Alors que le retrait annoncé des troupes françaises continue de faire grand bruit, le général Laurent Michon, commandant de la force Barkhane, répond à nos questions et éclaire certaines zones d'ombres.
Général Laurent Michon, vous êtes commandant de la force Barkhane depuis le 28 juillet dernier revient sur la fermeture de bases, la réduction de la voilure et l’arrivée de forces spéciales au sein de la Task force Takuba.
L'entretien avec Général Laurent Michon
DW : Le président français Emmanuel Macron a annoncé « la fin de l’opération Barkhane » ainsi que sa « transformation profonde ». Qu’est-ce que cela veut concrètement dire ?
Général Laurent Michon : Tout d’abord elle va réduire en volume. Dans quelle proportion et selon quelle courbe ? C’est ce qu’on est en train de décliner. On va faire les choses de façon cohérente. On va transformer Barkhane au point que le format va changer, on va avoir plus d’Européens au sein de Takuba, on va peut-être changer le nom de Barkhane et ce ne sera peut-être plus tout à fait la même opération.
On va vraiment faire un effort de coopération pour prendre en compte la menace. Et cette menace, on le sait pertinemment, se trouve au niveau de l’Etat islamique ou d’Al-Qaïda et elle agit par métastase. Ce sont des organisations qui peuvent avoir pour ambition de multiplier ces métastases, notamment vers le Sud. Donc on s’adapte à cela, c’est pour cela que ce ne sera plus tout à fait la même opération.
Le simple constat que l’ennemi bouge et s’adapte face à nous fait que nous sommes en constante évolution. Nous sommes arrivés à un moment où les Européens arrivent et sont prêts à s’engager auprès des partenaires sahéliens. C’est un vrai changement de donne.
DW : Pourquoi avoir choisi de fermer les bases de Tombouctou, Kidal et Tessalit ?
Général Laurent Michon : Quand on se réarticule et que l’on veut réduire l’empreinte militaire en termes de soldats, on ne peut pas être partout. Si l’on est partout mais capable nulle part, on va se disperser complètement. Donc la réarticulation, à Tombouctou comme à Kidal et Tessalit, étant donné que nous avons des dispositifs légers et que la Minusma (Mission des Nations unies au Mali) comme les Famas (forces armées maliennes) sont présents sur place, la mission de sécurisation de ces villes est assurée par ces unités-là, de façon durable. Donc il y avait beaucoup moins de raisons à maintenir ces dispositifs lorsque l’on doit faire un effort ailleurs.
DW : Concernant la Task force Takuba, quel sera le mandat ?
Général Laurent Michon : Ce sont des forces spéciales. Chacun comprendra bien que les capitales européennes ont un intérêt à mettre des troupes particulièrement aguerries et très efficaces sur le volet militaire, dont c’est la mission en règle générale d’accompagner dans des situations instables, des armées locales des différents pays.
C’est un format de troupes aguerries, donc pas un volume énorme, mais qui sont capables de s’adapter vite avec des moyens plus riches que les parties conventionnelles, à l’accompagnement d’unités maliennes nouvellement déployées et prolongées. On fait le pari que ce couple, Takuba avec des unités solides européennes et les unités légères d’intervention et de reconnaissance qu’on forme, équipe et accompagne sur le terrain, on fait le pari que ça marchera bien, ou plutôt de mieux en mieux.
DW : Et est-ce que cela va apporter un plus à Barkhane ?
Général Laurent Michon : Cela va apporter de la durée. On ne crée pas Takuba pour faire un coup de bluff. Nous tenons à ce que les Européens qui s’engagent le fassent avec des durées assez longues, de façon durable, dans le Liptako qu’est l’effort initial. Si jamais il y a un appétit européen, on peut imaginer que Takuba s’étende.
DW : Cette Task force qu’est Takuba est un véritable laboratoire. Pourquoi une telle force ?
Général Laurent Michon : Le laboratoire, c’est vrai, à ma connaissance, c’est la première fois que l’on a un tel canevas de forces européennes avec des Européens qui ont demandé à être sous commandement français et à y rester. Donc Takuba n’a pas vocation à devenir une opération de l’Union européenne.
Sous commandement français car l’on peut garantir un certain nombre de choses comme le partenariat avec les Maliens, le soutien logistique, les échanges de renseignement, le soutien en général… C’est ce qui intéresse les Européens qui viennent. Une forme de garantie. On recueille le fruit de la crédibilité des armées françaises grâce à Barkhane d’ailleurs.
Donc les Européens veulent s’engager, pas simplement pour entraîner, mais pour aller au combat. C’est un laboratoire. C’est la première fois que l’on fait ça. Et c’est bénéfique vis-à-vis des Maliens. Il y a maintenant d’autres pays qui s’engagent auprès d’eux donc on sort de la relation bilatérale pour vaincre l’Etat islamique au Liptako, et demain peut-être dans le Gourma.
DW : Existe-t-il des mécanismes de passation entre le pilier formation, exécuté par la mission de formation de l’Union européenne au Mali, l’EUTM, et l’accompagnement au combat que réalise Barkhane ou encore Takuba ?
Général Laurent Michon : Oui, absolument. La première chose que j’ai faite est d’aller voir le chef d’état-major malien au sujet de l’accompagnement des Maliens. Mais aussitôt après, je suis allé voir l’EUTM qui, chronologiquement parlant, contribue à la formation et à l'entraînement à la fois individuel et collectif des unités. Les Famas recrutent et montent en volume, ainsi que dans leurs capacités. C’est un gros défi pour elles-mêmes. Donc tout ce qui est formation, notamment concernant les équipements, il y a une coordination en amont.
Ils forment par exemple des sous-officiers car c’est aujourd’hui le besoin que nous ont exprimé les Famas. L’EUTM forme les unités qui ensuite sont entraînées puis déployées. Et là nous prenons le relai, avec des unités françaises de Barkhane ou de Takuba. Et c’est le même mécanisme pour les ULRI (Unités légères de reconnaissance et d’intervention maliennes). L’Europe contribue à équiper ces unités, les forme les met sur pieds et lorsqu’elles sont déployées, elles vont au combat avec nous et d’autres pays européens qui acceptent de prendre ce risque-là.
DW : L’Union européenne va fournir le matériel aux unités légères de reconnaissance et d’intervention ? Quel type de matériel ?
Général Laurent Michon : L’UE refuse de financer un certain nombre de choses et accepte d’en financer d’autres. Tout cela est bien évidemment vu avec Bruxelles pour que cela soit fait de la façon la plus cohérente possible. Il y a des financements que l’on peut obtenir pour des choses non létales. Par exemple, lorsqu’on parle d'entraînement et de formation individuelle, l’UE, l’EUTM est capable de se doter d’installations pour entrainer les Famas. Donc on peut construire un bâtiment ou un champ de tir pour la formation initiale des Famas. On joue donc sur ce segment-là, puis nous complétons avec les autres dispositions.
L’Union européenne a beaucoup de leviers possibles avec ses missions non exécutives. Sur l’accompagnement des forces de sécurité, sur les missions à cheval sur le Mali, le Niger, beaucoup de leviers parfois méconnus de l’UE sont utilisés, ce qui est très bien et ce qui contribue à l’action globale pour aider l’Etat malien à contrôler son territoire et à assurer la sécurité des populations. La grande diversité des différentes capitales européennes, cela fait que Takuba offre un nouveau champ d’application au plus proche du terrain, de l’ennemi et des Famas dans une zone dangereuse qu’est le Liptako, et cela c’est nouveau.