Les chefs d’État de la coalition sahélienne et le président français échangeront ce vendredi sur la nouvelle stratégie à mettre en œuvre, dans la perspective de la fin de l’opération Barkhane. Emmanuel Macron va-t-il saisir cette occasion pour apporter davantage d’éclairage sur les nouveaux contours de l’intervention française au Sahel ? Tout porte à le croire
Le futur format de l’engagement militaire de la France au Sahel focalisera les discussions qu’auront, aujourd’hui par visioconférence, les chefs d’État du G5 Sahel et leur homologue français. Il s’agira pour Emmanuel Macron d’expliciter davantage le fond de sa décision de procéder à un désengagement progressif de Barkhane, tout en réarticulant la lutte antiterroriste autour d’une “alliance internationale”. L’idée fait son chemin depuis février. Mais, la situation politique dans notre pays a offert une fenêtre de tir à Macron pour la mettre en train, avec une justification principale : l’absence de progrès sur le plan politique.
La transformation de Barkhane reflète donc les demandes non satisfaites de la France pour que les États de la région assument eux-mêmes de plus grandes responsabilités en matière de sécurité et de gouvernance. Cependant, ces demandes déplacent le blâme de l’échec de l’Hexagone à aider à arrêter la propagation de l’instabilité dans le Sahel.
En dépit des succès tactiques revendiqués, force est de constater que les groupes terroristes ont étendu leur emprise.
Le tableau demeure très sombre au Mali, au Niger et au Burkina Faso où les terroristes ont su engrener des rouages locaux. Au Mali, les attaques asymétriques frappent d’un égal désarroi les militaires et les civils. Dans ces conditions, analyse le chef de projet Sahel à l’International Crisis Group (ICG), la conséquence du retrait de la France, c’est une «militarisation des sociétés dans l’espace sahélien» qui sera «très dure» à freiner.
On pourrait donc penser que le colonel Assimi Goïta a plus de raisons que ses pairs de craindre les implications de la «transformation profonde» annoncée. Même si le contexte sécuritaire est pour le moins tendu pour l’ensemble du Sahel, le Mali plus que tous les autres est sur la corde raide. D’ores et déjà, des observateurs sont unanimes sur le fait que la fin de Barkhane en tant qu’opération extérieure aura un impact important sur toute opération ultérieure, en particulier au Mali.
Barkhane sert de nœud d’opérations pour une série de partenaires dans notre pays. Il fournit d’importantes capacités de renseignement et de logistique qui sont essentielles aux opérations de la Minusma et de la Force conjointe du G5 Sahel. Un retrait sans aucune clarté sur la façon de combiner la sécurité avec la gouvernance et le travail de stabilisation rendra plus difficile de maintenir une pression efficace là où c’est nécessaire, pour justement permettre à l’administration de reprendre pied et œuvrer à la fourniture des services sociaux de base.
FARDEAU- La préoccupation première pour Paris est de se soulager du fardeau de la lutte antiterroriste au Sahel, en déléguant une partie de ses charges à ses alliés européens. La France voudra donc, à l’occasion de ce sommet, convaincre ses partenaires africains de la viabilité de son projet européen : La Task Force Takuba, censée combler le vide. Sauf qu’à la pratique, cette force peine à entrer véritablement en scène et bien des observateurs doutent de sa capacité à compenser la fin de Barkhane. À en croire un chercheur au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), «l’implication militaire de beaucoup de gouvernements européens dépasse déjà les limites de leur politique intérieure et ils vont maintenant reconsidérer leur propre présence dans la région».
Alors que feront les armées nationales pour sauvegarder ce qui n’est pas encore sous la botte des terroristes, et comment récupérer les sanctuaires sans Barkhane ? Comment va fonctionner la jonction entre la Task force Takuba et les forces des pays du Sahel ? Voilà des sujets connexes qui doivent être débattus.
À l’Élysée, l’objectif affiché est de diviser par deux le nombre de soldats français au Sahel d’ici janvier 2023. Selon certaines sources, un scénario en trois étapes est envisagé. La première échéance, prévue début 2022, pourrait aboutir à la fermeture de certaines des bases françaises. Ensuite, une baisse de 30 % des effectifs est envisagée à l’été 2022. Enfin, la dernière étape, prévue début 2023, verra une réduction de moitié des effectifs de l’opération française.
Pour certains observateurs, Emmanuel Macron concède intelligemment son échec.
En « sahélisant » la réponse, il fait effectivement pression sur les pays du G5 Sahel pour qu’ils se prennent davantage en main. Sauf que les armées qui composent la Force conjointe du G5 Sahel ont encore des capacités opérationnelles limitées. Sans être aussi faibles que celles de leurs voisins du Sahel central (Mali, Burkina Faso et Niger), les capacités des armées mauritaniennes et tchadiennes sont loin d’être exceptionnelles. Également, le refus américain et britannique de financer la Force conjointe du G5 Sahel au travers d’un mécanisme onusien régulier et durable (chapitre 7) met la coalition sahélienne à la merci d’une insécurité budgétaire permanente.
Pauvres, les pays du G5 Sahel vont pourtant devoir devenir responsables de leur propre sécurité tout en étant dépendants de financements extérieurs. Elle prendra du temps à se construire et, comme l’espère une France fatiguée et à court de solutions, à remplacer ses soldats. Mais, en réalité, l’ex-puissance coloniale restera dans les encablures des dunes de sable du Sahel. Pour sa sécurité.