Bien qu’elle soit interdite officiellement, la mendicité prend de plus en plus de l’ampleur à Bamako. De nos jours, il est très difficile de se promener dans la rue dans la capitale malienne sans croiser un enfant mendiant ou talibé. Ce phénomène devient inquiétant pour les Maliens, au regard de son évolution fulgurante. Quelles sont les causes de la mendicité ? Quels risques les enfants encourent en errant dans la rue pour quémander ? Quelles solutions durables pour endiguer ce phénomène dans la société ? Autant de questions qui ont trouvés leurs réponses dans notre enquête.
Autrefois, certains voyaient cette pratique sous le prisme de sa vocation éducative et didactique : initier les enfants à l’endurance, au courage et à la débrouillardise. Pour d’autres, elle reflète une dimension traditionnelle et religieuse ancrée dans la société.
Aujourd’hui, la réalité est toute autre. La plupart des enfants censés être encadrés par les marabouts n’apprennent rien. En lieu et place de l’apprentissage du coran et des hadiths du prophète Mohamed(PSL), les apprenants sont envoyés par leurs maitres coraniques à la quête du prix de condiment et les abandonne ainsi à l’éducation de la rue. C’est un phénomène inquiétant aujourd’hui quand on sait que l’insécurité et la criminalité sont monnaies courantes dans les villes.
Les témoignages de certains enfants talibé sont poignants et illustrent leurs drames. Agé de 9 ans, Moussa Dolo, originaire de Pyan (village de Bandiagara), parle en ces termes de son calvaire quotidien : «J’ai quitté mon village pour apprendre le Saint Coran en même temps que d’autres enfants. Mes amis et moi marchons entre 2 et 3 km par jour pour aller mendier ». Et d’ajouter que dans la rue les enfants mendiants se regroupent par affinité et chaque matin ils se donnent rendez-vous au bord de la route de Koulikoro pour quémander.
Ces mendiants (talibé) sont tenus de réunir 1000 FCFA (recette journalière fixée par le maitre coranique) avant de retourner au domicile du maitre coranique sis à Banconi. Malheur à celui qui n’aura pas apporté cette somme : soit il reste au dehors ou accepte de rentrer en s’exposant au châtiment du maitre. «Sans ces 1000 francs CFA, il est hors de question de retourner à la maison au risque d’être sévèrement puni. Dans ce cas on arpente souvent tous les quartiers de la commune I du District de Bamako pour réunir la somme», confie notre interlocuteur.
Salam Diarra, âgé de 7 ans à peine, explique pour sa part que sa corvée de mendicité commence chaque jour à 6h30 du matin et ne s’achève que tard la nuit, en se plaignant de ne disposer du moindre temps pour jouer. «Jouer pour nous les mendiants est un luxe», a-t-il fulmine les larmes aux yeux.
Interrogé par nos soins sur les tenants du phénomène, l’iman de la mosquée de Doumanzana explique que la mendicité au Mali remonte à l’Empire peul du Macina où les apprenants coraniques, appelés talibés, devaient aller de porte en porte quémander leur nourriture quotidienne. Et notre interlocuteur de soutenir que la religion n’encourage nullement la mendicité et qu’elle la condamne à la limite.
A l’origine, la mendicité rentrait dans le cadre de la formation et avait pour but « de former les enfants à un certain mode de vie dure», mais quand une personne n’a aucun moyen et aucune source de revenus la religion l’autorise à mendier pendant un certain temps, mais pas en faire une activité pérenne, explique-t-il au passage.
Un maitre coranique approché par nos soins sur la corvée des enfants explique pour sa part que la mendicité des enfants n’a pas commencé aujourd’hui et que l‘utilisation des enfants répond à un besoin de subvenir à leurs propres besoins. «Nous n’avons pas les moyens et nous devons héberger une vingtaine d’élève», à t-il justifié au passage.
Quant aux citoyens interrogés sur la question dans les rues de Bamako, leurs avis sont partagés. «La mendicité des enfants est un grave problème pour les citoyens, puisqu’au finish ce sont ces mêmes enfant qui deviendrons des voyous, des délinquants et des voleurs», relève un habitant de Bacadadji, tandis qu’une autre dame s’est dite plutôt choquée par le décor dramatique d’innocents enfants réduits à l’errance les pieds nus ou contraints de dormir a même le sol.
Quant à la COMADE (Coalition malienne des droits de l’enfant), une association et organisation non gouvernementale qui lutte pour le droit des enfants en collaboration avec le gouvernent, elle n’a de cesse de donner de la voix dans le sens d’une condamnation de la pratique des enfants en rappelant que responsabilité pénale liée à l’incitation des mineurs. Elle fait face toutefois à la complexité d’un phénomène où un l’ancrage religieux est conforté par une paupérisation réelle de certaines composantes de la société. Que faut-il faire pour y remédier ?