A la fine pointe de l’aube, le conducteur du tricycle a avalé kilomètre sur kilomètre sans rencontrer âme qui vive. Les premières lueurs du jour ont progressivement chassé l’obscurité de la nuit. Avec un brin de chance, les premières femmes levées vont se diriger vers Yirimadio pour y écouler des fruits et légumes. Cet espoir lui a donné des ailes. Le chiffre d’affaires a connu ces dernières semaines de ramadan un coup de bambou autorisant de passer la fête sans coup férir. Des habits neufs, des chaussures, l’estomac après les épreuves endurées du jeûne serait bien garni.
Mais là, son intuition l’a trahi. Un camion-benne chargé de sable a foncé sur lui à toute vitesse. Le conducteur de tricycle n’a même pas eu le temps de s’éjecter de sa selle, de crier son étonnement qu’il s’est allongé de tout son corps sur le sol, dans la poussière rouge, puis écrasé par les pneus. Spectacle désolant, la vue du corps insoutenable : le jeune homme est réduit en chair de pâté, son véhicule projeté contre la montagne qui borde la route nationale 6 (Bamako- Ségou) à hauteur de l’entrée de Nonimbougou n’est plus qu’un amas de ferraille.
Le chauffeur du camion-benne a semblé rendre l’âme. Mais ce n’est heureusement qu’une apparence : il a réussi à s’extirper avec peine de son véhicule. Une chance que sa victime n’a pas eue.
Le mécano
A l’ombre des barreaux
Parmi les relations de Seydou, il en a une qu’il a cultivée surtout pour les renseignements qu’il pouvait obtenir. Dans la seconde moitié du mois d’avril, le mécano a eu vent qu’une dynamo de camion est mise sous bonne garde du gardien dans un conteneur qui fait office de son logement. Un jour, quelques minutes après la descente, un éclair sournois est passé dans ses yeux. Il a trouvé le joli prétexte d’aller prendre son bain dans les toilettes contrairement à l’usage. Au-delà de 17 h, aucun travailleur n’est autorisé à remettre pied au garage. Le seau d’eau bien remplie, savon à la main, il a pris la direction du W.C. Le chef garagiste, dernier à quitter les lieux, lui a suivi du regard. Mieux, il s’est glissé, sans faire de bruit comme une couleuvre, sous le hangar qui lui a servi de poste d’observation. Par un trou béant, il a pu constater les moindres faits et gestes de son mécano. Soudain, avant même d’atteindre le petit coin, il s’est débarrassé du seau d’eau et est allé sur la pointe des pieds au logement du gardien. Cas rarissime pour ne pas être signalé : aucune présence humaine à cette heure-ci. Ne se sentant pas la force de porter la pièce, il s’est contenté de la faire rouler jusqu’à la porte d’entrée, en se proposant d’acheter le silence de son collègue. La chance lui a souri une nouvelle fois. Ce dernier est rentré. Quelques minutes seulement, et l’affaire est pliée. Peut-être déjà, les phares du véhicule du client contacté. Il s’est arrêté. Un homme au visage rayonnant est sorti. A la vue de la marchandise, le receleur a émis un sifflement admiratif. A deux, il est aisé de l’introduire à l’arrière du pick-up qui est reparti aussitôt.
Le chef de garage, pris par une intense curiosité, a enfourché sa moto et s’est lancé à leur poursuite. Ni le receleur, ni le mécanicien ne se sont douté de rien. Tout tranquillement, le véhicule s’est immobilisé devant un grand magasin connu des professionnels du secteur d’activité. Une tape dans le dos a fait bondir les deux hommes qui s’affairaient à extraire la dynamo. D’un air gêné, ils ont baissé la tête. Keïta n’a pas voulu cassé la figure aux deux, mais a séance tenante appelé la police. Tous les récents vols de pièces d’auto sont mis sur dos du mécano envoyé réfléchir à l’ombre des barreaux sur les dangers de ses appétits financiers.
A la joie succède la détresse
Plus de moto, d’argent et de viande
Alou est de plus en plus ravi. Il n’a pas ri aussi joyeusement que ce matin. La veille, il a concrétisé un vieux rêve d’acheter une moto Djakarta, voilà que son visage presque carré s’est davantage illuminé en gagnant un marché de construction d’une villa. Ses goussets sont remplis de 500.000 F CFA en coupures de 10.000 F CFA. Un détour au marché de Tiéguena n’a jamais fait de mal à personne, surtout quand on a du fric. Un quartier de viande bien emballé dans un sac en plastique est pendu au guidon du deux roues. La coupure du jeûne s’annonçait comme une des plus prometteuses. Reste à reprendre la route et rentrer par le plus court chemin.
De temps en temps, Alou a hoché la tête pour s’assurer que son sachet est bien là. Tantôt, il a promené des doigts légers le long du sachet noir au trois quart bombé. En deux temps trois mouvements, il serait arrivé. Il suffirait d’enjamber le petit pont sur la rivière et de parcourir quelques mètres. A cette idée, ses yeux se sont mis à étinceler de mille feux.
Alou a senti sa nuque devenu subitement glacée. Un bout de canon y est posé. Sa respiration a perdu son rythme normal. Une voix lui a ordonné de ne pas se retourner et d’abandonner sa moto. Aussitôt dit, aussitôt fait. Mais l’excitation qui s’est emparée de son braqueur ne s’est point estompée. Le second non armé, s’est mis à fouiller ses poches, malgré qu’il a juré ne rien détenir hormis un téléphone à un doigt de rendre l’âme. Après quelques instants interminables, l’objet de fouille est découvert : l’argent, ces billets qui sont à l’origine des sorties matinales et des courses effrénées toute la journée, des assassinats, que sais-je encore. Les malfrats ont souri et sont repartis dans des directions opposées.
Alou indigné, terriblement déçu est rentré à pied chez lui, maudissant le jour qui a vu naître ces oiseaux sans ailes et la femme qui a engendré à ces monstres buveurs de sang. Même la viande sensée adoucir sa colère et renouveler ses énergies va terminer certainement dans leur casserole.
La force de l’attractivité du postérieur
Deux tourtereaux dans la nature
Le jeune homme a ressenti un sentiment d’amour violent pour la jeune fille qui n’a pas les qualités de la femme complète. Elle n’a pas étonné par son éducation- ne sachant ni lire ni écrire, encore moins faire de la cuisine, ou encore pas douée dans le calcul mental- des raisons fondamentales qui ont poussé son mari à la révoquer. Alima n’est pas un canon de beauté non plus, mais la nature très généreuse l’a doté d’un postérieur à revendre, à l’image d’une grosse calebasse renversée. Avis aux connaisseurs. Le jeune homme a plutôt une sorte d’admiration voire de passion sécrète pour une jeune fille bien dotée.
Fréquemment, les deux tourtereaux ont batifolé dans les maisons inachevées où ils ont la consolation des passer des heures de tendresse, de plaisir charnel salutaire. Et se sont quitté chaque fois avec la ferme promesse de se revoir le lendemain ou le surlendemain. C’était très peu. Ils ont voulu plus. Et en sont arrivés à détester leur séparation tout au long de la journée et les mensonges dont la jouvencelle a usé chaque fois que la vieille femme chargée de parfaire son éducation s’est interrogée sur ses longues absences injustifiées.
Un soir, les deux ont disparu des écrans radar, à la faveur d’une manifestation de mariage. Laissant la vieille femme à ses casseroles et lessive. Les leçons sont tellement assimilées qu’on est en droit de penser que l’élève a dépassé la maîtresse, au moins du point de vue roublardise. Pour l’instant les recherches menées n’ont rien donné.
Soif de plaisir de son épouse
« Monsieur paye avant acte »
L’humble vie de femme de briquetier ne remplissait pas bien l’estomac, n’autorisait point de porter de jolis habits à l’instar de ses amies dont le luxe tapageur signifiait que « leurs maris étaient capables ». Sitan jalousait ses amies, élevait la voix sur son mari qui semblait devenir la peste ou le choléra, une déjection humaine au milieu d’une crème. Elle ne s’était amourachée de lui, mais s’était pliée à une décision parentale. S’il n’en était pas ainsi, son vilain de mari, pauvre de surcroît comme un rat d’église n’allait pas rêver d’avoir dans son lit une femme de sa trempe, belle comme une rose d’Afrique, élancée comme une gazelle. D’ailleurs, elle complimentait, sinon la simple vue de sa figure de son homme faisait fuir les femmes les plus quémandeuses d’amour.
Bakary n’était plus d’humeur à entendre presque tous les soirs ce vieux disque rayé. Il allait donner de la réplique. Pas en déversant des insanités sur son épouse qui n’était autre que sa cousine, simplement en mettant son cœur dans le sac à main d’une fille qui avait l’âge de sa fille. Sa réplique allait être foudroyante, imparable. Elle allait sangloter de honte, se noyer dans un océan de larmes, se mordre sans fin le doigt.
L’élue du cœur s’appelait Nièba, un nom bien à propos, qui signifiait très bien en bamanan. Les fiançailles étaient annoncées. La grande différence d’âge – Niéba avait vingt-deux ans de moins que lui – donnait malgré à la jouvencelle une autorité que le vieux briquetier ne songeait pas discuter. Le mariage était célébré en fanfare. Les petits plats étaient mis dans les grands. Il fallait clouer le bec aux jaloux, montrer à son épouse, que contrairement à ses funestes prévisions, qu’il était un grand séducteur, capable d’entraîner dans son sillage une poitrine pleine, de profiter d’un charme revolver, époustouflant.
Les mariages sont souvent ruineux au Mali. Celui de Bakary ne faisait pas exception. Rapidement, le nid des amoureux se transformait en enfer. La midinette n’en avait plus plein les dents : la salade était substituée au poulet rôti de la nuit, fini le traditionnel sac de riz envoyé à la fin de chaque mois à ses parents, fini aussi les petites enveloppes de 20. 000 à 30.000 F CFA pour célébrer par exemple la naissance d’un enfant.
Cinq mois après le mariage, la seconde regagnait ses parents. Le monsieur qui ne pouvait se priver de son absence au lit, de ses caresses, venait presque toutes les nuits au domicile de ses beaux-parents. Et il ne réussissait à l’extraire de là qu’après paiement d’un montant qui allait crescendo au fil des semaines.