Garant de la stabilité de la région sahélo-saharienne, Idriss Déby Itno avait fait de la sécurité du Mali une priorité. C’est pourquoi sa mort a plongé le Mali voire la sous-région dans une inquiétude sécuritaire sans précédent. Sa brusque disparition fait jaser beaucoup. A-t-il fait l’objet d’un assassinat familial, d’un coup des rebelles voire un complot des puissances étrangères dans le Sahel ?
En l’espace d’une semaine (entre le mardi 13 et le mardi 20 avril 2021), notre pays a perdu deux hommes clés dans le processus de sa stabilisation. Quoi que ses détracteurs puissent penser de lui, Sidi Brahim Ould Sidatt (président du MAA et de la CMA) était un modéré qui s’est toujours battu pour donner une chance à la paix et à la réconciliation nationale du pays. Certains de ceux qui avaient le privilège de le côtoyer fréquemment ont témoigné son attachement à la République. Il est sans doute l’un de ceux qui ont sans doute pris les armes par dépit. Une semaine après son assassinat, c’est le Maréchal Idriss Déby Itno qui trouve la mort dans des circonstances troublantes.
«On se souviendra du président Idris Déby Itno pour sa contribution inestimable dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme…» ! L’hommage est du charismatique Paul Kagamé, la référence de la jeunesse consciente du continent à cause de la gouvernance vertueuse qu’il a su imposer à son pays, au Rwanda. Pour les Nations unies, «le président Déby Itno était un partenaire essentiel pour l’ONU et a contribué de manière significative à la stabilité régionale, en particulier dans le cadre des efforts de lutte contre le terrorisme, l’extrémisme violent et le crime organisé au Sahel».
C’est surtout en cela que, a reconnu le président Bah N’Daw, sa disparition est «une lourde perte, non seulement pour son pays, le Tchad pour lequel il est allé jusqu’au sacrifice suprême, mais aussi pour la région sahélienne et l’Afrique». Et le président de la Transition d’ajouter, «il s’est illustré dans notre histoire récente qu’il a d’ailleurs contribué à façonner par son engagement et sa vision d’une Afrique unie et forte». Durant ses trente ans de règne, le président fut un élément stabilisateur d’une région constituée d’Etats en ruines et dont la dislocation totale aurait pu entraîner aussi le Tchad dans une zone de turbulence politique et sécuritaire.
«Le président Idriss Déby a dédié sa vie à la paix au Sahel. Il a fait montre d’un courageux engagement lors de la Cop21 pour les énergies renouvelables en Afrique et dans la coalition pour le lac Tchad…Je peux témoigner de cela», a reconnu Ségolène Royal, ancien ministre de la France. Le défunt Maréchal Déby a incontestablement été un verrou auquel s’est heurté le terrorisme, l’extrémisme violent qui continue malheureusement de menacer toute l’Afrique sud-saharienne et relativement le Maghreb.
Ce rôle stratégique joué par ce désormais ex légendaire chef de guerre explique sans doute tout ce beau monde autour de son cercueil vendredi dernier (23 avril 2021). A commencer par le pompier-pyromane Emmanuel Macron de la France et les dirigeants du G5 Sahel (Bah N’Daw du Mali, Mohamed Bazoum du Niger, Roch Marc Christian Kaboré, du Burkina Faso et Mohamed Ould El-Ghazaouni de la Mauritanie) dont l’illustre défunt était le président en exercice.
Le Sahel orphelin de son meilleur bouclier contre le terrorisme
A qui profite sa mort ou son assassinat ? Sans doute à ses opposants politiques qui voient en fin une opportunité d’imposer la démocratie dans le pays et de réaliser leurs ambitions pas forcément dans les intérêts du peuple tchadien. Une opposition muselée et harcelée au point que pour de nombreux observateurs Idriss Déby Itno passait pour un dictateur voire un tyran. Mais, c’est aussi oublier que dans un pays aussi profondément divisé entre les nombreuses tribus (cloisonnées par des clans) comme le Tchad, il faut plus de fermeté dans la gouvernance pour régner. Et nous avons vu récemment où la démocratie sans garde-fous a failli conduire des pays comme la Côte d’Ivoire, le Kenya…
Le disparition de cet intrépide chef de guerre fait depuis l’objet des scénarii les plus fous, les plus rocambolesques qui nous plongent du mélodrame familial à un coup des rebelles voire à un complot des puissances étrangères dans le Sahel. Il faut reconnaître que par son rôle de «gendarme du Sahel» voire de l’Afrique subsaharienne, le Maréchal Déby était Déby une cible pour beaucoup de gens. A commencer par les organisations terroristes : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Daesh (Etat islamique/E.I) ! Sans oublier Boko Haram.
La bravoure de ses soldats et l’expérience de son armée (l’une des plus aguerries au monde) ont été un sérieux obstacle à leur volonté d’imposer leur loi à tout le Sahel voire à une grande partie de l’Afrique subsaharienne. L’armée tchadienne a par exemple joué un rôle déterminant dans le succès de l’Opération Serval en 2013. Et sans le veto de Paris qui a bloqué les soldats tchadiens dans leur volonté d’assainir le nord du Mali, y compris surtout Kidal, nous parions que le climat politique et sécuritaire aurait été tout autre aujourd’hui dans notre pays.
Et les troupes tchadiennes continuent à accomplir une mission déterminante dans le combat pour la stabilité du Sahel au sein du G5 Sahel dont le Tchad est incontestablement le pilier militaire. Les forces armées tchadiennes sont craintes par les réseaux terroristes qui ont fréquemment pris une raclée chaque fois qu’ils se sont attaqués à elles au Mali, au Niger et au Cameroun.
Une divergence fatale avec la France sur sa présence au Sahel ?
Aussi bien Boko Haram qu’AQMI et l’E.I (qui soutient les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad-FACT) ont des raisons de vouloir se débarrasser d’un adversaire encombrant car fin stratège militaire. Certains croient que le défunt président a aussi pu payer de sa vie ses divergences de plus en plus manifestes avec l’Elysée quant à la présence française dans le Sahel. Selon certaines confidences de diplomates, il était devenu un allié plus exigeant, donc encombrant pour la France dans la défense de ses intérêts géoéconomiques et géostratégiques dans notre région.
Il est vrai que parmi tous les dirigeants du G5 Sahel, il était celui qui pouvait regarder les présidents français dans les yeux pour manifester son désaccord et poser les conditions de son soutien aux forces françaises. Une situation qui agaçait sans doute l’Elysée et le Quai d’Orsay. Et selon nos sources, l’absence d’Emmanuel Macron au dernier sommet du G5 Sahel à N’Djamena (16 février 2021) est beaucoup plus liée à ces divergences qu’à des raisons sanitaires.
Quid des conséquences de cette disparition ? C’est le Sahel, notamment le Mali, qui perd un allié efficacement et sincèrement engagé dans sa stabilisation. Tout comme la France et ses alliés comme les Etats-Unis qui avaient fait de lui un pilier de leur engagement contre le terrorisme et l’extrémisme violent en Libye et en Afrique subsaharienne. Sans doute que le fils du Maréchal, Mahamat Idriss Déby Itno (MIDI), est suffisamment formé et engagé pour faire «plus que son père pour le Sahel» parce qu’il a été en première ligne de tous les combats menés par son défunt père, notamment en 2013 au nord du Mali. Mais, il est clair que pendant les 18 prochains mois, sa principale préoccupation sera dans doute d’asseoir son autorité afin de maintenir sa famille au pouvoir. Et le plus grand défi pour ce faire, c’est sans doute mater la rébellion qui serait à l’origine de la mort de son valeureux père.
Et pour cela, il peut-être tenté de démobiliser les troupes tchadiennes présentes sur différents fronts afin de venir prêter main forte aux forces en place. D’ailleurs, la semaine dernière, des informations concordantes ont fait état du repli du contingent de l’armée tchadienne (1200 soldats venus en renfort) déployé dans le cadre du G5 Sahel dans la zone des «Trois frontières».
En tout cas, nous ne serons pas surpris que le nouveau pouvoir du Tchad fasse appel à une partie de ses forces déployées au sein du G5 Sahel pour défendre l’intégrité territoriale menacée par une puissante rébellion surarmée (financée par le Qatar) venue de la Libye. Il faut rappeler que les forces qui sont déployées au Mali sont en partie issues de la garde prétorienne (DGSSIE) du défunt Maréchal commandée par le Général de corps d’armée Mahamat Idriss Déby Itno, le nouvel homme fort du pays. Et pour faire face aux défis de la stabilisation de son pays et de la consolidation de son pouvoir, il va naturellement miser sur ses hommes de confiance, sur les troupes qu’il maîtrise.
En attendant de voir plus clair les jours à venir, les pays du Sahel et les populations sahéliennes vont retenir leur souffle pour scruter l’horizon à la recherche d’un signe annonciateur d’une bonne nouvelle venant de N’Djamena !