En un mois, deux militaires ont pris le pouvoir de force au Tchad et au Mali. Après avoir adoubé le premier, Emmanuel Macron a condamné le second... Et tente d'imposer ses lignes rouges à Bamako.
t à n'y plus rien comprendre. Voilà qu'Emmanuel Macron, qui adoubait hier un putschiste au Tchad, dénonce aujourd'hui un "coup d'Etat inacceptable" au Mali. Le scénario est pourtant étrangement similaire : un militaire à peine quarantenaire s'octroie les pleins pouvoirs au nom de la stabilité du pays et de l'intérêt supérieur de la Nation. A N'Djamena, il s'appelle Mahamat Idriss Déby. Le fils du défunt président dictateur Idriss Déby n'a attendu la permission de personne pour se déclarer président au lendemain du décès de son père le 20 avril, en violation de la Constitution. L'Elysée n'y a rien trouvé à dire.
Mieux, Emmanuel Macron, seul dirigeant occidental présent aux funérailles de Déby père, s'est assis à la droite du nouveau chef d'Etat. "La France, a-t-il déclaré, ne laissera jamais personne, ni aujourd'hui, ni demain, remettre en cause la stabilité et l'intégrité du Tchad." Le néoputschiste peut dormir sur ses deux oreilles. Un mois plus tard, inspiré peut-être par la clémence de Paris et de l'Union africaine - qui n'a appliqué aucune sanction -, un autre officier s'est vu calife à la place du calife. Pour la deuxième fois en moins d'un an, Assimi Goïta a pris le pouvoir par la force à Bamako. Le mot tabou, jamais prononcé par l'Elysée au sujet du Tchad, est soudain devenu permis : Emmanuel Macron a condamné un "coup d'Etat", histoire de montrer que la France reste attachée à la "bonne gouvernance", qu'elle plaide sommet après sommet pour aider le Sahel à lutter contre le terrorisme.
Dans un entretien au Journal du dimanche le 30 mai, le chef de l'État français affirmait avoir "passé le message" aux dirigeants ouest-africains. Il "ne restera pas aux côtés d'un pays où il n'y a plus de légitimité démocratique, ni de transition". Ces derniers ne l'ont qu'à moitié entendu. Réunis en session extraordinaire au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) le 30 mai, ils se sont contentés de suspendre le Mali de leurs instances. Mais ils n'ont pris aucune sanction directe contre Assimi Goïta, entérinant, de fait, ce second putsch. La CEDEAO a toutefois appelé à la tenue d'élections en février prochain : assez de bonnes intentions pour que Paris s'aligne sur cette déclaration... malgré la fermeté affichée la veille.
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Emmanuel Macron n'a, de fait, pas grande latitude sur le cours des événements à Bamako. Il en a fait l'amère expérience en découvrant le putsch du 18 août 2020, qui a renversé le président malien Ibrahim Boubacar Keïta. Mais le chef de l'Etat français dispose d'une arme : Barkhane. Il menace de retirer la force antiterroriste de 5100 soldats déployée au Sahel si le pouvoir en place cède à la "tentation" de "l'islamisme radical". "Emmanuel Macron vise ici deux cibles : l'électorat français, à qui il sert un discours simpliste sur le basculement potentiel dans l'islamisme du Mali ; et l'Etat malien qui négocie effectivement avec certains islamistes, explique Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute. Le président français cherche à anticiper la situation paradoxale dans laquelle risque de se retrouver Barkhane, mobilisée aux côtés de l'Etat malien au nom de la lutte contre le terrorisme, quand ce même Etat discute, de son côté, avec certains chefs de guerre."
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L'enjeu pour Paris ? Réussir à fixer des lignes rouges pour éviter que Bamako ne fasse de trop grosses concessions aux islamistes. L'opération militaire française a beau s'enliser dans les sables du Sahel, après huit ans d'intervention, elle demeure un argument de poids qui résonne au sommet de l'Etat malien, explique le journaliste Wassim Nasr, spécialiste des réseaux djihadistes : "Sans Barkhane, Bamako ne pourrait même pas envisager de négocier avec les djihadistes, tout comme le gouvernement afghan n'a pu dialoguer avec les talibans que parce que l'armée américaine leur mettait la pression sur le terrain."