Avant même qu’il ne soit déclaré président de la transition par la Cour constitutionnelle, vendredi 28 mai, le colonel Assimi Goïta, vice-président, s’était déjà mis dans la peau du vrai chef de la transition en abrogeant les décrets de nomination de certains proches du président Bah N’Daw. Il a mis à profit ce laps de temps pour prendre langue avec la classe politique et la société civile pour expliquer le bien fondé de son second coup d’État intervenu mardi 25 mai dernier.
Sous la pression de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la France, de l’Union européenne (UE), de l’Organisation des Nations unies (ONU), les militaires qui étaient venus en sauveurs, le 18 août 2020, pour parachever l’œuvre patriotique du peuple malien à travers les manifestations du Mouvement du 5 juin- Rassemblement des forces patriotiques (M5- RFP) contre la mauvaise gouvernance du président d’alors Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), ont cédé le pouvoir à des civils en attendant un faux pas de ceux-ci pour le reprendre. Cela est chose faite depuis le mardi 25 mai dernier. Suite à la formation du gouvernement II de Moctar Ounae, le 24 mai, le pouvoir a changé de main. Les militaires se sont attribués les pleins pouvoirs le 25 mai avant que la Cour constitutionnelle ne leur donne la présidence par un arrêt le 28 mai.
Avant cet arrêt de la plus haute juridiction du pays qui lui donne désormais les pleins pouvoirs de diriger la transition, le vice-président, le colonel Assimi Goïta, s’était déjà mis dans la peau du seul maître à bord du bateau Mali qui tanguait dangereusement sous la direction du président Bah N’Daw. Il s’est assumé dans un premier temps à publier un communiqué dans lequel il décharge le président et le Premier ministre de la transition de leurs prérogatives, la rencontre avec les secrétaires généraux des ministères, ensuite est venue l’abrogation des décrets de nomination de certains conseillers du président de la transition démissionnaire et dans un second la rencontre, vendredi 28 mai, avec la classe politique, la société civile et le Réseau des communicateurs traditionnels du Mali (RECOTRAD). Il a profité de ces échanges avec ses interlocuteurs pour donner les raisons qui lui ont poussé à mettre à la touche de la transition le président et son Premier ministre.
Sans rien dire sur son second coup d’État opéré contre les deux têtes de l’exécutif de la transition à ses visiteurs du jour, le colonel Assimi Goïta a tenu un discours dans lequel il a appelé à la mobilisation générale et à l’union sacrée pour sauver la transition dont la charge vient de lui être confiée par un arrêt de la Cour constitutionnelle, coupant court à toutes sortes de gymnastiques intellectuelles déjà engagées par certains de nos compatriotes pour le remplacement de Bah N’Daw à Koulouba. Et sans passer par mille chemins, il a informé de vive voix la classe politique, toutes tendances confondues, que la primature est confiée au Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5- RFP).
On se rappelle que cette coalition de partis politiques, d’associations, mouvements politiques et de la société politique avaient été la rampe de lancement des manifestations qui ont poussé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) sous la pression des militaires, réunis au sein du Comité national du salut public, à rendre sa démission le 18 août 2020, ouvrant la porte à une transition de dix-huit (18) mois placée sous la tutelle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
La décision du nouveau chef de la transition malienne a été diversement appréciée par certains acteurs de la classe politique qui pensent que ce choix devrait se faire à travers un large consensus entre acteurs politiques et de la société civile. Par contre, d’autres estiment que justice a été rendue au M5-RFP pour avoir mené le combat qui a précipité la chute du régime d’IBK qui incarnait tout sauf la stabilité et la cohésion sociale au Mali. Aussi, ajoutent- ils que pour qu’on arrive là, certains militants du Mouvement 5 juin ont perdu la vie au cours des manifestations des 10, 11 et 12 juillet 2020. Et au sein de l’opinion nationale, on dit que c’est le retour de l’ascenseur à ceux qui ont prôné le changement sous Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et qui continuent de prôner le même changement sous la transition malgré leur mise à l’écart de la gestion de leur ‘‘bébé’’ durant neuf mois après le départ d’IBK au pouvoir. Ils saluent d’ailleurs la constance de leur discours qui n’a jamais été altéré après le départ de certains de leurs compagnons de lutte qui ont vite regagné l’autre camp avant la clarification sur la conduite de la gestion de la transition.
Un couteau à double tranchant
Le colonel Assimi Goïta, en s’emparant du pouvoir pour la seconde fois, le mardi 25 mai 2021, en faisant démissionner le président de la transition, Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane, a reproché à l’ancien chef de l’État de s’opposer à la lutte contre la corruption et la délinquance financière, surtout dans l’achat des équipements militaires sous le règne d’IBK, du manque de consultation et la rétention d’informations sur certains grands dossiers, la grogne sociale, le blocage dans le travail gouvernemental, la perte de confiance entre le gouvernement et l’opinion publique, la dissolution du gouvernement et la reconduction unilatérale du Premier ministre, l’absence de consultation dans la formation du nouveau gouvernement et le souci de sauvegarder la cohésion au sein des forces armées maliennes.
De loin, le nouveau chef de l’État a observé la gestion des affaires de l’État et de mieux connaître les hommes auxquels il peut désormais compter pour l’aider à poursuivre le vaste chantier de la remise du Mali sur les rails. Il devient désormais un impératif pour le colonel Goïta de donner une réponse claire à ce qu’il a reproché à Bah N’Daw pour s’emparer du pouvoir. Ne pas satisfaire ses déclarations qui ne font pas de cadeau à Bah N’Daw et à son Premier ministre peut être un couteau à double tranchant pour le colonel Goïta aux yeux de l’opinion nationale. Et les mots ne vont pas manquer pour qualifier son action de prise du pouvoir s’il n’arrive pas à honorer ses engagements. Certains diront qu’il est un assoiffé de pouvoir. D’autres vont dire qu’il a écarté le vieux pour ses intérêts personnels.
La balle est dans votre camp, colonel pour prouver que le contraire et de faire en sorte que la gestion ne soit pas un couteau à double tranchant, mais un pouvoir au service du peuple malien pour tourner la page noire de notre histoire que nous vivons depuis le coup d’État de 2012. C’est à vous de redorer le blason de l’armée à travers une gestion saine, juste et transparente des affaires du pays pour qu’on oublie à jamais les scandales politico- financiers qui ont permis à des vrais faux démocrates de s’enrichir impunément sur le dos du pauvre peuple malien.
Yoro SOW
ARRET N°2021-02/CC/VACANCE DU 28 MAI 2021
La Cour constitutionnelle
AU NOM DU PEUPLE MALIEN
Vu la Charte de la Transition;
Vu la Loi n°97-010 du 11 février 1997 portant Loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, modifiée par la Loi n°02-011 du 05 mars 2002;
Vu le Décret n°94-421 du 21 décembre 1994 portant organisation du Secrétariat général et du Greffe de la Cour constitutionnelle ;
Vu le Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle en date du 28 août 2002;
Vu le Décret n°2021-0355/P-T du 24 mai 2021 mettant fin aux fonctions du Premier ministre et des membres du Gouvernement;
Vu la lettre de démission de Monsieur Bah N’DAW, Président de la Transition en date du 24 mai 2021;
Vu la lettre n°000145 du 27 mai 2021 du Ministre Directeur de Cabinet du Vice-président de la Transition transmettant au Président de la Cour constitutionnelle la lettre de démission en date du 24 mai 2021 du Président de la Transition et le Décret n°2021-0355/P-T du 24 mai 2021 mettant fin aux fonctions du Premier ministre et des membres du Gouvernement;
Les rapporteurs entendus en leur rapport ; Après en avoir délibéré ;
Considérant que par lettre n°000145 du 27 mai 2021, enregistrée le même jour au courrier à l’arrivée du Greffe de la Cour de céans sous le n°007, le Ministre Directeur de Cabinet du Vice-président de la Transition saisissait le Président de la Cour constitutionnelle, aux fins de droit;
SUR LA RECEVABILITE DE LA SAISINE
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 36 alinéa 2 de la Constitution du 25 février 1992: «En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président de l’Assemblée Nationale»;
Considérant qu’en l’espèce, il s’agit de la vacance de la Présidence de la Transition et non de la vacance de la Présidence de la République d’une part ; que le Gouvernement est dissout suivant décret n°0355/P-T du 24 mai 2021, d’autre part;
Que dès lors les dispositions de l’article 36 de la Constitution ne sont applicables qu’à la vacance de la présidence pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif;
Considérant qu’aux termes du titre I de la Charte de la Transition du 1er octobre 2020 «la Charte de la Transition …complète la Constitution du 25 février 1992 et dont le présent préambule est partie intégrante»;
Que cependant elle ne prévoit ni la procédure de constatation de la vacance de la Présidence de la Transition, ni les autorités chargées de saisir la Cour à cet effet, encore moins le mode de saisine ;
Considérant que ce vide juridique ne saurait bloquer le fonctionnement des organes de la Transition et l’activité des Pouvoirs Publics ;
Qu’en conséquence, il y a lieu de déclarer recevable la lettre n°000145 du 27 mai 2021 du Ministre Directeur de Cabinet du Vice-président de la Transition tendant à la constatation de la vacance de la Présidence de la Transition;
SUR L’OBJET DE LA SAISINE
Considérant que dans une lettre du 24 mai 2021, Monsieur Bah N’DAW, Président de la Transition présentait sa démission en ces termes «… je voudrais en ce moment précis tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces derniers mois, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit…»;
Considérant qu’au regard de ce que dessus, il y a lieu de constater la vacance de la Présidence de la Transition;
Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la Charte de la Transition «le Président de la Transition est secondé par un Vice-président. Il est désigné dans les mêmes conditions que lui»;
Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Charte de la Transition, le Président de la Transition et le Vice-président de la Transition peuvent «être une personnalité civile ou militaire»;
Qu’ils prêtent tous deux (02) serment devant la Cour suprême, ainsi qu’il ressort des dispositions de l’article 10 de la Charte de la Transition;
Considérant qu’aux termes de l’article 85 alinéa 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle est «…l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des Pouvoirs Publics»;
Que l’article 3 de la Charte de la Transition dit que les organes de la Transition sont: le Président de la Transition, le Conseil National de Transition et le Gouvernement de Transition;
Considérant la paralysie et le dysfonctionnement des organes de la Transition suite à la démission du Président de la Transition et la dissolution du Gouvernement ;
Qu’en conséquence, il y a lieu de pourvoir à la vacance de la Présidence de la Transition;
Considérant que le Vice-président de la Transition, Colonel Assimi GOÏTA, et le Président démissionnaire de la Transition, Monsieur Bah N’DAW, ont été désignés dans leurs fonctions respectives dans les mêmes formes et conditions et ont prêté la même formule de serment devant la Cour suprême;
Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la Charte de la Transition, le Vice-président seconde le Président de la Transition;
Qu’en raison de la vacance de la Présidence de la Transition, il y a lieu de dire que le Vice-président de la Transition assume les prérogatives, attributs et fonctions de Président de la Transition, Chef de l’État;
ARRÊTE :
Article 1er: Constate la vacance de la Présidence de la Transition suite à la démission de Monsieur Bah N’DAW, Président de la Transition, Chef de l’État;
Article 2: Dit que le Vice- Président de la Transition exerce les fonctions, attributs et prérogatives de Président de la Transition pour conduire le processus de transition à son terme;
Article 3: Dit qu’à compter de la notification du présent arrêt, le Vice- Président de la Transition porte le titre de Président de la Transition, Chef de l’État;
Article 4: Ordonne la notification du présent arrêt au Vice-président de la Transition, au Président du Conseil National de Transition (CNT) et sa publication au Journal officiel;
Ont siégé à Bamako, le vingt-huit mai deux mil vingt-et-un