Dimanche 30 mai 2021, l’armée centrafricaine dans un raid matinal contre les bidasses de l’un des principaux groupes armés réfractaires au pouvoir du président Faustin Archange Touadera, notamment l’unité pour la paix en Centrafrique (UPC), a outrepassé ses frontières en s’attaquant, sur le territoire tchadien, au poste de Sourou.
L’incident est lourd de conséquence et n’augure rien de bon car le lundi 31 mai 2021, le chef de la diplomatie tchadienne Cherif Mahamat Zene réagit par un communiqué faisant état de six soldats Tchadiens abattus par les forces armées voisines dont cinq enlevés et exécutés à
Mbang, un village centrafricain frontalier. Et d’assurer que l’acte ne restera pas impuni. Bangui n’a pas tardé, le même lundi, à donner des clarifications tout en attribuant l’incident à des échanges de tirs avec des morts de chaque côté. Mais N’Djamena, incrédule, s’offusque toujours de ce qu’il considère comme un crime de guerre et une attaque meurtrière préméditée et planifiée. Le mardi 1er juin 2021, une mission centrafricaine conduite par Sylvie Baipo Temon, ministre des Affaires étrangères, débarque à N’Djamena pour une présentation d’excuses officielles, des excuses illico acceptées par les autorités tchadiennes de Transition. A l’issue de cette rencontre, les deux parties ont jugé opportun de mettre en place une commission d’enquête internationale indépendante et impartiale pour élucider l’incident.
Par ailleurs, malgré ce semblant d’apaisement, il semble évident que toute une avalanche de dissensions sépare les deux pays. En effet, depuis presque une décennie les deux voisins ne sont plus en odeur de sainteté. En témoignent la fermeture des frontières tchadiennes à la
Centrafrique, en 2014, mais également le retrait des troupes tchadiennes, accusées d’exactions sur les civils centrafricains, de la mission des Nations-Unies en Centrafrique. Autant de signes révélateurs d’une atmosphère très tendue et annonciateurs d’un conflit fratricide qui se profile à l’horizon, qui pourrait résulter d’un choc des intérêts géostratégiques entre la France et la Russie. Il est de notoriété publique, par ailleurs, que Bangui et Moscou sont en intelligence depuis quelques années au grand dam de Paris, ce qui explique la montée en puissance actuelle de l’armée centrafricaine appuyée par des conseillers militaires russes mais aussi de la société paramilitaire russe «Groupe Wagner». De quoi conduire la France à s’appuyer sur le Tchad, son plus grand partenaire militaire privilégié dans la sous-région et acquis à sa cause, comme levier pour reconquérir sa totale mainmise sur le conflit centrafricain. Une preuve parmi tant d’autres réside dans la détection par Bangui de nombreux mercenaires tchadiens parmi les groupes armés rebelles qui contrôlent une bonne partie de son territoire, une accusation non encore démentie par N’Djamena. Selon Dabian Assingar, représentant de la fédération internationale des droits de l’homme au niveau de la communauté économique et monétaire d’Afrique centrale, «cette guerre n’est pas celle des Africains» mais celle de la France et de la Russie dont il dénonce sans ambages les ingérences.
En tout cas, malgré une accalmie apparente, il y’a de quoi redouter un conflit inter- Étatique sur fond d’enjeux internationaux immenses.
Surtout que l’ex président centrafricain François Bozize, avec son aura internationale et grand ami du peuple tchadien par l’entremise de sa relation avec le défunt Idriss Deby, semble à l’affut pour reconquérir le pouvoir.
En définitive, l’Afrique, doucement mais sûrement, est sur le point de devenir le théâtre de confrontations d’intérêts géostratégiques extraordinaires de grandes puissances mondiales. Si à la fin de la deuxième guerre mondiale on parlait de division du monde en deux blocs, bientôt on risque d’assister à la division de l’Afrique entre Etats pro-russes et pro-français. Et ce n’est pas le Mali d’Assimi Goita et la Guinée d’Alpha Condé, pays qui font les yeux doux à la Russie parmi tant d’autres, qui diront le contraire.