquant un effondrement de l’Etat et le déclenchement d’une guerre civile sanglante. Une telle perspective, comme le cas de la Lybie, aurait des conséquences non seulement pour le Tchad mais pour toute la région et donc pour les intérêts de l’impérialisme français. Comme on peut le lire dans le journal burkinabé L’Observateur, « si après le grand bazar qu’est devenue la Libye cela devait arriver [au Tchad], ce serait tout le Sahel et le Bassin du lac Tchad qui seraient submergés. Et contre pareille éventualité apocalyptique, on peut parier que Paris œuvrera en sous-main pour encadrer cette période de transition délicate qui commence ».

Une autre conséquence directe pour les interventions militaires françaises en Afrique, notamment au Sahel, c’est qu’en cas de conflit interne prolongé, le Tchad serait sans doute obligé de rapatrier une partie de ses troupes déployées dans la région pour épauler la France.

C’est en pour éviter ces scénarios et en prévision de conflits internes que les militaires ont très rapidement agi, mis l’un de ses fils, le général Mahamat Idris Déby, à la tête d’un Conseil Militaire de Transition qui dirige l’Etat et dissout le parlement et le gouvernement. Autrement dit, ils ont mis fin au simulacre de démocratie mis en place par Idris Déby et ont mené ouvertement un coup d’Etat, avec une vague promesse de période de « transition » de 18 mois vers des élections transparentes. « La mise en place d’un conseil militaire de transition et la suspension de la constitution placent effectivement N’Djamena sous la loi martiale (un coup d’État de facto), ce qui donne aux militaires une plus grande marge de manœuvre pour faire face aux menaces qui pèsent directement sur la capitale si les rebelles du FACT [Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad] vont jusque-là », peut-on lire dans Stratfor. Sans aucune surprise le gouvernement soutient ce gouvernement dictatorial.

Cependant, bien que pour le moment la sidération suite à la mort du dictateur Déby semble dominer parmi la population, on ne peut pas exclure que cette « solution » pensée par les militaires devienne son contraire. En effet, parmi les jeunes et les classes populaires du Tchad il pourrait se réveiller un sentiment d’opposition au pouvoir arbitraire et au coup d’Etat. Certains pourraient exiger que l’on respecte les maigres règles constitutionnelles adoptées par Déby lui-même. En outre, le Tchad de par son implication dans les interventions impérialistes françaises est le pays qui paye le plus lourd tribut en termes de soldats morts au combat. Cet élément pourrait devenir un autre facteur alimentant l’opposition aux nouvelles autorités et la soumission aux intérêts sécuritaires français.

Alors que le gouvernement de Macron à l’approche des élections présidentielles en 2022 cherche à réduire le nombre de troupes au Sahel, la mort de Déby représente une menace directe pour ces plans de Paris. Si les conflits internes s’intensifient le Tchad serait surement obligé de réduire le nombre de ses troupes dans les opérations françaises et de cette façon la France serait encore plus dans l’obligation de maintenir son engagement militaire dans la région. La France a sa propre « guerre sans fin » au Sahel et elle devient un facteur de déstabilisation en Afrique, où ces interventions sont de moins en moins plébiscitées par les populations, et en France même où la population ne voit plus l’intérêt de maintenir ces opérations à l’étranger. L’impérialisme français ne peut cependant pas se permettre de se retirer en ce moment, à l’image des Etats-Unis en Afghanistan, car il est en pleine lutte pour l’influence en Afrique contre des puissances telles la Chine, la Russie et même la Turquie. En ce sens, il est plus que probable que la France soit déjà à la manœuvre auprès non seulement des militaires mais aussi de l’opposition pour garantir la défense de ses intérêts.

De notre part nous exprimons avant tout notre solidarité avec les travailleurs et travailleuses et avec les populations opprimées du Tchad. Nous affirmons notre totale opposition aux interventions de l’impérialisme français en Afrique !

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