Système électoral, découpage administratif, révision constitutionnelle : le vaste chantier de réformes du gouvernement semble de plus en plus irréalisable d’ici aux élections de février 2022.
27 février 2022 : la date est gravée dans les esprits au Mali. Elle est censée matérialiser, par l’organisation des élections présidentielle et législatives, la fin d’une transition incertaine. Le coup d’Etat du 18 août 2020 contre le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », a été suivi d’un nouveau coup de force le 24 mai contre les autorités de transition.
Sous pression de la communauté internationale, leur chef, le colonel Assimi Goïta, qui s’est depuis hissé dans le fauteuil de président, a promis de respecter le calendrier initial fixant un retour à l’ordre constitutionnel le 27 février.
Mais ces dernières semaines, les voix s’élèvent pour réclamer un report du scrutin présidentiel. Car avant de lâcher les rênes du pouvoir, les autorités de transition ont promis de boucler un vaste chantier de réformes électorales, territoriales et constitutionnelles censées « réussir ce à quoi tout le monde aspire : la refondation de l’Etat », selon les mots du président Goïta. Revue de détails des dossiers en souffrance.
Une révision du système électoral en suspens
Une large partie de la classe politique le réclame de longue date, le gouvernement de transition l’a promis : un organe unique de gestion des élections doit être mis en place d’ici à novembre. Il « posera les jalons politiques, juridiques et institutionnels d’une restauration de la confiance des acteurs politiques et des citoyens lors des compétitions électorales », a expliqué le premier ministre Choguel Maïga lors de la présentation du Plan d’action du gouvernement (PAG) le 30 juillet, sans en préciser pour autant les attributions exactes.
Ceux qui le requièrent espèrent qu’un tel organe permettra de garantir une meilleure indépendance et transparence dans la gestion des scrutins. Il récupérerait les compétences du ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation (MATD), jusqu’ici chargé de l’organisation des scrutins et de la proclamation des résultats. Il pourrait aussi bénéficier du transfert des pouvoirs de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le gendarme des élections. Enfin, l’institution indépendante pourrait être chargée de rendre public les résultats des différents scrutins, bureau de vote par bureau de vote, pour dissuader les fraudes.
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Lors des dernières législatives d’avril 2020, « les résultats ont été entachés d’incohérences que le MATD n’a pas réussi à expliquer et auxquels la CENI et la Cour constitutionnelle ont refusé de remédier », a souligné la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES) dans un rapport publié en juin.
Ces soupçons de fraudes ont été le détonateur des manifestations d’ampleur organisées chaque vendredi à Bamako pour réclamer le départ d’IBK du pouvoir. Ainsi, certains observateurs craignent un nouveau cycle de contestations électorales si l’organe unique n’était pas mis en place. Mais le temps file et, selon l’IFES, « les chances d’établissement de cette nouvelle institution sont minces, étant donné les échéances électorales serrées à venir ».
Un calendrier électoral très chargé
Elections des conseillers des différentes collectivités territoriales (communaux, de cercles et régionaux) le 26 décembre, premier tour des scrutins présidentiel et législatif le 27 février : le calendrier électoral fixé par la transition semble impossible à tenir pour nombre de Maliens.
Pour organiser correctement ces votes, les listes électorales doivent être révisées. Or aucune révision n’a été faite depuis 2020. Celle de cette année aurait dû se terminer le 15 juillet mais elle n’a toujours pas commencé et aucune date n’est encore fixée, selon une source gouvernementale.
Sans révision des listes, les nouveaux majeurs risquent d’être exclus des prochains scrutins, dans un contexte où la confiance de la jeunesse malienne en la démocratie s’érode.
Un découpage territorial à finaliser
En 2012, 11 cercles − les circonscriptions administratives pour lesquelles sont élus les députés − ont été ajoutés aux 49 existants. Mais les modalités de cette décentralisation font toujours débat. La délimitation des cercles ou encore la désignation de leur chef-lieu font l’objet de luttes pour le pouvoir local.
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Dans le nord du pays, les groupes armés signataires de l’accord d’Alger, conclu en 2015 entre l’Etat et les ex-groupes indépendantistes, jouent des coudes pour que le nouveau découpage se fasse en faveur de leur zone d’influence respective. « Il faut impérativement régler le problème avant d’aller aux élections législatives, sinon une crise pourrait éclater », alerte le docteur Ibrahima Sangho, le chef de la Mission d’observation des élections (MODELE).
Un contexte sécuritaire instable
Comment organiser cinq scrutins dans un pays où plus des deux tiers du territoire échappent au contrôle de l’Etat ? Difficile équation pour les autorités. Le ministre des affaires étrangères Abdoulaye Diop l’a rappelé au micro de la radio Deutsche Welle le 18 août : le respect des dates initialement fixées pour les élections « dépendra de l’évolution du terrain et le terrain est jonché d’un certain nombre de défis. Le premier étant le défi sécuritaire ».
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Lors des dernières législatives, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a recensé « des enlèvements d’agents électoraux, des pillages et des saccages de certains bureaux de vote ainsi que l’explosion d’un engin explosif improvisé qui a fait neuf morts. Dans la foulée, le 26 mars 2020, le chef de l’opposition Soumaïla Cissé a[vait] été enlevé en pleine campagne législative », note-elle dans son rapport annuel pour 2020.
Incertitudes sur la révision de la Constitution
C’est une autre des grandes promesses réaffirmées par les autorités de la transition : la Constitution doit être révisée d’ici à novembre. Encadrement du financement des partis politiques, création d’un Sénat, sanctuarisation de l’organe unique de gestion des élections sont parmi les propositions d’amendements qui circulent à Bamako, bien qu’aucun projet de Constitution n’ait encore été arrêté, selon une source gouvernementale. « Les citoyens ne sont toujours pas au courant des changements que le gouvernement de transition entend inclure dans la nouvelle Constitution », regrette l’IFES dans son rapport. L’adoption de la nouvelle loi fondamentale devra pourtant être soumise à l’avis du peuple par voie de référendum, prévu le 31 octobre.
Doutes sur les intentions du pouvoir
Depuis quelques semaines, les partisans d’une prolongation se font entendre. Le 7 août, le mouvement Mali Espoir, groupement d’acteurs de la société civile, a organisé une conférence de presse pour réclamer la « prolongation pure et simple de la transition ». Une revendication partagée publiquement par l’un des leaders religieux les plus écoutés au Mali, le chérif de Nioro, Mouhamedou Ould Cheikh Hamahoullah, dit Bouyé. Le 13 août, c’était au tour du Mouvement des jeunes patriotes du Mali, un autre bloc associatif, d’afficher son soutien aux putschistes en organisant une manifestation à Bamako.
Pour le politologue Kalilou Sidibé, nombre de ces sorties publiques « sont instrumentalisées afin de montrer à la communauté internationale que la prolongation de la transition est le fruit d’une volonté populaire ». Selon lui, les autorités de transition sont « dans le dilatoire » en promettant la mise en œuvre d’une batterie de réformes qu’elles savent irréalisables dans les délais impartis. « Pour les responsables actuels, la transition doit se poursuivre jusqu’à la fin 2023, date à laquelle aurait dû s’achever le mandat du président IBK », soutient-il.
Ibrahima Sangho, lui, regrette que les douze mois passés de la transition aient été « gâchés ». Selon lui, le gouvernement, s’il l’avait voulu, aurait eu le temps de mettre en œuvre les réformes promises. « Mais nous n’avons rien vu de concret. Et maintenant, il prétend qu’il n’a plus assez de temps ? Ça ne passera pas. La prolongation de la transition, c’est un faux débat. Qu’ils fassent ce qu’ils peuvent dans les six mois qui leur restent. Pas plus. »
Même si le gouvernement de transition a répété qu’il respecterait les dates initiales des scrutins, « il ne faudrait pas voir ce calendrier comme étant une loi. Un calendrier, c’est des estimations, des prévisions », a glissé le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga, ministre de l’administration territoriale, interviewé par la radio Mikado le 11 août. De quoi semer le doute dans certains esprits quant aux intentions réelles de la transition.
Morgane Le Cam