L’annonce faite hier par le président français Emmanuel Macron est une surprise. Si elle traduit un certain agacement de Paris, elle préfigure une transformation, prévue de longue date, du corps expéditionnaire français dans l’espace sahélo-saharien
En conférence de presse hier, le président français, Emmanuel Macron, a annoncé la fin de l’opération Barkhane “sous sa forme actuelle”. Il a évoqué le passage à un nouveau cadre centré sur l’appui, le soutien et la coopération. Des consultations seront menées avec les Américains et les Européens pour un résultat “d’ici à la fin juin”, a précisé le chef de l’Etat français.
Il faut rappeler que depuis l’éclatement de la crise au Nord de notre pays en 2012, l’Armée française est aux côtés des Forces armées maliennes (FAMa) dans leur combat contre l’ennemi. Cet engagement s’est d’abord matérialisé sur le terrain avec l’Opération Serval lancée en janvier 2013 pour soutenir les FAMa à repousser une offensive des groupes terroristes qui avaient pris le contrôle des Régions du Nord et qui voulaient avancer vers le Sud du pays. Ladite opération sera remplacée par la Force Barkhane à partir du 1er août 2014. Cette opération militaire menée par l’Armée française est commandée depuis sa base principale à N’Djamena. Elle est implantée dans notre pays à Gao, à Tessalit, à Tombouctou et plus récemment à Gossi. Et aussi à Niamey.
Le 14 juillet 2014, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian annonçait que cette opération « se fait en partenariat avec les cinq pays de la zone sahélo-saharienne à savoir la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, tous membres du G5-Sahel ». Le 16 juillet 2014, Bah N’Daw alors ministre de la Défense et de des Anciens combattants et son homologue français Le Drian signaient un accord de défense franco-malien à Bamako. Selon le ministère français de la Défense, cet accord « identifie les principaux domaines de coopération de défense : échange d’informations et consultations régulières sur les problèmes sécuritaires, formation, conseil, entraînement et équipement ».
Au commencement de l’opération Barkhane, les effectifs engagés étaient de 3.000 militaires, 200 véhicules logistiques, 200 blindés, 4 drones, 6 avions de combat, une dizaine d’avions de transport et une vingtaine d’hélicoptères. Le nombre des effectifs a augmenté par la suite. Début 2018, 4.500 hommes étaient mobilisés. Et en février 2020, les effectifs passaient de 4.500 à 5 100 hommes.
La collaboration entre les troupes françaises et l’Armée malienne s’est poursuivie et a permis d’engranger, au fil des ans, de très bons résultats dans le cadre de la lutte contre les terroristes dans plusieurs localités où ceux-ci se sont solidement implantés. Cette coopération s’était renforcée avec les opérations conjointes. Ces derniers mois, les deux partenaires planifiaient régulièrement des opérations conjointes qu’ils menaient ensemble avec des résultats probants. Plusieurs chefs djihadistes d’AQMI et de l’État islamique dans le Grand Sahara ont été éliminés. De nombreux repaires des terroristes dans la zone des trois frontières ont été démantelés.
Malgré ces succès, difficile de perdre de vue le fait que la situation sécuritaire est pire aujourd’hui qu’au moment du lancement de Barkhane. Les groupes armés terroristes se sont essaimés à maints endroits du Sahel et continuent de semer la mort au nez à la barbe des militaires français et des armées sahéliennes.
COMME UN COUPERET- Depuis les récents évènements survenus dans notre pays fin mai et ayant abouti à la démission du président de la Transition Bah N’Daw et du Premier ministre Moctar Ouane le 25 mai dernier, la collaboration entre militaires maliens et français a pris un sérieux coup. Emmanuel Macron a condamné avec la plus grande fermeté ce qu’il a appelé « l’arrestation du président de la Transition, de son Premier ministre et de leurs collaborateurs », ajoutant que « ce qui a été conduit par les militaires putschistes est un coup d’État dans le coup d’État inacceptable qui appelle notre condamnation immédiate ».
Le président Macron a ainsi brandi la menace d’un retrait des troupes françaises du Mali. Et le premier palier de cette menace mis à exécution fut la suspension des opérations conjointes entre les troupes françaises et l’Armée malienne.
Le chef de l’État français est donc allé plus loin avec l’annonce d’hier qui tombe comme un couperet. Si le projet de remodelage de l’opération Barkhane était dans le tuyau depuis quelque temps, la décision du président Macron est tout de même une surprise. Elle traduit un certain agacement de Paris suite aux récents événements à la tête de l’État malien. C’est pourquoi, on ne peut s’empêcher d’y voir une volonté de l’Elysée de sanctionner les militaires qui ont pris le pouvoir à Bamako.
Mais le Mali n’est pas le seul à subir les conséquences de cette annonce pour le moins abrupte. L’Armée malienne perd certes un partenaire de poids dans la lutte contre le terrorisme. Mais il est indéniable que Paris donne des ailes aux groupes terroristes. Ceux-ci ne manqueront pas de capitaliser cette annonce en faisant une communication sur leur victoire sur le corps expéditionnaire français.
Il est fort à parier que les groupes extrémistes ne sont pas étrangers à la campagne frénétique sur les réseaux sociaux contre la présence française dans les pays du Sahel. La décision de Macron est donc un motif de satisfaction pour les stratèges des guerroyeurs islamistes qui pourraient se gargariser d’avoir non seulement résisté farouchement à l’armée française mais aussi gagné la guerre de communication contre l’une des puissances militaires mondiales.
Aussi, il est indéniable qu’un départ précipité de la France ne fera que renforcer sa mauvaise image dans le Sahel en apportant de l’eau au moulin de ses détracteurs. On ne manquera pas de s’interroger dans les capitales sahéliennes comme Bamako, Niamey et Ouagadougou. Et même au-delà car les groupes extrémistes ne cachent pas leurs visées sur les pays côtiers. Les stratèges français n’ignorent certainement pas cette donnée.
Pas question pour l’Hexagone d’abandonner le Sahel aux hordes terroristes après avoir consenti tant de sacrifices. En plus des 51 militaires tués, elle a dépensé des milliards d’euros pour entretenir Barkhane. Sans compter ses intérêts économiques et géostratégiques. Par delà ces considérations, son image de puissance militaire mondiale ne saurait s’accompagner d’un retrait pur et simple qui sonnerait comme une défaite face à la résistance des groupes terroristes du Sahel.
L’annonce de la fin de Barkhane n’a pas été accompagnée d’une indication suffisamment claire sur la nouvelle forme de la présence militaire française au Sahel. Le président Macron s’est contenté d’expliquer qu’à l’issue de consultations, « une transformation profonde de notre présence militaire au Sahel » sera annoncée. Cette transformation profonde prendra la forme « d’une alliance internationale associant les États de la région ».