Dioncounda Traoré et Assimi Goïta, ces deux chefs d’Etat maliens ont été victimes d’agression, le premier au Palais de Koulouba, le second à la grande mosquée de Bamako.
Le festif et le triste
A l’issue des crises – sécuritaire, économique, tensions au sein de la transition- les chefs de l’exécutif sont en partie rejetés par ceux-là mêmes qui les ont conduits là. Cela vaut pour le Professeur Dioncounda Traoré, Président de la Transition malienne (2012-2013), et pour le colonel Assimi Goïta, Président de la Transition malienne actuelle depuis mai 2021. Seul le regretté Amadou Toumani Touré, en tant que Président de Transition, n’a pas été victime d’agression. Le 21 mai 2012, Dioncounda Traoré a été violemment agressé au Palais de Koulouba par une foule en colère. Gravement blessé, Dioncounda Traoré, soigné à Paris, ne reviendra à Bamako que presque deux mois après son agression. Une des raisons de son agression, ce sont les difficultés entre lui et le capitaine Amadou Haya Sanogo du CNRDRE pour s’accorder sur le « partage » du pouvoir. Le 20 juillet 2021 Assimi Goïta a été agressé au couteau à la grande mosquée de Bamako le jour de la fête de Tabaski, jour du sacrifice pour les musulmans. Renseignement pris, son agresseur était sous l’effet de substances illicites. Il aurait profité de l’état d’esprit des croyants et de la proximité religieuse (vision religieuse proche) pour attenter à Goïta. En attendant, le festif et le triste se confondent. L’agression de Goïta et de Traoré peut être analysée comme un camouflet aux services de sécurité. Mais aussi un contexte d’exaspération de la violence. La violence doit-elle l’emporter sur la paix ?
Les crises mangent les enfants de la République
Dans les crises maliennes, être l’homme de la situation, c’est savoir se mettre au-dessus de la mêlée. Et pas seulement au Mali. Le Président de la transition Burkinabé, Michel Kafando, a essuyé un coup d’Etat le 17 septembre 2015, qui a finalement échoué, avant de reprendre son poste presque une semaine après. A la veille de l’investiture du nouveau Président, Mohamed Bazoum, le Niger échappe à une tentative de putsch militaire. Alors que Bazoum rêve de reformer le Niger et de se porter comme leader, comme le regretté, Idriss Deby Itno du Tchad, de la lutte contre le terrorisme. Certes, la situation du Niger n’est pas comparable à celle du Mali du fait du mode d’accès au pouvoir. Mais il y a quelques liens, car dans les deux cas, il est question d’un processus de déstabilisation des institutions. Les crises menacent les enfants de la République.
Les religions, sacrifiées à l’autel des extrêmes
Revenons à l’agression au couteau du Président Goïta qui n’est pas de bon augure pour le Mali. Elle n’a pas de précédent dans le Mali indépendant, et est révélatrice de tensions disséminées dans la société. Elle est aussi symboliquement forte, car elle se passe le jour du sacrifice musulman et de la proximité, solidarité religieuse. La notion de sacrifice traduit « l’action sacrée par laquelle une personne offre à une divinité, selon un certain rituel, une victime mise à mort… ». C’est l’exemple du sacrifice d’Abraham chez les Chrétiens ou d’Ibrahim chez les Musulmans pour témoigner sa soumission à Dieu. Mais le jour du sacrifice, c’est avant tout celui du pardon et des vœux de paix, de santé ou de cohésion. Quant à la proximité, c’est la « situation d’une chose qui se trouve au voisinage, à peu de distance d’une autre ». Dans le contexte malien, le mot proximité est chargé de valeurs. Il permet d’établir des liens entre les ordres (religieux, politique ou militaire), entre les populations et leurs élus alors même qu’ils sont d’univers différent. Au quotidien, elle induit donc une attention des uns envers les autres pour sortir de la routine, et se reconnecter à la vie. Alors, tenter d’assassiner Goïta un jour de sacrifice et de proximité, c’est tenter de manipuler l’esprit religieux. Hélas ! Par exemple, c’est par la manipulation et l’instrumentalisation de la religion que les groupes narcoterroristes se sont implantés au Mali, au Burkina ou au Niger. Un des effets immédiats de cette manipulation, c’est que les religions sont sacrifiées à l’autel des extrêmes.
Arrêtons de voir chacun midi à sa porte
Comprenons-nous, mon propos n’est pas de tenir responsables les religieux (Catholiques et Musulmans) des activités violentes dans le Sahel. Loin de moi. Mais plutôt de montrer qu’il y a une utilisation politique de la religion par les « entrepreneurs » de la violence à des fins politiques que les acteurs (politiques, religieux, société civile) doivent dénoncer et combattre pour que la religion retrouve ses lettres de noblesse. Enfin, le rapport entre sacrifice et proximité éclaire les relations entre les activités narcoterroristes, l’insécurité et les humiliations. Inutile de dire que l’exécutif actuel doit agir. Arrêtons de voir chacun midi à sa porte. Les fêlures sont tellement profondes que ni les discours, ni les réunions, ni les expertises à tout va, ni les présences infinies dans les réseaux sociaux (WhatsApp) ne suffisent plus. En revanche, seuls les actes au bénéfice de l’intérêt général comptent pour redonner espoir aux Maliens. Aujourd’hui, le travail de l’exécutif doit être dicté par les normes sécuritaires, la lutte contre la corruption et les injustices. Ce sera un de leurs points d’ancrage.
Le Mali dans lequel nous vivons n’est-il pas celui à fonder et à sécuriser ?