Ces mesures gouvernementales visent à rendre certains produits de grande consommation accessibles pour les populations. Mais les consommateurs ne sentent pas beaucoup les impacts sur les prix. N’est-il pas temps de changer de fusil d’épaule ?
Au Mali comme ailleurs dans la sous-région, les prix des denrées de base ont atteints des sommets dans un contexte international marqué par les effets pervers de la Covid-19. La viande est passée de 2.200 Fcfa à 3.000 Fcfa le kg. Le bidon d’huile de 1.200 Fcfa à 1.300 Fcfa le litre,19.000 Fcfa à 22.000 Fcfa pour celui de 20 litres. Le riz a atteint 400 Fcfa, voire 500 Fcfa le kg pour la brisure parfumée importée. Le gambiaka est à 500 Fcfa. Mettant les maigres revenus des ménages à rude épreuve.
Face à la cherté de la vie, l’état mène des politiques de subventions de certains produits de base en vue de soulager les couches sociales fragiles. Le mécanisme consiste à un transfert de ressources dans la politique fiscale, ou à un renoncement à des taxes douanières ou impôts.
Le but est de rendre certains produits de grande consommation accessibles pour les populations. Quels sont les impacts des subventions sur la vie des consommateurs ? Les subventions coûtent combien à l’État? Et si cet argent était investi dans la production des produits de consommation : viande,sucre et autres ?
Dans la loi rectificative de finances pour 2020, les transferts (filets sociaux ou soutiens financiers directs aux couches défavorisées) et les subventions s’élevaient à 485 milliards de Fcfa (dont 43 milliards de Fcfa de subventions pour les intrants agricoles et 30 milliards Fcfa pour la société Énergie du Mali), contre 385 milliards Fcfa dans la loi de finances de cette année (dont 21 milliards de Fcfa pour les intrants agricoles et 30 milliards de Fcfa pour la société Énergie du Mali.
Le manque à gagner (exonérations accordées aux importateurs de produits de base) pour l’État au niveau des cordons douaniers est estimé à des dizaines de milliards de Fcfa par an.
Les produits de consommation subventionnés au Mali sont actuellement le riz (brisure importé non parfumé), l’huile alimentaire, le sucre importé, le tourteau de coton, la farine locale de blé, la viande bovine (du 12 juillet au 4 août 2021), l’essence super, le gasoil, le gaz butane des bouteilles de 2,75 et 6 kg, selon la direction générale du commerce, de la consommation et de la concurrence (DGCC).
Cette intervention du gouvernement est, selon elle, encadrée par la loi n° 2017-022 du 12 juin 2017 déterminant le cadre général du Régime des exonérations fiscales et douanières et son décret d’application, la loi portant protection des consommateurs. «Les subventions à la consommation sont généralement conditionnées à la signature de cahiers des charges par les bénéficiaires et l’état, et contenant les engagements des parties», assure la (DGCC).
NON RESPECT DES CAHIERS DES CHARGES- La (DGCC) précise que les subventions permettent de réduire les prix des produits à la consommation au bénéfice des consommateurs. Elles permettent également d’assurer l’approvisionnement régulier du pays en produits subventionnés avec la fixation de prix indicatifs plafonds (prix moyens pratiqués à l’échelle nationale) à pratiquer en gros et au détail. Ses services de contrôle veillent au respect des prix sur l’ensemble du territoire.
Mais la mise en œuvre ou le respect des cahiers des charges est souvent problématique, selon certains acteurs. Pour ce faire, le Front populaire contre la vie chère, créée le 23 mars dernier, demande au gouvernement de revoir le mode d’octroi de la subvention accordée aux produits de consommation. « Soit le gouvernement arrête la subvention soit il la donne directement aux commerçants détaillants pour que le citoyen lambda ait quelque chose dans son panier », propose sa présidente.
Mariam Koné soupçonne un favoritisme voilé dans l’application du mécanisme. « Nous avons mené une petite enquête qui a montré que trois à quatre grands commerçants maliens reçoivent les subventions pour tous les produits. Nous ne savons pas comment ceux-ci font le dispatching. Nous avons approché certains demi-grossistes qui disent n’avoir pas reçu de subventions, donc ils ne peuvent pas diminuer le prix de leurs produits», raconte la présidente du Front populaire contre la vie chère.
Mme Coulibaly Salimata Diarra, présidente de l’Association des consommateurs du Mali (Ascoma), estime qu’il il faut des décisions fortes et un consensus pour parvenir à équilibrer les prix. Car, poursuit-elle, la loi institue la liberté des prix et la libre concurrence. «à partir du moment où on parle de liberté des prix et de libre concurrence la situation est biaisée. On n’est plus très à l’aise pour négocier et faire baisser les prix. Il y a contradiction dans certains de nos textes. Les gens connaissant la loi travaillent toujours dans le sens de leur intérêt», tranche la responsable de l’association qui s’active pour sensibiliser les consommateurs sur leurs droits et devoirs.
MÉCANISMES DE SUIVI- Elle n’hésite pas à rappeler certaines actions menées par son association pour la stabilisation des prix de certaines denrées. Comme, en 1995, l’initiative des «boucheries témoins suite à la fixation anarchique des prix sur le marché de la viande». L’action avait permis, selon elle, «la stabilisation des prix du kg de la viande», à l’époque.
La présidente de l’Ascoma préconise d’aller en profondeur en rencontrant les parties prenantes pour parler des conditions de vie des populations. «Est-ce que la loi actuelle sur la liberté des prix et la libre concurrence est adéquate dans un pays comme le nôtre pour que les familles pauvres aient accès à l’essentiel par rapport à leur niveau de revenus», questionne-t-elle. Selon Mme Coulibaly Salimata Diarra, au temps du président Modibo Keita, «les prix étaient stabilisés, des usines ont été créées pour permettre l’accessibilité des populations aux produits à la portée de leur bourse».
Dans une économie libérale, l’état fixe des prix indicatifs aux vendeurs ayant bénéficié de subventions. Ce qui peut poser le risque de collusion entre vendeurs qui pourraient éventuellement s’adonner à la spéculation sur les prix. «L’état doit surveiller périodiquement pour connaître le niveau des stocks de produits en déficit afin d’accorder éventuellement des subventions. Il faut donc des mécanismes de suivi pour que les opérateurs économiques n’abusent pas du système de subventions», explique l’économiste Modibo Mao Makalou.
Si ces conditions ne sont pas respectées, l’état perd ses recettes fiscales et de surcroît il n’y aura pas, la paix sociale, analyse le spécialiste. «Il faut subventionner de nombreux opérateurs économiques de sorte que la marchandise ne puisse pas disparaître des rayons de vente et que les prix subventionnés soient respectés », prône-t-il.
Cela est d’autant plus important dans un pays comme le nôtre où 18% du Produit intérieur brut (PIb) dépend des importations et des exportations « Nous sommes à 30 milliards de Fcfa pour la subvention accordée à la société énergie du Mali (EDM-Sa) et le déficit s’accroît », relève Modibo Mao Makalou.
Il rappelle que l’économie malienne est tirée par l’or, dont le cours permet d’améliorer les statistiques macro-économiques du pays. Car, le secteur aurifère emploie environ 15.000 personnes et couvre 70% de nos recettes d’exportation.
C’est bien loin des 4 à 5 millions de personnes qui travaillent dans le secteur du coton et ses dérivés qui, par contre, ne représentent que 14% des recettes d’exportations. D’où l’importance de la subvention des intrants agricoles pour la grande majorité de populations. «Les intrants coton n’ont pas été subventionnés en 2020 malgré la Covid-19.
Au lieu de 700.000 tonnes, la production a été divisée par quatre retombant à 177.000 tonnes», souligne Modibo Mao Makalou. Cette année, l’état a décidé d’augmenter la subvention et les prix aux producteurs ont augmenté. Les producteurs s’attendent à une production estimée à 800.000 tonnes en 2021.
Les mesures de subvention sont temporaires quel que soit le domaine, selon les spécialistes. Les alternatives peuvent venir de l’accroissement de la production locale, l’émergence des unités industrielles de transformation des matières premières capables de satisfaire les besoins nationaux, préconise-t-on à la DGCC.