Economiste de son état, Modibo Mao Macalou, dans l’interview ci-dessous brosse le tableau de la situation économique du Mali depuis le 18 août 2020, les perspectives macroéconomiques.
Arc-en-ciel : Pourriez-nous nous brosser le tableau de la situation économique du Mali depuis le coup d’Etat du 18 août 2021. Comment se porte le Mali sur le plan économique et financier avec cette situation sanitaire et la crise sociale qui sévit ?
Modibo Mao Makalou : Depuis le 22 mars 2012, le Mali est confronté à une crise politique, sécuritaire. Et maintenant, depuis le coup de force du 18 août 2020, la crise politique, sécuritaire, sociale, sanitaire et humanitaire s’est accentuée avec l’occupation de deux tiers du territoire national par des groupes armés et 5, 2 millions de personnes en situation de pénurie alimentaire.
Malgré une forte croissance économique annuelle moyenne de 5 %, la proportion de population malienne vivant sous le seuil national de pauvreté reste au-dessus de 40 %, comptabilisant plus de 8 millions de pauvres en 2020. L’absence de progrès en matière de pauvreté monétaire s’accompagne d’une amélioration mitigée des indicateurs non-monétaires. La plupart des indicateurs d’éducation et de santé ont soit stagné soit reculé en dessous des niveaux d’avant la crise, le Mali était classé en 2019, 182ème sur 188 pays pour l’indice de développement humain (IDH). Alors que l’urbanisation augmente rapidement, ses effets ne conduisent pas à un processus de transformation économique. Réduire de moitié le taux de pauvreté pour atteindre 20 % d’ici 2030 reste un objectif ambitieux qui nécessite un effort concerté afin de maintenir la croissance économique à un minimum de 7 % par an.
L’économie du Mali est peu diversifiée et est fortement dépendante de l’or et du coton qui constituent 86 % des exportations et les chaînes de valeur sont faiblement développées avec moins de 1 % du coton qui est transformé. Suite à sa faible diversification, l’économie est dépendante des prix des produits de base sur les marchés internationaux, ce qui augmente la vulnérabilité de l’économie malienne aux chocs exogènes. L’accumulation d’arriérés de paiement au titre de la dette intérieure constitue un risque de blocage de l’activité économique et du secteur privé.
La population est majoritairement jeune, 67 % de la population a moins de 25 ans et croît à un rythme soutenu 3,1 % par an. Le nombre d’emplois créés chaque année est loin de combler la demande d’emploi qui se chiffre à 300 000. L’inadaptation de la formation aux emplois demandés de même que le faible niveau de qualification de la force de travail aggrave le chômage.
Selon le FMI, le Mali fait face à des déficits critiques en infrastructures : seulement 3 % du réseau routier classé est bitumé et en bon état, le déficit de production électrique est de 140 MW et 53 % de la population n’a pas accès à l’électricité. Par ailleurs, seulement 41 % des enfants sont scolarisés dans l’enseignement secondaire et 75 % dans le primaire, et 75 % de la population n’a pas accès aux services sanitaires
En termes de perspectives, peut-on s’attendre à une amélioration de la situation économique du pays dans les mois à venir?
M.M.M. : Au Mali, les perspectives macroéconomiques pour 2021 selon le Gouvernement du Mali et le Fonds Monétaire International (FMI) sont aussi influencées par les effets de la crise sanitaire liée à la COVID-19, en plus de ceux de la situation sécuritaire et politique. Ainsi, le taux de croissance en termes réels du Produit Intérieur Brut (PIB) devrait s’établir à 4,0% en 2021, après une contraction, plus sévère qu’initialement projetée, de -2,1% en 2020. Cette prévision repose essentiellement sur les hypothèses suivantes : (i) de meilleures performances de l’agriculture vivrière grâce à la poursuite des politiques et réformes agricoles, (ii) une bonne pluviométrie, (iii) la mise en œuvre des programmes d’investissement publics, et (iv) le dynamisme des branches des « transports et télécommunications », des « activités d’administration publique » et du « Commerce ».
L’inflation devrait demeurer en dessous de la norme communautaire de 3% pour s’afficher à 1,5% en 2021, dans l’hypothèse d’une bonne campagne agricole, d’une évolution toujours favorable des cours du pétrole, de l’or et du coton ainsi que, dans une certaine mesure, grâce aux mesures prises par le Gouvernement dans le sens de la réduction des taxes sur certains produits de première nécessité.
Pour ce qui concerne le commerce international, les termes de l’échange devraient s’améliorer en 2021, en raison de la hausse du cours de l’or et du coton.
Les perspectives à moyen terme prévoient une reprise régulière après la contraction du PIB due à la COVID-19 en 2020, mais avec des risques de détérioration importants. Malgré de graves chocs intérieurs, liés à l’intensification de l’insécurité croissante en zones rurales et aux mouvements de populations rurales, la croissance du PIB réel pourrait rebondir à environ 5 % du PIB à moyen terme. Si les tendances actuelles se maintiennent, l’inflation devrait aussi rester en dessous de 3 % et le déficit budgétaire devrait diminuer pour se diriger vers l’objectif de 3 % du PIB fixé par l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine. Ces perspectives à moyen terme relativement favorables comportent cependant des risques importants de détérioration.
Aussi, les crises politiques, sociales, sanitaires, alimentaires, humanitaires et sécuritaires pourraient compromettre l’offre de main d’œuvre dans tous les secteurs et la production notamment dans les secteurs agricoles et miniers.
Les principaux risques découlent de l’instabilité politique et sociale persistante, de l’incertitude par rapport à l’évolution de la pandémie sanitaire, et du financement du déficit budgétaire au cas où les marchés financiers régionaux se resserreraient et que les appuis budgétaires des partenaires au développement diminueraient considérablement.