Le 13 janvier 2020, sept ans jour pour jour après le déclenchement de l’intervention française au Mali, le président Macron réunit les présidents de cinq (05) pays sahéliens à Pau. Il s’agit des alliés africains de la France, regroupés au sein du G5 Sahel, que sont, en plus du Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Comme la date de ce sommet, son lieu ne doit rien au hasard. À Pau, stationne le régiment héliporté qui a perdu quelques semaines auparavant, le 25 novembre 2019, treize de ses soldats. Ils ont trouvé la mort dans un accident-la collision en vol de deux hélicoptères français-dans le nord du Mali. Cet accident avait provoqué à Paris une remise à plat de la guerre française.
À chaud, Emmanuel Macron avait même convoqué ses pairs africains pour le 16 décembre afin de «réévaluer le cadre et les objectifs de l’engagement français au Sahel», selon le communiqué de l’Elysée. Devant le refus de ses invités et à la suite de démarches entreprises par l’ONU et l’Union européenne, il y met non seulement les formes mais annonce aussi, à Pau, le renforcement du contingent français au Mali. Les effectifs de l’opération Barkhane passent à 5 100 soldats.
En 2013, au départ, ils n’étaient que 3000. Enlisement ou surge («montée en puissance»), à l’instar des renforts américains envoyés en Irak pour mieux préparer le départ ? Dans les capitales sahéliennes, les manifestations de rue contre la «force d’occupation française» et le «néoconialisme de Paris» se succèdent. Sur le terrain, des groupes armés continuent de se multiplier à la faveur d’une logique dite d’«endogénisation», en clair: les djihadistes ressemblent de plus en plus à des insurgé locaux, engagés à la fois dans la lutte armée contre les régimes en place dans la région et dans des violences intercommunautaires au sujet de leur droit de pâture ou de la défense de leurs terres. «Cette profusion, qui rime avec confusion, complique singulièrement la tache des troupes gouvernementales et internationales qui combattent des groupes qualifiés de terroristes», estime le journaliste Thomas Hofnung.
Pour sa part, auteur du livre Une guerre perdue. La France au Sahel, Marc-Antoine Pérousse de Montclos conclut d’ores et déjà que, «sous prétexte de stabiliser le Sahel dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la présence militaire de la France va, au contraire, continuer d’assurer la survie de régimes corrompus et, pour certains, très autoritaires».
«La superbe de 2013 a laissé place à une morosité surprenante», a relevé, dans une tribune publiée par Le Monde le 4 novembre 2019, le général Bruno Clément-Bollée, ancien commandant de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire. Oublié le succès initial de l’armée française qui, en quelques semaines, avait délogé les djihadistes du nord du Mali et détruit le cœur de leur dispositif dans le massif de l’Adrar des Ifoghas. Car, les survivants de ce premier assaut se sont ensuite fondus au sein de la population en épousant de multiples causes, souvent sans lien avec le djihad global que Paris avait voulu endiguer au Mali. Depuis, les violences déchaînées par ce populisme théocratique ont débordé du Mali au Burkina Faso et au Niger. Elles risquent de gagner toute la région.
Selon l’International Crisis Group (ICG), «le spectre de la contagion du djihadisme dans le golfe de Guinée hante l’Afrique de l’Ouest». Si la régionalisation de la menace se confirmait, l’armée française devrait se battre dans un espace en expansion rapide. D’ores et déjà, à l’échelle du G5 Sahel, son théâtre d’opérations est quatre-vingt fois grand comme la France métropolitaine. Si la France peut se battre au Mali ou dans la région, il n’est pas certain qu’elle puisse se battre pour le Mali ou une partie de l’Afrique dont elle est l’ancienne puissance coloniale.
«Le malaise tient surtout à la perception locale de sa présence, affirme le général Clément-Bollée dans sa tribune. Aujourd’hui, chaque évènement est l’occasion de conspuer Barkhane, qu’elle soit liée ou non à l’affaire en cours. À ce train, notre contingent ne sera-t-il pas obligé de quitter le théâtre un jour prochain sous une pression populaire, et non sécuritaire, simplement parce que l’idée même de sa présence au Sahel sera devenue insupportable ?»
Source: «L’Afrique 2,5 milliards de voisins en 2050»