Mardi, 29 juillet 2021, il est environ 13h. Mon téléphone sonne longuement. Mais, je ne peux répondre, parce qu’au volant de la voiture. Une fois stationné, je vérifie le nom de la personne qui m’appelait avec insistance. C’était celui du comptable de la Maison du Hadj, Abdoulahi TRAORE, auquel tu es d’ailleurs apparenté à travers ta belle-sœur, Jeannette, ophtalmologue et épouse de ton défunt aîné, le Pr Moussa TRAORE, neurologue de renom et ancien doyen de la Faculté de médecine de Bamako. Il me dit calmement, comme à ses habitudes (c’est vrai qu’il est d’un calme olympien en toutes circonstances) : « Je viens de lire sur les réseaux sociaux que ton ami est décédé, Abass Fambougouri ». Je lui réponds : « Si c’est répandu dans les réseaux sociaux, c’est que c’est vrai, parce que je sais qu’il était gravement malade depuis un bon moment ». Effectivement, quand je me suis connecté, j’ai eu la confirmation de la terrible nouvelle : le grand Chef des latrines de la grande famille DIARRA s’en est allé, pour de bon, nous laissant dans le chagrin et la tristesse, en attendant notre propre ultime rendez-vous avec le Seigneur des mondes.
Tu sais, chaque fois qu’un petit TRAORE veut se vanter devant moi, en faisant valoir ses gros titres, je le remets dans ses petits souliers en lui rappelant ce que tu es pour nous : « le grand Chef des latrines ».
Ce titre, tu l’as obtenu de haute lutte après ta nomination au poste de chef de Cabinet par ta Tante, Mme DIARRA Mariam Flanté DIALLO, ministre de la Communication, sous le règne du Président ATT (paix à son âme).
A l’époque, j’animais la rubrique « humour » dans le quotidien des sans voix, Info-Matin, par le biais de laquelle, j’ai salué ta nomination, en te qualifiant de « Chef des latrines », le mot « cabinet » signifiant « latrine » dans une certaine acception en langue bamanankan.
A la lecture de cet hommage exceptionnel et bien mérité, un de tes grands-pères se rend à ton bureau pour te mettre à l’épreuve. Il se présente à ta secrétaire et celle-ci t’informe, par le truchement de l’interphone, de la présence d’un « Vieux » qui voulait te voir. Tu lui dis de bien s’occuper de la personne âgée en question en termes commodités gustatives (thé à la menthe, Lipton, lait, etc.), le temps pour toi de libérer les personnes qui étaient déjà dans ton bureau. Une fois ces personnes sorties, tu fais appeler ton grand-père, que tu ne connaissais pas encore, ni d’Eve ni d’Adam. Tu lui dis : « Mon père (vu son âge très avancé et ses cheveux blancs), je suis à toi. Et que puis-je faire pour toi ? ». Il te répond calmement : « Le problème, c’est que mes latrines sont toutes remplies et même bouchées ». Confus et même énervé, tu répliques : « En quoi est-ce que moi Abass, je suis concerné par ce problème ? Tu t’es trompé d’adresse et de personne. Va plutôt voir les spiros (citernes) pour cela ». Imperturbable, ton grand-père te fait savoir : « Je ne me suis pas trompé d’adresse, ni de personne. Car, je viens de lire dans un journal de la place que toi, Abassa Fambougouri TRAORE, viens d’être nommé chef de cabinet, c’est-à-dire des latrines. Donc, il faut faire vite, parce que c’est le trop plein chez moi, à cause de tous tes parents, affamés et sous-alimentés, qui séjournent régulièrement chez moi pour se remplir la panse et pouvoir avoir de l’embonpoint à revendre ».
C’est en ce moment que tu réalises que le Vieux est un respectable notable KONE/DIARRA.
Aussitôt, tu décroches ton téléphone pour déverser ta bile vengeresse sur moi, en me traitant de tous les noms d’Israël ; si ce n’est du Mali : « Je sais que c’est toi seul qui écris ce genre d’histoires à faire dormir debout sur moi et les miens. Je viens de dire à un de tes pères d’aller au diable et de se faire voir ailleurs. Il faut manger vous-mêmes vos excréments, parce que nous n’allons pas polluer notre environnement et notre cadre de vie en les déversant dans la nature ».
C’était au lendemain de ton retour de Nioro du Sahel (ma ville natale), où tu étais allé couvrir les festivités du Maoulid, l’anniversaire du Prophète de l’islam, avec le Chérif Mohamédou Ould Cheick Hamallah HAIDARA.
Tu me confies que ton séjour à Nioro était toujours un moment de joie et de plaisir pour toi avec mes frères et neveux qui te fatiguaient beaucoup par des coups à toi assénés, par doses successives, sous le couvert du cousinage à plaisanterie.
J’encaisse néanmoins le coup, avec la philosophie qui sied en la circonstance : tes insultes sont des éloges pour moi et une source de joie immense, dans le sillage du pacte social qui nous lie à jamais, remontant aux temps immémoriaux de nos ancêtres respectifs.
Je peux témoigner que tu n’as jamais failli en ce qui concerne le respect de ce pacte. Ton estime à mon endroit s’accroît davantage accrue quand tu constates, de visu, que ton aîné Moussa TRAORE et moi étions très liés. En effet, malgré le grand écart d’âges entre nous (plus de 20 ans), on était des amis et il m’invitait régulièrement à dîner chez lui avec son épouse Jeannette. Seul cet héritage ancestral est capable d’une telle prouesse à pouvoir briser les barrières sociales : un véritable pied-de-nez à la gérontocratie, cette valeur sacro-sainte de la société malienne en particulier et africaine en général.
En tous les cas, tu auras mérité de la patrie malienne par ton professionnalisme comme en témoignent tes nombreux reportages de belle facture à la télévision, de véritables cas d’écoles pour journalistes en herbe, sans oublier ton esprit d’équipe, ni ton sens élevé de la convivialité et de la confraternité journalistique, aussi bien à l’ORTM que dans la vie de tous les jours et dans différents cabinets ministériels.
Tu auras également impressionné par ton esprit d’indépendance et ton courage, en publiant des articles d’opinion dans la presse privée, sur des sujets d’intérêt national, sans recourir au fard du pseudonyme quelconque, à l’instar de nombreux intellectuels. Un trait de caractère que tu as hérité de moi-même, Bina SOD.