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Siaka Coulibaly, analyste politique au Burkina Faso : « Sans indépendance monétaire, nos Etats ne sont que des grandes ONG »
Publié le samedi 14 aout 2021  |  Mali Tribune
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En marge de son séjour au Mali pour la mise en place d’un mouvement panafricain pour le bien-être des populations en Afrique de l’Ouest, Siaka Coulibaly, juriste et analyste politique au Burkina Faso, nous a accordé un entretien. L’analyste fait le tour des problèmes socio-politiques que traversent les pays de l’Afrique de l’Ouest et pose le curseur sur les solutions. Selon lui, l’indépendance monétaire est l’un des facteurs économiques les plus importants qui permettent à un pays de ne pas avoir de difficultés. « Nous ne détenons pas cette indépendance économique. C’est ce qui fait la différence entre une ONG et un Etat. Si vous prenez ce critère, vous trouverez que nos Etats ne sont rien d’autres que de grandes ONG parce que c’est la même structure économique », précise-t-il.
Mali Tribune: Aujourd’hui qu’est-ce que les pays de l’Afrique de l’Ouest partagent en commun ?

Siaka Coulibaly : L’Afrique de l’Ouest en général ce sont des pays qui se retrouvent dans cette sphère qui est aussi couverte par la Cédéao (Communauté économique des Etas d’Afrique de l’Ouest). Il y a 15 pays, qui rassemblent les pays des différentes langues. Des pays anglophones, des pays francophones et des pays lusophones.

L’Afrique de l’Ouest présente quelques caractéristiques qu’on peut relever. Des caractéristiques qui sont une certaine histoire politique, une certaine communauté physique, une dimension démographique et une particularité économique. Pour parler de la dimension économique, il s’agit des pays dont la plupart sont situés parmi les pays les moins avancés (PMA). Les pays qui connaissent une pauvreté endémique. La plupart ont été des pays pauvres très endettés (PPTE). Donc au plan économique, ils se caractérisent également par une faible croissance économique hormis deux ou trois pays qui ont une certaine stabilité. Je veux parler du Nigeria, du Ghana et de la Côte d’Ivoire. La plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest sont plutôt en difficulté sur le plan économique. Au plan social, ils sont classés parmi les 30 derniers pays de l’indice au développement humain.

Mali Tribune : Quelles sont les causes de ce sous-développement ?

S C. : Cela est dû à plusieurs facteurs. Des facteurs historiques, politiques et naturellement des facteurs économiques. Sur le plan historique, il se trouve que ce sont des pays qui ont tous connu la colonisation et doivent leur existence à la puissance colonisatrice. Ce facteur ne vient pas à l’esprit de beaucoup d’acteurs dans les réflexions, dans les discussions ou dans les politiques publiques mais est un facteur fondamental. Parce que les Etats dans lesquels nous vivons n’ont pas été créés selon des dynamiques objectives par rapport à la communauté sociologique qui aurait donné d’autres découpages. Si on avait respecté la communauté sociologique, on aurait par exemple eu les peuples de moitié-Mali, moitié-Burkina Faso et du nord-Côte d’Ivoire plus ceux du Sénégal, de la Guinée, qui auraient constitué un grand empire, un grand ensemble qui correspond à peu près à ceux de l’empire Manding. La communauté sociologique aurait donné ce résultat. Mais vous vous rendrez compte que ce groupe est morcelé en 4 ou 5 Etats différents. Ils sont obligés de cohabiter avec d’autres groupes qui ont des caractéristiques sociologiques différents. Ce qui se traduit au plan économique par une sorte « d’incompréhension et de manque de cohésion ». Qui fait qu’il y a un des facteurs économiques qui ne doivent pas exister qu’on appelle « la confiance ». Tout cela s’accumule.

D’autres facteurs qui expliquent aussi la lenteur économique, c’est la question de la monnaie qui fait que beaucoup de nos pays notamment ceux de la zone francophone n’ont pas l’indépendance monétaire. Or l’indépendance monétaire est l’un des facteurs économiques les plus importants qui permettent à d’autres pays de ne même pas avoir de difficultés. Nous nous ne détenons pas cette indépendance économique. Le levier monétaire, c’est ce qui fait la différence entre une ONG et un Etat. Si vous prenez ce critère vous trouverez que nos Etats ne sont rien d’autres que des grandes ONG parce que c’est la même structure économique.

Mali Tribune: Comment nos Etats sont-ils des ONG ?

S C. : Ce sont des ONG sous la forme juridique et sur le plan économique puisque vous avez les budgets qui ont les mêmes sources qu’une ONG. C’est-à-dire des recettes qu’on recherche et qui incluent des subventions, des prêts et des dépenses de l’autre côté. Or l’instrument monétaire permet de générer des ressources, juste à partir de la monnaie. Ça permet, lorsque vous avez des difficultés budgétaires par exemple suite à Covid-19 tous les pays de l’Afrique francophone connaissent des difficultés, mais la monnaie permet à d’autres pays de combler les déficits dus à la Covid-19 juste avec les variations monétaires. Donc au-delà des aspects symboliques qu’on attache au F CFA, qui sont que les réserves sont gardées en France, c’est aussi une monnaie qui a été créée par la France. Ça s’appelle colonie française (CFA). Ce sont des aspects, je ne dis pas qu’ils sont faux, c’est que nous ne menons pas le contrôle et que nous ne pouvons pas l’utiliser comme une politique économique. C’est vrai que c’est difficile de faire comprendre cela à la plupart de nos populations.

Mali Tribune : Comment expliquer ce manque de contrôle, ça se passe comment ?

S C. : Le manque de contrôle, c’est que ce n’est pas une monnaie créée par nos pays. La décision du coût n’appartient pas à nos pays. Le F CFA vaut 6,59 Euro. Ce n’est pas le Mali qui a décidé cela. Le Mali subit cette indexation. Justement c’est pour expliquer que si le Mali avait son indépendance monétaire lorsqu’il a des difficultés, il peut réduire par exemple la convertibilité et générer des ressources à partir de cela, uniquement. Sans faire autre chose. Sans que les usines augmentent leurs productions. Sans que les Peulhs n’augmentent le nombre de têtes de bétail. Sans que les agriculteurs n’augmentent la surface. Seule la monnaie permet par un jeu seulement du coût de régler certains problèmes. Je vais prendre un exemple pour illustrer. En 2019, le Président américain Donald Trump a pris des mesures douanières contre certains produits chinois. Pas seulement chinois même l’Europe a subi la même chose. Par exemple, les vins français ont été majorés de taux de douane. Mais, la Chine a fait une dévaluation de sa monnaie et ça lui a généré des ressources et a comblé la perte subie du taux de douane. Cela, c’est indépendamment de la production intérieure.

Mali Tribune: Quelle solution faut-il ?

S C. : Il faut rechercher l’indépendance monétaire. Sans cette indépendance, nos Etats ne sont que des grandes ONG.

Mali Tribune : Quels doivent être les voies et moyens pour obtenir cette indépendance monétaire ?

S C. : C’est d’abord la volonté politique de nos dirigeants. C’est là où il y a toute la difficulté parce qu’on se rend compte que les dirigeants de nos Etats jusqu’à présent ne formulent pas une volonté politique franche sur cette question d’indépendance monétaire. Vous avez suivi tout ce qui s’est déroulé entre 2018 et 2020 concernant l’Eco. La plupart ont voulu qu’on adopte l’Eco comme la monnaie de l’Afrique de l’Ouest au niveau de la Cédéao. Vous avez vu que certains chefs d’Etat dont Alassane Dramane Ouattara en lien avec le Président Emanuel Macron ont pris un certain nombre de mesures en décembre 2019 concernant cet Eco sans qu’on le voit les Présidents du Mali, du Niger, du Burkina Faso être présents même à cette rencontre avec Emanuel Macron. Donc, c’est cela qui me permet de dire que la volonté politique n’est pas franche en ce qui concerne la question de la monnaie et de son indépendance.

Mali Tribune : Pourquoi y a-t-il toujours une instabilité politique en Afrique de l’Ouest ?

S C. : En ce qui concerne la politique, on peut diviser les pays, d’abord en deux groupes. Et c’est une séparation qui va se faire à partir de l’angle linguistique. Si vous prenez de 1990 à aujourd’hui, 1990 étant l’année du renouveau constitutionnel puisque, avant, il y avait des régimes d’exception, des régimes à parti unique. En 1990, il y a eu ce qu’on appelle la chute du Mur de Berlin et la mondialisation. Cette mondialisation a eu une dimension politique aussi, à savoir que les pays du monde ont adhérée à des libéralismes politiques sous forme de démocratie.

Les réformes qui incluent le multipartisme, la séparation des pouvoirs et des libertés. Ce renouveau constitutionnel de 1990 quand on prend les deux zones linguistiques, vous trouverez que le monde anglophone a très bien intégré le changement. On prend les deux pays les plus emblématiques du monde anglophone, c’est-à-dire le Nigeria et le Ghana, de 1990 à aujourd’hui, ils n’ont plus connu une crise politique majeure. Les deux autres pays anglophones que sont la Siéra-Léone et le Liberia, ont fait 10 ans de troubles et de guerre civile. Mais à partir de 2000, n’ont plus connu de crise politique majeure. Quand vous prenez, les pays francophones, de 1990 à aujourd’hui, il y a eu une période de stabilité et de rechute dans les bouleversements. Ces bouleversements, on va les situer au niveau des coups d’Etat, au niveau des soulèvements populaires et au niveau de la non-alternance à la tête de l’Etat avec cette question de 3e mandat. Le 3e mandat ne concerne que le pays francophone. Donc vous avez une situation ambivalente en Afrique de l’Ouest où il y a une vitesse différente entre les pays francophones et les pays anglophones.

Mali Tribune : Cette situation ambivalente est due à quoi ?

S C. : C’est dû à beaucoup de facteurs. Les pays anglophones ont beaucoup de marge de manœuvre à l’intérieur pour leur vie politique que les pays francophones qui sont caractérisés par un certain nombre de facteurs liés à l’histoire et à leur lien avec la France, leur ancienne puissance colonisatrice. Qui font que ces pays ont du mal à gérer leur crise politique.

Mali Tribune: Qu’est ce qui provoque ce manque de marge de manœuvre de la politique intérieure de ces pays africains par leurs dirigeants ?

S C. : C’est essentiellement lié à la façon dont ces pays ont accédé à l’indépendance. Surtout, c’est dû au modèle de colonisation. Si vous voyez les pays anglophones, ils ont connu un mode de colonisation indirect. La puissance colonisatrice a laissé les autochtones africains s’organiser politiquement et diriger les Etats même pendant la colonisation. Or dans le pays francophone, le colon administrait lui-même les colonies en personne, jusqu’à à ce que l’indépendance donne lieu à des guerres. Ce qu’on appelle la guerre de libération, la guerre des indépendances. Où on a été obligé de chasser physiquement le colon dans certains pays comme la Guinée, etc. Ce mode de colonisation a fini par influencer le cours de la vie politique des pays francophones. Et cela donne lieu à cette conception de la politique, qui fait que nos enjeux ne sont pas des enjeux locaux. Ils sont surtout liés à la relation avec l’ex-colonisateur, qui ne se prive pas de se mêler de la gestion des pays. Pour cela on a le meilleur exemple sous la main. C’est celui du Mali. Avec la question de la Force Barkhane dont le retrait n’a pas été négocié avec les autorités maliennes. La France a estimé un moment qu’elle va se retirer du Mali sans discuter avec les Etats major pour savoir si c’est le moment ou quel sera le calendrier de ce retrait. Par la suite, on a l’impression que l’on a une sorte de revirement même de cette volonté de se retirer en gardant les troupes sur terre et en changeant leur mission. La relation avec le colonisateur est l’une des données qui explique un peu l’évolution sociopolitique des différents pays. C’est en cela qu’on peut se permettre de classer entre les pays anglophones d’un côté et les pays francophones d’un autre.

Mali Tribune : Quelles sont les grands défis de la communauté ?

S C. : Il faut commencer par citer le défi de l’instabilité sociopolitique qui ne concerne encore pas mal de pays. Comme vous le savez, les pays francophones sont les plus nombreux en Afrique de l’Ouest. Cette instabilité sociopolitique est loin d’être enrayée. Prenons le cas du Mali. Il n’y a même pas un mois que la dernière crise s’est déroulée. Et vous prenez d’autres pays qui ne sont pas à l’abri de soubresaut comme le Niger ou le Burkina Faso. La stabilité politique est l’un des enjeux.

Un des enjeux également de défi, c’est la sécurité. L’insécurité est due à des facteurs multiformes. Vous avez la faiblesse de l’Etat, la démographie galopante, la raréfaction des richesses naturelles, sous-sol (la pluviométrie, des sols). Qui ne permettent pas de continuer une activité de production qui permet de répondre aux besoins de la population. Un autre défi, c’est celui de la géopolitique. Des grandes puissances mondiales se bousculent sur le terrain de l’Afrique de l’Ouest notamment dans la partie sahélienne. Cela vient augmenter l’instabilité sociopolitique. Si on prend le cas du Mali, c’est de cela qu’il s’agit. On parle de la France, de la Russie. On évoque la montée de l’Algérie et la Chine également qui est en arrière-plan mais pas très loin. L’enjeu géopolitique qui n’est pas très loin, qui s’ajoute aux autres pour faire en sorte que c’est une région qui a beaucoup de difficultés. Et qui en même temps, qui n’a pas les capacités intrinsèques de répondre à ces différents défis à travers les Etats. Déjà si vous prenez la question du contrôle de l’espace, vous connaissez plusieurs pays qui ont plusieurs millions de kilomètres carrés (Mali, Niger). Cet espace très large, les Etats ont du mal à les contrôler. Ce qui fait que même avant le terrorisme, ils s’adonnaient dans ces zones à des activités de grandes criminalités notamment la drogue, la contrebande, les produits manufacturés, le trafic des êtres humains etc. Autant on sait que les défis existent et sont identifiés, autant aussi, on sait que les Etats ont la faiblesse de pouvoir corriger ces défis. Ce qui fait qu’au final, les perspectives, à partir d’aujourd’hui, sont très sombres. Cela ne veut pas dire irréversible.

Mali Tribune: Votre dernier ?

S C.: Je rêve pour le moment. L’accès à la tête de l’Etat, des autorités qui sont patriotes, qui aiment leur pays et qui sont effectivement capables de s’élever au-dessus de leurs intérêts personnels. Pour que l’on puisse voir émerger des politiques publiques qui sont vraiment dirigées vers la satisfaction des besoins des populations. A mon avis, si le Mali maintient la dynamique qui a été enclenchée dernièrement peut impacter les autres pays de la Sous-région. Il peut être une sorte de foyer de dissémination des bonnes pratiques de démocratie, de bonne gestion économique et la satisfaction des besoins des populations.

Propos recueillis par

Koureichy Cissé
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