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L’exploitation d’or au nord Mali : L’autre chasse gardée des groupes armés rebelles et djihadistes
Publié le jeudi 10 juin 2021  |  Miroir-Hebdo
Kidal
© Autre presse par DR
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Le trafic de drogue, des marchandises de tout genre, ne sont plus les plus activités d’économie criminelle de certains responsables des groupes armés rebelles et djihadistes dans le Sahel. A Kidal comme à Gao, l’exploitation de l’or sous le contrôle des maîtres des lieux est une réalité. De même qu’au Niger et au Burkina Faso.


Depuis le début des années 2000, on assiste à un fort développement de l’orpaillage, autrement dit l’exploitation artisanale de l’or, au Sahara et au Sahel. On ne le sait pas toujours, mais réputé pour son insécurité, Kidal est aussi un haut lieu de prospection aurifère où se croisent groupes armés, acteurs économiques et aventuriers.



Cette zone du nord Mali est devenue une plaque tournante dans la recherche du métal jaune. En dépit de tous ces dangers, des jeunes venus des pays voisins mais aussi du Mali, au risque de leur vie, tentent de faire fortune.



Ces ruées vers l’or ont pris naissance dans un contexte politique marqué par une forte insécurité née de la présence de groupes salafistes et djihadistes dans la sous-région. Au Mali, tout d’abord, ils sont parvenus, au début de l’année 2012, à s’emparer de vastes territoires avant d’en être chassés par l’opération française Serval, aidée des armées malienne et tchadienne en 2013.



Mali, Niger, Burkina Faso sont aujourd’hui au cœur d’une vaste exploitation d’or. À plus de 1 500 kilomètres de la capitale malienne, Kidal depuis maintenant quelques années est au cœur d’une vaste campagne d’extraction d’or pour la plupart de façon artisanale. Cette prospection artisanale de l’or s’est intensifiée, charriant un flux important d’orpailleurs locaux comme étrangers provenant de divers pays africains, équipés de détecteurs de métaux, de marteaux-piqueurs, de pioches, de pelles, de compresseurs, appâtés par cette nouvelle manne financière disponible à ciel ouvert.



Les zones ciblées sont entre autres Tessalit, Talhandak, Abeibara, Tinzaouatène, dans le cercle de Tin-Essako. Selon les informations recueillies, des centaines d’hommes s’affairent fiévreusement, scrutant parmi les grains de sable et de pierre des tamis, «  l’éclat jaune or », qui leur donnera le signal de piocher, de creuser à quelques mètres de profondeur pour remplir leurs sacs de pierre, de sable, d’une terre qu’ils espèrent aurifère.

Selon le Point, de grands leaders de la CMA ont investi, des opérateurs économiques maliens aussi, ils ont fait venir et utilisent des machines qui permettent de mécaniser l’extraction de l’or et d’augmenter considérablement leur production. Comptez par exemple environ 75 000 FCFA de l’heure pour un bulldozer qui pourra faire le boulot. Ces grands engins de terrassement, accessibles aux mineurs fortunés, ont pour la plupart été volés à Gao, Tombouctou ou Ansongo, à de grandes entreprises comme la SATOM, au début de la crise de 2012. Ils ont été ramenés à Kidal et servent depuis pour les constructions en ville ou pour l’extraction de l’or, cite le journal le Point.



Toujours selon le même journal, les cadres de cette zone y font travailler les Soudanais, les Tchadiens et les Burkinabés, des experts dans ce secteur. «  Pour chaque sac à traiter, il faut débourser environ 10 000 FCFA, et on ramène souvent des dizaines, voire des centaines de sacs », décrit un jeune Kidalois.



En une année, l’artisanat minier à Kidal a généré beaucoup d’activités, créer beaucoup d’emplois, bénéficiant à ceux qui creusent, mais aussi aux autres, qui vendent le carburant, le matériel, assurent la restauration, aux petits commerces, aux boulangeries, boucheries, à ceux qui transportent l’or comme ceux qui le traitent et le vendent, aux plus vulnérables comme aux plus puissants. « Avant l’exploitation de l’or, des familles qui n’avaient rien aujourd’hui jouissent de grands privilèges, des gens ont pu casser leurs maisons en banco et à la place, ils ont construit des villas. L’or a généré une sorte de boom économique  », explique Rhissa. « Les Touareg sont des nomades, ils vivent de l’achat et de la vente de leur bétail. Avec l’or, leur bétail est acheté tous les jours. Il y a tout un marché qui s’est constitué. L’impact économique sur la ville est très net, si quelqu’un qui n’était pas à Kidal l’année dernière revient aujourd’hui, il va être surpris par le nombre de chantiers, ça a changé l’état d’esprit des gens pour investir à Kidal. Mais, il y en a aussi qui s’échinent, mais qui ont perdu, on n’a pas tous les mêmes chances  », poursuit-il.



Ces mineurs qui ont fait fortune, qui sont devenus millionnaires en quelques jours, semaines ou mois, entretiennent cette fièvre de l’or. Certains achètent un point stratégique de la ville, ils y construisent des boutiques qu’ils mettent en location, d’autres construisent des maisons ; des changements individuels qui changent le visage de la ville, mais ne bénéficient pas forcément à toute la communauté. «  C’est surtout de l’enrichissement personnel. Autre fait non négligeable, les anciens combattants qui devraient normalement suivre le processus du DDR et le cantonnement se sont pour la plupart adonné à l’extraction de l’or qui selon eux serait beaucoup plus rentable.

L’or, nouvel enjeu pour les groupes djihadistes

Par ailleurs, ces découvertes sont venues s’ajouter aux sites aurifères déjà exploités à Tillabéry [Niger], dans le sud du Mali [Koulikoro, Sikasso et Kayes] et au Burkina Faso, où des employés d’une société minière canadienne [la SEMAFO] ont été attaqués alors qu’ils s’en allaient vers la mine de Boungou.

Quoi qu’il en soit, avance une étude que vient de publier l’International Crisis Group [ICG], « la production artisanale [d’or] représenterait désormais près de 50% des volumes produits industriellement. Elle atteindrait chaque année 20 à 50 tonnes au Mali, 10 à 30 tonnes au Burkina Faso et 10 à 15 tonnes au Niger, soit une valeur monétaire globale située entre 1,9 et 4,5 milliards de dollars par an. » En outre, y lit-on « plus de deux millions d’acteurs seraient directement impliqués dans l’orpaillage artisanal : un million au Burkina Faso, 700.000 au Mali, et 300.000 au Niger. » Évidemment, une telle manne ne peut que suscités de nouveaux enjeux sécuritaires. « Les plus récentes découvertes aurifères au Sahel [comme à Kidal] couplées à l’implantation nouvelle de groupes armés dans des zones où l’or était déjà exploité [nord du Burkina Faso, zone de Torodi au Niger] expose plus que jamais ces ressources à la prédation de groupes armés rebelles et djihadistes », souligne l’ICG. Pour les groupes djihadistes, ces sites miniers exploités artisanalement constituent une source de financement et une opportunité pour recruter. En outre, certains grands orpailleurs sont aussi des acteurs majeurs du narcotrafic. Et l’exploitation de l’or leur permet aisément de « blanchir » leur argent sale.

Enfin, dans la région de Kidal, les sites d’orpaillage sont contrôlés par les rebelles Touaregs de la CMA [Coordination des mouvements de l’Azawad], dont certains sont à la fois liés aux djihadistes. « Avant de redéployer les services publics dans les zones aurifères, les Etats sahéliens doivent sécuriser les mines d’or artisanales. Ceci est difficilement envisageable, à court terme du moins, dans les zones sous contrôle des groupes armés rebelles et/ou djihadistes, comme Kidal ou le Soum. Ailleurs, l’Etat est encore en mesure de sécuriser les mines soit en y dépêchant ses propres forces, soit en privilégiant une coopération sécuritaire avec des acteurs privés locaux, qui sont déjà présents mais devraient être mieux encadrés », avance l’ICG.

Mais les États sahéliens devraient également être aidés par les pays importateurs d’or en provenance d’Afrique, comme les Émirats arabes unis, la Chine et la Suisse. L’ICG appelle en effet ces derniers à « renforcer le cadre légal de leurs importations d’or » afin de réduire les risques de blanchiment d’argent et de financement des groupes armés.

Que représentent ces entreprises artisanales dans la région par rapport aux entreprises industrielles ?

Même si la ressource exploitée est la même, les réalités économiques, sociales et politiques sont très différentes. Des pays comme le Mali et le Burkina Faso ont chacun une dizaine de mines industrielles en production. En moyenne, sur chaque mine industrielle, il y a environ 2000 emplois, bien payés, mais cela ne représente que 20 000 emplois à l’échelle de pays de 15 à 18 millions d’habitants. À côté de cela, au Mali comme au Burkina, on estime qu’il y a 1,5 à 2 millions de personnes qui vivent de manière directe ou indirecte de l’exploitation artisanale de l’or. Le ratio en termes d’emplois est sans commune mesure. Par ailleurs, les mines industrielles fournissent des revenus aux entreprises, mais elles fournissent aussi des rentes aux États, qui peuvent représenter plus de la moitié des recettes budgétaires et de 60 à 80% des exportations, alors que la production des mines artisanales échappe, dans des proportions variables suivant les pays, au contrôle étatique.

Ahmadou Sékou KANTA

Source : Miroir-Hebdo
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