Pressenti par l’ancien président ATT pour lui servir de résidence de retraite, un immeuble d’environ deux hectares situé à l’ex-base aérienne de Bamako se trouve au coeur d’un énorme scandale politico-financier. Au point que le nouvel élu, IBK, a renoncé à l’occuper.
Le conseil des ministres du mercredi 21 août 2013 a, par décret, affecté au ministère du Logement le titre foncier n°306 CIII de l’ex-base aérienne de Bamako, titre antérieurement affecté au ministère de la Défense pour les besoins de l’armée. De ce titre-mère n° 306 CIII, il est prévu, selon le décret, de distraire les deux titres fonciers suivants: le titre foncier n° 543 CIII d’une superficie de 1 hectare 81 ares 63 centiares et le titre foncier n° 544 CIII d’une superficie de 81 ares 86 centiares. Ces deux titres distraits doivent servir abriter des résidences au bénéfice des anciens présidents de la République.
Logement de retraite de Dioncounda
Avant le décret du 21 août 2013, la parcelle de 81 ares (8.100 mètres carrés) servait de résidence habituelle aux Premiers Ministres. Au début de la Transition, Dioncounda Traoré se rend compte que les destructions infligées, le 22 mars 2012, par la junte militaire, au palais de Koulouba rendent l’édifice inapte au logement du chef de l’Etat. Dioncounda décide alors d’utiliser pour lui-même la résidence des anciens Premiers Ministres. L’endroit n’envie rien, il est vrai, à un palais présidentiel pour avoir, depuis longtemps, fait l’objet de fastueux travaux de révovation; en tout cas, il plaît à ce point au président de la Transition qu’il en fait sa résidence définitive de retraite. La mise de la parcelle à la disposition du président sortant a-t-elle été suivie de la mutation du titre foncier au nom de Dioncounda Traoré ? En d’autres termes, la parcelle reste-t-elle propriété de l’Etat ou est-elle devenue un bien privé de Dioncounda ? On ne sait. Il est loisible au nouveau pouvoir de s’informer là-dessus. On ne sait pas non plus si la résidence de retraite que l’ancien président Alpha Oumar Konaré s’est fait construire à Souleymanebougou (route de Koulikoro) se trouve immatriculé au nom de l’Etat à celui de Konaré. En revanche, de nombreuses sources attestent que la parcelle occupée, depuis 2002, par l’ancien président Moussa Traoré se trouve au nom de l’Etat du Mali. Mais passons…
La place convoitée par ATT
Après avoir dépassé le portail de la nouvelle résidence de Dioncounda Traoré, on aboutit, deux cents mètres plus loin, à une parcelle beaucoup plus vaste. Bâtie par Moussa Traoré qui l’utilisait comme résidence secondaire – après le palais de Koulouba – jusqu’à sa chute, la place est vaste de près de 2 hectares (1,8 exactement). Sous la Transition de 1991, ATT la réaménage et y prend ses quartiers. Il y reste après la fin de la Transition jusqu’à son retour au pouvoir en 2002. Il continue de l’occuper, à titre secondaire pendant ses deux mandats présidentiels. En 2012, allant sur la fin de son dernier mandat, il fait rénover la place dans l’espoir d’y prendre sa retraite après avoir quitté le pouvoir. Le sort en décide autrement puisqu’ATT s’exile à Dakar suite au putsch du 22 mars 2012.
Nouvellement élu en août 2013, IBK songe à s’installer en ce lieu de rêve où, tout en demeurant au centre de la ville, à deux doigts de la Cité administrative, siège des ministères, on n’en est pas moins journellement bercé par le chant des oiseaux nichés dans les hautes frondaisons.
De surcroît, l’endroit s’avère facile à sécuriser par ces temps agités : une seule voie y conduit, que la garde présidentielle n’aurait nulle peine à contrôler. Une équipe d’IBK se rend donc en visite exploratoire sur le site que l’on croit d’ailleurs fin prêt à l’usage. Grosse surprise : l’équipe tombe nez à nez sur une entreprise chinoise en pleins travaux de rénovation.
L’entreprise porte le nom de CHECHEC et dit agir au nom de l’Etat du Mali. Interrogée, elle prétend bénéficier (tenez-vous bien !) d’un « contrat de gré à gré verbal » de 5 milliards de FCFA !
Qui lui a donné ce fameux « contrat de gré à gré verbal « ? Motus, bouche cousue ! L’affaire sent le roussi à plein nez. L’équipe d’IBK s’en méfie; elle craint que le nouveau président, réputé intègre et élu sur la base de promesses de changement, ne soit, dès au début de son mandat, éclaboussé par quelque scandale en logeant dans un immeuble si problématique. De fait, s’il décide d’y loger, le nouveau président va devoir régler l’entreprise CHECHEC et, par conséquent, régulariser un contrat verbal à tout point de vue illégal. Par ailleurs, comment s’assurer de la véracité des factures de CHECHEC qui prétend avoir déjà investi 5 milliards dans les travaux ?
IBK s’éloigne prudemment
La prudence d’IBK lui épargne assurément de lourdes tuiles politico-financières. Mais une question reste ouverte: qui a autorisé ce « contrat de gré à gré verbal » pour un montant si colossal ?Qui avait assez d’autorité pour octroyer un marché public si hasardeux ? Voilà du blé à moudre pour les enquêteurs publics, pour peu qu’ils servent à quelque chose…
Pour notre part, fouinant çà et là, nous nous sommes laissé dire que le limogeage du très rigoureux Tiena Coulibaly du ministère des Finances avait quelque chose à voir avec ce « contrat de gré à gré verbal ». En effet, juste après le limogeage, le Fonds Monétaire International a fait fuiter dans la presse une « note confidentielle » dont il ressort que Tiena avait bloqué des marchés publics à l’opportunité ou à la moralité douteuse. Parmi les innombrables marchés en cause figure un contrat d’une valeur de 4,4 milliards de francs CFA qui devait être passé avec la société chinoise CHECHEC pour « réhabiliter le palais présidentiel de Koulouba ». Et si, au lieu marché du palais présidentiel de Koulouba, bloqué par Tiena, quelqu’un avait changé le fusil d’épaule et chargé CHECHEC de rénover plutôt la résidence présidentielle de l’ex-base aérienne ?
En tout cas, la proximité entre les montants du marché bloqué (4,4 milliards) et le marché exécuté (5 milliards), l’implication de CHECHEC dans les deux marchés et la hâte avec laquelle on s’est échiné à exécuter le marché verbal indiquent que quelqu’un de très haut placé s’est consciencieusement sucré sur le dos du contribuable malien. Or, sauf erreur ou omission (formule favorite des comptables), IBK a bien annoncé, le 4 septembre 2013, que cela n’adviendrait plus…