Les autorités maliennes sont proches de conclure un accord avec la société militaire privée russe Wagner, ce qui permettrait à Moscou d’étendre son influence en Afrique de l’Ouest malgré l’opposition de Paris, ont déclaré à Reuters sept sources diplomatiques et sécuritaires.
La France, qui a annoncé en début d’été une transformation de ses opérations militaires dans le Sahel et une réduction de sa présence au Mali, a lancé une offensive diplomatique pour tenter de dissuader la junte au pouvoir au Bamako de concrétiser ce rapprochement avec la Russie, ont ajouté les sources.
Selon une source européenne qui suit le dossier ouest-africain et une source proche des services de sécurité au Sahel, l’accord pourrait porter sur l’envoi d’un millier de mercenaires russes au Mali. Deux autres sources ont dit penser que leur nombre serait moins élevé, sans fournir d’estimation chiffrée.
Quatre sources interrogées par Reuters ont déclaré que le groupe Wagner serait payé six milliards de francs CFA (environ 9,15 millions d’euros) par mois pour ses services.
L’accord pourrait également garantir à la société russe l’accès à trois gisements miniers, deux d’or et un de magnésium, a ajouté une des sources.
Selon une source sécuritaire travaillant dans la région, les mercenaires russes seraient chargés de former les Forces armées maliennes (FAMa) et d’assurer la protection de certains hauts dirigeants maliens, mission qu’effectue déjà le groupe Wagner en Centrafrique.
Reuters n’a pas été en mesure de confirmer ces informations de manière indépendante et le groupe Wagner n’a pas répondu aux demandes de commentaire.
ENGAGEMENT FRANÇAIS REMIS EN CAUSE ?
Pour tenter de convaincre la junte de ne pas signer cet accord, la France a sollicité l’aide de certains de ses alliés, comme les Etats-Unis, et envoyé des émissaires à Bamako et à Moscou, ont dit les sources diplomatiques.
Le président français Emmanuel Macron a directement abordé la question avec son homologue russe Vladimir Poutine, selon l’une d’elles. Ni l’Elysée, ni le Kremlin n’ont répondu aux sollicitations de Reuters.
Selon les sources diplomatiques, Paris craint que l’arrivée de mercenaires russes au Mali déstabilise davantage la région et compromette la lutte antiterroriste au Sahel au moment où la France cherche à transformer l’opération Barkhane en coalition internationale impliquant davantage ses alliés européens.
Le Quai d’Orsay n’a pas répondu aux sollicitations de Reuters mais une source diplomatique française s’est montrée très critique envers les interventions du groupe Wagner dans d’autres pays, dénonçant pêle-mêle “violations des droits de l’homme”, “ingérence dans le fonctionnement de l’Etat”, “prédation sur les ressources naturelles” et “détérioration de la situation sécuritaire”.
“Une intervention de cet acteur serait donc incompatible avec les efforts des partenaires sahéliens et internationaux du Mali, engagés au sein de la Coalition internationale pour le Sahel en faveur de la sécurité et du développement de la région”, a-t-elle prévenu.
UNE “RUMEUR”, SELON LA JUNTE
Un porte-parole de la junte au pouvoir à Bamako depuis le coup d’Etat d’août 2020 a dit ne pas être au courant d’un tel projet d’accord avec Wagner.
“Ce sont des rumeurs. Les officiels ne commentent pas les rumeurs”, a dit le porte-parole, Baba Cissé.
Le porte-parole du ministère malien de la Défense a déclaré de son côté que “l’opinion publique malienne est favorable à une coopération accrue avec la Russie vu la situation sécuritaire”, tout en assurant qu'”aucune décision n’a été prise sur la nature de cette coopération”.
Des “instructeurs militaires” du groupe Wagner sont déployés en République centrafricaine, où ils ont été accusés par les Nations unies de violations des droits de l’Homme. Moscou, qui nie tout lien direct avec la société privée, a rejeté ces accusations.
La présence de mercenaires russes à Bamako remettrait en cause le soutien financier des partenaires internationaux du Mali et la formation de l’armée malienne assurée notamment par l’Union européenne, ont déclaré quatre sources sécuritaires et diplomatiques.
Un redéploiement des soldats français encore présents dans le nord du Mali vers des pays voisins comme le Niger serait également envisageable, ont-elles ajouté.
Alors que les relations se sont tendues avec la France depuis le second coup d’Etat à Bamako l’an dernier, la junte malienne a multiplié les signes de rapprochement avec la Russie, comme la visite du ministre de la Défense Sadio Camara à Moscou le 4 septembre.
Un responsable du ministère malien de la Défense a indiqué que cette visite s’inscrivait “dans le cadre de la coopération et de l’assistance militaire”, sans plus de précisions.
Le ministère russe de la Défense a évoqué de son côté un entretien entre le vice-ministre russe, Alexandre Fromine, et Sadio Camara, consacré à des “projets de coopération militaire” et aux “questions de sécurité en Afrique de l’Ouest”.
Signe de l’inquiétude de Paris, le “Monsieur Afrique” du Quai d’Orsay, Christophe Bigot, s’est rendu le 8 septembre à Moscou pour un entretien avec Mikhaïl Bogdanov, représentant spécial du président Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique. Le ministère russe des Affaires étrangères a confirmé leur entrevue.
(Reportage de John Irish et David Lewis, avec Robin Emmott à Bruxelles, Tangi Salaün et Elizabeth Pineau à Paris, Aaron Ross et Bate Felix à Dakar, Tiemoko Diallo à Bamako, Tatiana Ustinova, Andrew Osborn et Anton Zverev à Moscou, version française Tangi Salaün, édité par Blandine Hénault)