Fatou Diakité arbore un grand sourire quand le chaland s'approche de son étal posé au bord de la route.Tandis qu'une nouvelle crise agite le sommet de l'Etat malien, elle continue de vendre ses beignets comme si de rien n'était, et c'est tout Bamako qui paraît se résigner.
La situation est pourtant plus sombre depuis lundi qu'elle ne l'était déjà.Les militaires, auteurs d'un putsch en août 2020 et qui ont gardé la mainmise sur la conduite des affaires, ont arrêté et démis le président Bah Ndaw et le Premier ministre de la transition Moctar Ouane en les accusant de "sabotage".
Tout a été très vite depuis l'annonce d'un remaniement lundi après-midi: les deux hommes et plusieurs autres hautes personnalités de l'Etat ont été emmenés dans la ville-garnison de Kati à une quinzaine de km de Bamako, où ils sont retenus depuis.
Aucun coup de feu n'a été tiré dans ce qui a été qualifié par une grande partie de la communauté internationale de "tentative de coup de force".Au delà du microcosme diplomatico-politico-militaire, en ébullition, les citoyens vaquent à leurs occupations.
Dans les rues de Bamako, comme au lendemain du putsch d'août, la vie n'a en rien changé, toujours animée par une intense circulation routière.
De nombreux badauds sont comme à l'accoutumée dehors à s'affairer au marché, emmener la moto chez le réparateur, aller boire le thé avec les voisins assis dans les rues terreuses...Les motos-taxis et les minibus publics continuent d'une conduite effrénée à chercher d'éventuels clients.
"Il y a eu les évènements d'août, maintenant ça, mais ça ne nous concerne pas en fait.Moi, si j'arrête de travailler, je fais comment?", demande Fatou, la vendeuse de beignets en réajustant son voile rosâtre enveloppant ses cheveux.
A quelques dizaines de mètres, à l'entrée d'un des trois ponts qui relient les deux rives du fleuve Niger au débit réduit en cette saison sèche, des policiers haussent le ton contre un chauffeur de taxi pour une banale entorse au code de la route.
En dehors de ceux-là, dans ce quartier de la rive sud, aucune présence particulière de forces de l'ordre n'était visible.
- "Nation en otage" -
Une fois passé le pont, quelques km plus au nord, sur la principale place de la capitale, la place de l'Indépendance, une présence inhabituelle de quelques pick-ups des forces de sécurité se remarque.
Plusieurs dizaines d'hommes en tenue ont été déployés, comme par anticipation, sur cette place symbolique, théâtre de l'immense majorité des protestations bamakoises.
Les passants sont invités à circuler."Ce n'est pas parce que quelqu'un n'a pas éte reconduit à un ministère qu'il doit prendre toute une nation en otage", peste Mamadou Sangaré, étudiant de 27 ans.
Il parle de Sadio Camara et Modibo Koné, deux colonels, figures emblématiques du putsch d'août qui avaient hérité depuis des ministères de la Défense et de la Sécurité.Ils ont été remplacés dans le remaniement de lundi, ce qui aurait braqué le colonel Assimi Goïta, l'homme fort du pouvoir malien, et les colonels.
"Consternation, c'est le mot", dit Bréma Ely Dicko, sociologue à l'Université de Bamako."On est partagé entre amerturme et préoccupation pour la stabilité du pays parce que, pendant qu'on se bat à Bamako autour des dividendes du coup d'Etat (de 2020) les groupes armés terroristes font la loi au détriment de millions de Maliens", dit-il.
A la Bourse du travail, autre lieu coutumier de rassemblements majoritairement de syndicalistes lors des grèves, un activiste a tenté de rassembler les foules contre ce "nouveau coup d'Etat".Quelques dizaines de personnes tout au plus ont répondu à son appel, avec quasiment autant de journalistes.
Tahirou Bah, militant de la société civile, en veut aux "colonels putschistes notoires récidivistes", qui préfèrent "engager une lutte à mort pour le pouvoir" alors que "80% de notre pays est sous contrôle des terroristes, des narcotrafiquants, des bandits en tous genres".
"C'est malheureux", dit-il.Le peu de mobilisation ? "Les gens en ont marre et ne voient plus de solution; vaquer à ses occupations habituelles, c'est la survie pour beaucoup de Maliens".
Plusieurs anciens de l'armée, pauvrement formée et éprouvée par des années de guerre, sont venus en groupe.Ils ont répondu à l'appel.
"Un militaire, politicien ? Tu faillis à ton devoir!", s'agace l'ancien artilleur Toumani Tangara, 67 ans."La place des militaires est au combat.Qu'ils aillent au front, qu'ils aillent libérer (le nord du pays) qui est aux mains de terroristes ! Le reste, ce sont des futilités".