La drépanocytose, un problème de santé publique qui peine à trouver sa place depuis plus d’un siècle dans les politiques de santé en Afrique. Où est donc le problème ? Comment changer de paradigme ? Ce sont là, entre autres, questions abordées dans cette contribution (dédiée à la journée mondiale de lutte contre la drépanocytose célébrée le 19 juin) du Pr Dapa Diallo, Professeur honoraire d’hématologie de l’USTTB. Ancien Directeur Général du Centre de recherche et lutte contre la drépanocytose (CRLD) de Bamako.
La drépanocytose est la maladie génétique du globule rouge la plus répandue au monde particulièrement en Afrique subsaharienne où on enregistre plus de 300 000 naissances drépanocytaires par an. En l’absence d’accès à des soins spécifiques, 50 à 80% des enfants nés drépanocytaires meurent avant l’âge de 5 ans. Suite à la célèbre déclaration de Nixon en 1970 devant le Sénat américain qui a abouti à la mise en place de gros programmes de dépistage néonatal de la drépanocytose à partir de 1972, on s’est rendu compte que l’espérance de vie du drépanocytaire dépendait en fait de ses possibilités d’accès à une prise en charge médicale adaptée et que finalement le drépanocytaire qui accédait à des soins spécifiques drépanocytaires dès la naissance, pouvait avoir une espérance de vie très proche de celle du non drépanocytaire. C’est face à ce constat que l’on a observé à partir de 2000, une grande mobilisation des associations des drépanocytaires, des scientifiques et de premières Dames d’Afrique qui a amené les grandes instances de décision en santé, à déclarer la maladie comme une priorité de santé publique au monde et à consacrer à partir de 2008, la journée du 19 juin de chaque année, journée mondiale de lutte contre la drépanocytose. Il est plus que surprenant en effet qu’en 2021 c’est-à-dire plus de 10 ans après cette déclaration, on constate que la drépanocytose occupe peu de place dans les politiques de santé en Afrique comme en témoignent, l’existence de peu de Centres de référence de la drépanocytose et de peu de programmes de formation, l’absence de programmes de dépistage précoce systématique de la drépanocytose composantes essentielles des stratégies d’amélioration de la survie du drépanocytaire.
Historiquement l’oublie de cette maladie dans les programmes prioritaires de santé en Afrique était soutenue par plusieurs arguments, essentiellement d’économie de santé qui sont que les maladies génétiques étaient des maladies non curables, dont le diagnostic était coûteux et qui étaient associées inexorablement à des décès précoces. Mais le poids en santé de la drépanocytose parmi les autres pathologies n’a jamais été mesuré et des représentations populaires particulières limitent encore l’accès du drépanocytaire aux soins médicaux conventionnels. Le temps est venu de changer de paradigme pour plusieurs raisons : i) on compte actuellement plus d’un décès évitables d’enfants drépanocytaires toutes les 5 minutes en Afrique et, ne pas considérer cette donne n’est éthiquement pas soutenable; ii) les moyens de diagnostic de la drépanocytose peuvent être accessibles à tous les drépanocytaires à des coûts bas (très proches de celui d’une recherche d’infection palustre telle que opérée dans les Centres de santé de base); iii) l’espérance de vie du drépanocytaire qui accède à des soins spécifiques drépanocytaires dès la naissance est très proche de celle du non drépanocytaire; iv) enfin, les ripostes aux maladies infectieuses épidémiques (VIH/SIDA/paludisme/tuberculose, Ebola, Covid-19) en Afrique nous ont beaucoup appris pour considérer que la prise en charge de la drépanocytose est à la portée des pays africains. On a besoin : i) d’un engagement politique des Etats africains qui soutiendrait le financièrement des programmes de sensibilisation/éducation de la population, de formation du personnel de santé et de dépistage précoce de la drépanocytose, ii) d’un accompagnement des Etats africains par les institutions internationales de financement de la santé et, iii) d’une réorientation des allocations des Fonds au niveau mondial pour financer les programmes de santé en Afrique.