Après avoir provoqué la faillite de l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA), acquise suite à un bradage, Aliou Tomota profite d’une visite à la Primature pour rappeler aux autorités maliennes l’importance des unités industrielles dans la vie d’une nation. De qui se moque-t-il est-on tenté de lui demander.
«Un pays sans industrie est la pire chose qui puisse arriver à un Etat» ! C’est la remarque faite par l’homme d’affaires Aliou Tomota à l’issue de l’audience que lui a accordé le Premier ministre Choguel Kokala Maïga le 9 juillet 2021. L’ironie, c’est qu’il est à la base de la faillite du fleuron de l’industrie malienne : l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA) acquise à la suite d’un bradage déguisé en privatisation. Une faillite qui a condamné des pères de famille à mourir de désespoir et dont les familles et les autres compressés continuent de réclamer justice en vain.
Pour le PDG du Groupe Tomota, la relance de cette unité industrielle est un impératif aujourd’hui. Et certainement qu’il compte encore sur une manne financière de l’Etat malien pour la remettre à flot. Si l’on se réfère au compte rendu de la cellule de communication de la Primature (CCRP/Primature) la relance de d’Huicoma était en tout cas au menu des échanges entre les deux personnalités.
Vous conviendrez avec nous que le timing et aussi le sujet de cette audience dérangent dans le contexte actuel. Il est clair que notre pays a besoin d’unités industrielles performantes pour réduire notre dépendance des importations, mais la transition actuelle n’a pas pour vocation d’élaborer la nouvelle politique industrielle du pays. Elle est déjà esseulée par les priorités fixées par la Charte de la Transition. Cette audience suscite également des questions. La faillite d’Huicoma ne date pas de maintenant. Alors pourquoi M. Tomota a-t-il attendu ce moment précis pour solliciter l’aide de l’Etat ? Quel lien a-t-il avec l’actuel Premier ministre ? Quel intérêt aurait le gouvernement de contribuer à la relance d’Huicoma ? Comment cela doit-il se faire ?
Il est incontestable que cette entreprise a occupé une place importante dans la vie économique et sociale de notre pays. L’urgent, c’est de rendre justice aux travailleurs compressés dont certains ne sont plus de ce monde. Ensuite, on pourra penser à la relance de l’huilerie que le Groupe Tomota n’a pas été capable de maintenir au moins en vie. Et pourtant, au moment de son acquisition, elle était le fleuron de l’industrie malienne avec des produits (huile de coton, savons, aliment bétail) qui tenaient la dragée haute à ceux importés.
Le timing de cette audience surprend (à peine nommé à la Primature, Choguel a reçu cet homme d’affaires) comme la privation de d’Huicoma avait surpris plus d’un Malien à l’époque. Et cela d’autant plus que c’est une unité industrielle qui se portait très bien avec des produits de qualité à la portée de la bourse de nombreux Maliens. Sans compter que, selon nos investigations, Huicoma versait chaque année 7 milliards à l’Etat comme impôts en plus des droits de douanes pour les matières importées.
Si elle était endettée, ce n’était pas à cause de la mévente de ses produits, mais de sa mauvaise gestion. Et la solution la plus responsable aurait été de faire un inventaire pour situer les responsabilités, sanctionner lourdement les fautifs et nommer de nouveaux responsables. Mais, il fallait du courage politique pour imposer cela aux partenaires du pays, notamment le FMI et la Banque mondiale qui ont imposé la Politique d’ajustement structurel à nos pays à partir des années 80.
Bradée à un groupe qui n’avait aucune expérience dans le domaine
N’empêche que la privatisation d’Huicoma a surpris plus d’un observateur à l’époque. Et des voix se sont d’ailleurs élevées pour non seulement dénoncer cette privatisation, mais aussi le choix de l’acquéreur dans le Groupe n’avait aucune expérience. Mais, il est clair qu’il (Groupe) tirait d’énormes avantages fiscaux de cette acquisition.
Il faut rappeler que c’est dans le cadre de la restructuration du secteur coton que le gouvernement de l’époque a cédé au Groupe Tomota sa part de 84,13 % du capital social de l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA). A noter que la totalité du capital de cette société était estimée à 16,5 milliards de F Cfa. Le protocole d’accord de cession a été signé le 16 mai 2005. Après cette opération, l’Etat malien s’est retrouvé avec 12 %, le Groupe Tomota avec 84,13 %, 1,64 % à Babou Yara, 0,74 à respectivement Mme Sangaré Hadja Mouye Sanogo, le personnel de la CMDT et celui de d’Huicoma. Selon nos informations, l’Etat a cédé ses actions à seulement 9 milliards de F Cfa pour une société dont le capital était évalué 16, 5 milliards de F Cfa. C’est pourquoi ils sont nombreux les Maliens qui ont crié et dénoncé un bradage inexplicable de l’huilerie qui, de surcroît, nourrissait plusieurs dizaines de milliers de familles. Pendant plusieurs années, la presse a aussi dénoncé de nombreuses zones d’ombre autour de cette opération jugée «scandaleuse».
En tout cas, les travailleurs seront les premiers à faire les frais avec la ville de Koulikoro dont l’usine était le moteur économique. Avec un effectif de 1 199 travailleurs permanents avant la cession, les conséquences ont frappé en premier lieu les saisonniers au nombre de 326, puis les travailleurs permanents au nombre de 454, les journaliers, les femmes qui transformaient les déchets en savon traditionnel, les fournisseurs, les prestataires…
Conscients de la menace qui planait sur l’entreprise, donc sur leurs emplois, les travailleurs iront en grève à plusieurs reprises. Un bon prétexte pour la direction pour se débarrasser d’eux. Elle a ainsi limogé 293 personnes à Koulikoro à la suite de la première grève déclenchée le 11 septembre 2005 par le syndicat pour exiger la mise en place d’un Plan social, comme le stipule l’article 8 du protocole d’accord de cession, et la gestion correcte des ressources financières d’Huicoma.
Plusieurs violations du protocole d’accord par l’acquéreur ont été dénoncés par les médias et les employés sans susciter une quelconque réaction de l’Etat. En résumé, ce sont les autres entreprises du Groupe (Tata Transport et Entreprise générale de génie civil et de bâtiment-EGGC BAT) qui auraient profité de l’huilerie pour prospérer alors qu’elle était progressivement poussée à la faillite.
Une relance qui se fait toujours attendre malgré les milliards qui auraient été injectés dans la production de la matière première
«L’Huilerie cotonnière du Mali peut être rentabilisée», avait déjà confiée Aliou Tomota à Jeune Afrique dans un entretien publié en mars 2011. Et pourtant, cinq ans après le rachat de Huicoma, les usines étaient déjà toutes à l’arrêt. Pour les relancer, l’homme d’affaires envisageait d’investir dans la production des oléagineux a fin de faire de son groupe un acteur agro-industriel de premier plan dans la sous-région.
«La dette de l’entreprise, quand nous l’avons rachetée, était de près de 20 milliards de F Cfa, largement plus que les 6 milliards annoncés lors de la signature du contrat. De plus, la baisse des cours mondiaux du coton au cours des cinq dernières années a fait chuter la production. De fait, la Compagnie malienne de développement des textiles, qui a le monopole de la commercialisation du coton, ne nous a livré que 91 000 tonnes de graines pour la campagne 2005-2006, alors que notre capacité totale de trituration est de 350 000 tonnes. En conséquence, en cinq ans, nos trois usines n’ont tourné que six mois à temps plein», s’était-il défendu dans l’entretien en question pour justifier la faillite de d’Huicoma.
«Pour alimenter aujourd’hui les usines, nous investissons dans la production d’oléagineux. Nous produisons déjà du tournesol, de l’arachide et du coton en expérimentation sur 2 000 ha dans la zone de l’Office du Niger. Nous envisageons, si les tests sont concluants, de nous étendre progressivement sur 140 000 ha», avait précisé l’homme d’affaires. Et cette nouvelle orientation lui aurait coûté 15 milliards de F Cfa pour l’achat des systèmes d’irrigation, des machines, des tracteurs et des intrants.
Mais, jusqu’à preuve du contraire, cet investissement a été infructueux puisque les usines d’Huicoma n’ont toujours pas repris la production qui était le sujet principal de sa visite au Premier ministre Choguel Kokalla Maïga le 9 juillet 2021. S’il y a une chose que l’Etat malien doit discuter avec le Groupe Tomota, c’est sans doute la reprise à son compte d’Huicoma. Elle doit redevenir une entreprise publique. A défaut, un schéma de Partenariat Public-Privé (PPP) peut être aussi envisagé. Mais, ce ne serait pas «sain» que l’Etat injecte de l’argent dans la relance de cette unité industrielle alors qu’elle reste la propriété du Groupe Tomota.
Dans tous les cas de figure, il vaut mieux clarifier les conditions de l’huilerie au Groupe Tomota et analyser les raisons de la descente aux enfers de cette importante entreprise pour mieux les comprendre et éviter de tomber dans le même piège.
Si l’homme d’affaires est réellement conscient de la nécessité de cette relance, il doit être capable de convaincre les banques d’y investir. A moins que le Groupe ne soit plus… solvable ! En tout cas la démarche de M. Tomota ne nous rassure pas. Et cela d’autant plus que Dr Choguel Kokalla Maïga était ministre de l’Industrie et du Commerce en 2005 (sous le premier mandat du défunt président Amadou Toumani Touré) qu’Huicoma a été cédée au Groupe Tomota dans des conditions loin d’être transparentes. L’actuel Premier ministre est donc partie prenante dans ce scandale. Mais pour des autorités qui veulent refonder le nouveau Mali, il est souhaitable d’éviter toute collusion ou connivence entre le politique et le milieu des Affaires !