Il était prévisible qu’un jour ou l’autre Karim Kéita serait rattrapé par l’affaire Birama Touré. Depuis la disparition de notre confrère, le 29 janvier 2016, le nom du fils de l’ex-président IBK, ancien président lui-même de la Commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale dissoute le 18 août 2020, est au cœur de ce drame qui présente toutes les apparences d’un acte crapuleux. Et entretient une similitude troublante, à quelques détails près, avec l’affaire Norbert Zongo au Burkina Faso.
Ce confrère, qui excellait dans les enquêtes sur la mauvaise gouvernance du régime de Blaise Comparé, s’était impliqué dans la recherche de la vérité sur la mort de David Ouédraogo, qui se trouvait être le chauffeur de François Compaoré, frère cadet du président. Accusé d’avoir volé de l’argent appartenant à l’épouse de son patron, plutôt que d’être livré à la police ou à la gendarmerie, il a été pris en main par la Sécurité présidentielle. Il décédera des tortures qu’il a subies pour lui faire avouer «son» délit. Les corps calcinés de Zongo et trois de ses compagnons ont été retrouvés, le 13 décembre 1998, dans les débris du véhicule qui les transportait, sur le bas-côté d’une route nationale. Sous la pression de la rue indignée, l’enquête judiciaire, ouverte seulement deux ans plus tard, conduira à l’inculpation puis la condamnation de six agents de ce corps d’élite chargée de la sécurité de la famille présidentielle. Vingt-et-un ans après, le principal suspect, François Compaoré, n’est toujours pas entendu par la justice burkinabe, qui a rouvert le dossier après la chute de Blaise, en octobre 2014.
Journaliste d’investigation sans avoir l’envergure et l’aura de Zongo, Birama Touré, si l’on fait foi aux informations véhiculées par la presse sur son cas, enquêtait sur une affaire de mœurs dans laquelle serait mêlé Karim Kéita. Pour éviter que son honorabilité (c’est le cas de l’écrire) ne soit entachée et que sa réélection ne soit compromise, le député de la commune 2 et chérubin du président de la République aurait tenté de le soudoyer en lui versant 2 millions de nos francs, lors d’une première rencontre. Mais redoutant que le journaliste ne fasse de cette trouvaille un filon inépuisable, Karim s’en s’ouvre à un ami de la Sécurité d’Etat, qui décide de prendre le dossier en charge. Birama Touré est attiré dans un piège, enlevé, séquestré, torturé y compris à l’électricité sur ses organes génitaux, selon certaines sources. Quinquagénaire, privé des médicaments qu’il prend régulièrement contre l’hypertension dont il souffre, mal nourri, il finit par mourir aux mains de ses geôliers qui s’empressent de le faire disparaître nuitamment.
Durant les cinq ans et demi qui ont suivi son enlèvement, la justice malienne s’est avérée impuissante à établir les circonstances précises du drame, situer les responsabilités et prononcer les sanctions, arguant de l’impossibilité d’entendre le principal suspect du fait de l’impunité parlementaire qui le couvrait. La dissolution de l’Assemblée nationale, prononcée, ironie du sort, par son propre père et l’engagement pris par les autorités de la transition de ne plus laisser prospérer l’impunité ont ouvert la voie au mandat d’arrêt international lancé lundi contre lui par Interpol.
Karim, qui a toujours clamé son innocence dans cette affaire, allant jusqu’à déposer une plainte en diffamation contre ses accusateurs – rejetée pour » raison de forme » – a l’occasion d’en apporter la preuve, en se mettant à la disposition de la justice malienne. Pour que la lumière soit faite et qu’il reste un homme libre et sérein.