Lors de la conférence sur “la lutte contre l’enrichissement illicite au regard des religions”, le Pr. Hamidou Magassa a fait une communication sur la corruption, soulignant que l’islam, religion universelle de soumission volontaire à l’Eternel, a vocation à reformer l’homme et la société par la recommandation du bien et la prohibition du mal. A ce titre l’islam, par sa lutte contre toutes les formes de perversion (déclarées ou cachées), s’inscrit pleinement dans le combat contre la corruption.
Parlant du phénomène de la corruption dans le contexte malien mondialisé caractérisé par la domination du spirituel par le matériel, le Pr. Hamidou Magassa a expliqué que la corruption s’installe malicieusement partout, en raison principalement de la faiblesse de la foi des hommes en Allah (Exalté soit-Il), soit par ignorance de connaissance de l’islam, soit par les vices suscités par la société de consommation ou soit par amour démesuré de l’argent. Parce que, a-t-il argumenté, “la corruption est l’expression négative de la noble nature de l’homme, individu et collectivité, dans son rôle de lieutenant d’Allah, sur terre et au regard de la mission assignée de n’adorer que l’Unique qui dit : «Allah aime ceux qui combattent dans son chemin en rangs serrés pareils à un édifice renforcé». Et le Prophète Muhammad (PSL) de déclarer que : “Chacun de vous est un berger et chacun de vous sera interrogé sur la manière dont il aura gardé son troupeau”.
Position doctrinaire de l’Islam contre la corruption
D’après Pr. Hamidou Magassa, l’islam, en tant que un dogme divin, une loi (charia) et un mode de vie socioculturel, la dernière religion révélée, considère tout acte de détournement d’une fonction publique ou privée à des fins personnelles comme une forme de corruption et de péché (infraction) qui sera sanctionnée par une punition ici-bas et dans l’Au-delà. “C’est donc à partir de ses deux sources de droit, le Coran et les hadith, que l’islam met en garde le fidèle et la société tout entière contre les pratiques et effets, cachés ou visibles, de la petite et grande criminalité qu’est la corruption des mœurs et de la foi. En termes statistiques, l’occurrence du mot corruption revient une vingtaine de fois dans de nombreux versets du Coran”, a-t-il affirmé.
En rappel, il a cité 3 versets qui sont : “Allah sait reconnaitre celui qui corrompt de celui qui réforme” (Al-Baqara, verset 220), “Et ne recherche pas la corruption sur terre car Allah n’aime pas les corrupteurs” (Al-Qasas, verset 77), “Et ne semez pas la corruption sur la terre après qu’elle ait été réformée” (Al-A’Räf, verset 56).
Selon lui, le Prophète Muhammad (PSL) a dit : “Maudit soit le corrupteur, le corrompu et l’intermédiaire entre les deux”, selon Thawban (AAS), dans un hadith rapporté par l’imam Ahmed. En outre, le Prophète d’Allah (PSL) a dit : “Quiconque, chargé de la responsabilité des affaires d’une personne et les a mal gérées par tromperie, n’entrera pas au Paradis”, selon un hadith rapporté par Muslin.
Ce qui signifie, selon Pr. Hamidou Magassa, une exigence de forte capacité individuelle et collective de se conduire correctement dans tous les domaines spirituels (liberté de conscience et de foi en l’Unique), sociaux (solidarité), économiques (honnêteté, travail), politiques (justice) et moraux (droiture, générosité, rejet de la perversion).
“Dans cette très grande épreuve de vie et de mort, où la lutte entre le sacré et le profane alimente la foi, le croyant musulman est appelé à relever tous les défis (bonheurs et malheurs) qui se conjuguent au singulier pour donner un sens pluriel à son séjour temporaire. (…) De se soumettre uniquement à l’autorité d’Allah (Exalté soit-Il) qui est Vérité tout en respectant chaque règle et loi élaborées par les hommes tant qu’elles ne nient pas les ordres divins”, a-t-il dit. Pour lui, l’islam, religion qui instruit la pureté du corps (ablutions) et de l’âme (sincérité), est lutte contre la corruption lorsqu’Allah (Exalté soit-Il) dit, “Et ne dévorez pas mutuellement et illicitement vos biens et ne vous en servez pas pour corrompre des juges pour vous permettre de dévorer une partie des biens des gens, injustement et sciemment” (S2, V188).
“Ce verset interdit formellement la pratique du pot-de-vin cultivée avec assurance dans la plupart des détenteurs de l’autorité en pays musulmans. Le mot juge englobe ici chaque homme dans son domaine spécifique de responsabilité du berger avec son troupeau comme l’indiquait précédemment le Prophète Muhammad (PSL). A ce titre, Allah (Exalté soit-Il), maudit le corrupteur et le corrompu et quiconque fait office, formel ou informel, d’intermédiaire à moins que son intercession ne soit pour le bien. Car, ici, l’un et l’autre échangent service pour s’attendre à un retour sur «investissement», sous forme de cadeau, d’acte d’usure ou de «prix» de la corruption.
Ainsi, le combat contre la corruption est une question très lourde de société, car tout le monde la condamne de manière hypocrite quand chacun est prêt à s’en servir si cela l’arrange momentanément et peu importe son propre dérangement dans le long terme. En la matière, les incantations magiques et les remèdes miracles, aux niveaux national et international, font effet de manche politique, plus ou moins étroit, sans nécessairement revenir à l’esprit de la Sunnah du Prophète Muhammad (PSL) et à la lettre du Coran qui dit explicitement, «En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple tant que les individus qui le composent ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes» (S13, V11). Ce qui signifie que les peuples et leurs leaders n’ont que les vices et les vertus qu’ils méritent car tout a un prix à payer, en bien ou en mal, et encore plus le cadeau, souvent empoisonné. Dans toute l’histoire de l’humanité, passée et à venir et particulièrement à notre époque de faux jihadistes, la responsabilité de la nation (Umma) du Prophète Muhammad (PSL) est la plus grande en raison de cet autre verset du Coran où Allah (Exalté soit-Il) dit, «Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes, vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez en Allah» (S3, V110)”, a-t-il prêché.
Les aspects socioéconomiques de la corruption : “La législation islamique inscrit la lutte contre la pauvreté comme une partie
intégrante de la lutte contre la corruption”
Sur les aspects socioéconomiques de la corruption, Pr. Hamidou Magassa a soutenu qu’avec l’application de la zakat, la législation islamique inscrit la lutte contre la pauvreté comme une partie intégrante de la lutte contre la corruption. Car la lutte pour la survie économique peut entraîner la mécréance, les vols, les escroqueries, la mendicité et toutes les formes de délinquance spirituelle et matérielle.
“Par le paiement de l’aumône qu’est la zakat, les riches doivent accomplir leurs obligations religieuses à l’égard des pauvres. Les sadaqats ne sont destinés que pour les pauvres, les indigents, ceux qui y travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (à l’Islam), l’affranchissement des jougs, ceux qui sont lourdement endettés, dans le sentier d’Allah, et pour le voyageur en détresse. C’est un Décret d’Allah ! Et Allah est Omnipotent et Sage” (S9, V60). Il s’agit d’enrichir les pauvres sans appauvrir les riches ni les réduire à la misère car le paiement de la zakat ou de l’aumône purifie plutôt le capital, toujours acquis dans des conditions douteuses, sans diminuer son montant global tout en le répartissant équitablement entre tous les citoyens. C’est donc une mesure de solidarité humanitaire et de justice sociale qui consolide quotidiennement la paix par des œuvres de charité et elle limite les privations imméritées et les diverses humiliations subies par d’autres membres de la communauté. Parce que la corruption (discorde, désordre, rébellion) a des conséquences désastreuses sur l’économie et les mœurs, la sourate Al Maida, Verset 33, la condamne très vigoureusement en ces termes : «Ceux qui sont en lutte ouverte contre Allah et Son Prophète et qui, sur terre, jettent la discorde, méritent d’être mis à mort et d’être crucifiés, ou d’avoir une main et un pied coupés en sens inverse, ou encore d’être bannis. Ils subiront cette dégradation en ce monde et un châtiment sévère dans l’autre’”, a-t-il fait savoir.
Selon Pr. Hamidou Magassa, la corruption, à petite ou grande échelle, est un phénomène de société qui concerne toutes les zones, rurales et urbaines du Mali, au point qu’on peut parler d’une culture de la corruption qui admettrait que la vache de la communauté broute le mil du champ collectif.
“Tous les secteurs de la vie publique sont impliqués par le trafic d’influence qui caractérise la construction des relations sociales au Mali, le droit à l’ingérence, à l’interférence. Quelle signification peut avoir l’acte de corruption dans un contexte moral où chacun est le dépendant de l’autre, son obligé, pour ne pas dire son esclave ? En fait, les arrangements informels occupent la place stratégique pour l’avenir du pays que les arrangements formels devraient prendre car la corruption s’est socialement normalisée au Mali au point de devenir la règle par absence de règles.
L’ampleur de la corruption dans une corporation est moins liée aux valeurs morales intrinsèques des hommes qui l’animent qu’aux marges de manœuvre que la société et l’Etat mettent à leur disposition dans l’exercice de leurs activités. Pour faussement promouvoir ses propres intérêts, la croyance populaire est que le paiement d’un bakchich au départ est plus sûr que le suivi de la procédure peu fiable à l’arrivée. Tout L’effort de changement attendu dans la lutte contre la corruption consistera donc à prouver le contraire afin que la sous-culture qui la justifie par l’anticipation d’un bénéfice à terme fictif se transforme en condamnation morale collective par ce qui est à perdre à présent et dans le futur”.
Cependant, pour le professeur, ce désordre apparent fait l’ordre caché sur la base de compromis et d’arrangements socialement validés par un système sécuritaire de prise en charge partagée qui interdit la pénalisation ouvertement déclarée, car, a-t-il ajouté, “on ne peut exécuter une sentence de mort s’il y a une véritable identification de qui est concerné tant le bourreau et la victime se confondraient dans la parenté entre badenya (fraternité) et fadenya (rivalité). Toute une chaîne informelle de relations entretenues, de facteurs socio-économiques et d’investissements humains quotidiens font l’ordre dans un apparent désordre dans la prévisibilité dont Allah (Exalté Soit-Il) est le Seul Maître. Au profit des populations qui semblent se laisser gérer, il repose sur les trois piliers opposés aux chefferies traditionnelles et religieux, des élus et des cadres d’une Administration publique qui a du mal à faire la synthèse de son rang à tenir et de son autorité à détenir sur un territoire tant la forte pression des contraintes et des opportunités est complexe, multidimensionnelle et peu connue”.
Engagements et désengagements
A l’entendement de Pr. Hamidou Magassa, la gestion transparente d’un service public d’un point de vue islamique, se définit comme une administration dans laquelle les fidèles et usagers sont mis à contribution, consultés et informés sur toutes les dispositions prises par l’imam (leader) d’une mosquée, d’une cité ou d’un pays. Ce qui suppose le choix démocratique par les musulmans d’un guide (gestionnaire) honnête et sincèrement exprimé au regard de la charia islamique.
“Les décisions ainsi prises en termes d’intérêts communs et les responsables bien tenus de rendre compte au public de leurs actes et propos qui doivent être justifiés tandis que tous les supérieurs hiérarchiques doivent montrer l’exemple au risque d’une sanction visible ou invisible car toutes les dettes se payent, ici bas et au-delà. Si ce n’est pas le cas, alors la corruption s’installe aisément dans les dysfonctionnements institutionnels de notre pays tout en faisant le lit de la culture de l’impunité des agents par déficit de volonté politique du leadership. D’où l’invocation adressée au Seigneur pour qu’il confie nos affaires aux meilleurs d’entre nous, et pas aux plus vils.
L’ignorance étant la mère de tous les vices, notamment spirituels, comment parvenir à un changement rapide des mentalités et des comportements lorsque les valeurs éthiques, basées sur l’intégrité et la responsabilité des acteurs, ne sont plus communiquées par qui de droit à qui de devoir ? Et la qualité de l’école, comme institution, dépend essentiellement de celle du maître. Ce qui invite à rendre sa noblesse au métier d’enseignant par un dispositif public de revalorisation de la fonction, particulièrement dans les écoles de confession musulmane, et de saine compétition interne entre tous les maîtres et nombreux talents en Afrique”, a-t-il préconisé.