Dans le jargon juridique, la légalité est la caractéristique d’un acte ou d’un fait conforme à la loi mais elle désigne également l’ensemble des normes juridiques applicables dans un espace donné. A ce titre, elle demeure l’assise fondamentale légitimant les actes des personnes (publiques et privées) agissant dans ledit espace. Présenté de la sorte, le concept paraît simple et limpide. Mais si en théorie elle est facile à appréhender, et ce quel que soit le lieu où on l’apprécie, en pratique, ce concept est flou et insaisissable en république du Mali. Ce constat, inéluctable, peut être illustré par des faits tout aussi inéluctables survenus ces dernières années.
D’abord la rupture évidente du lien entre la démocratie et le concept de légalité a été favorisée par le laxisme et la corruption des institutions dépositaires des prérogatives de puissance publique. Complices de la décrépitude de la morale républicaine, parce qu’elles ont abandonné l’éducation civique et la construction citoyenne aux mains des familles inexpertes en matière de démocratie, ces institutions ont permis le recul de la légalité. Le malien a perdu le sens des devoirs civiques. Il ne sait plus obéir spontanément aux lois de la république. Et cette dernière n’est plus qu’une coquille vide. La « rex publica”, n’étant plus en mesure de forcer le respect des principes qui en constituent le socle, s’effrite tel vieux mur en plâtre. Les scandales, les plus honteux n’indignent plus. On se rappelle le feuilleton de deux ex-ministres de la justice qui se sont accusés mutuellement, sur la place publique, de corruption et de vol en toute impunité. Pareillement, l’histoire rocambolesque de la valise de 100 millions en billet offerte à un religieux pour des bénédictions n’a suscité qu’une faible indignation alors même que le transport et le paiement d’une telle somme étaient contraires à toutes les lois (communautaires notamment) en matière bancaire.
Ainsi, la république s’effrite parce que la morale y trouve de moins en moins sa place et la loi devient de plus en plus un outil de répression au service des plus nantis. En cloisonnant la légalité, se réservant ainsi le droit de s’y soustraire en temps voulu et de n’y soumettre que les administrés, les institutions au sens large ont provoqué le trépas de l’État de droit. Elles ne peuvent croire fermement à des lois qu’elles jugent inapplicables à leurs actes ou alors elles seraient malhonnêtes. On en voit les parfaites illustrations à travers le bidouillage et tripatouillage de la norme suprême. Ainsi, à chaque fois que l’application stricte de la loi fondamentale dérange, il est procédé à des réglages juridiques sur mesure. Ce comportement floue le concept de légalité et cause le recul du légalisme. C’est par ce recul des lois que l’on arrive à concilier les textes encadrant un régime putschiste avec la Constitution. Mais la loi demeurant une convention, toute modification négociée entre les acteurs sociaux est légale si elle trouve lieu à s’insérer dans la hiérarchie des normes sans contredire l’ordre existant.
Dès lors, ce n’est plus le caractère flou de la légalité qui est en cause mais le caractère instable des normes démocratiques et républicaines. Le résultat n’en est pas moins décevant parce qu’il y a un assombrissement des contours de la loi et cela réconforte le citoyen dans son l’incivisme. Pourquoi devrais-je respecter la loi alors que ceux-là même qui la votent et ceux chargés de la faire appliquer n’en ont pour elle que du dédain ? Comme on dit « les enfants n’écoutent pas mais ils regardent ». Et les citoyens sont des grands enfants ! Le feuilleton de l’article 39, une loi votée par les représentants de la nation mais sciemment écartée, illustre bien les propos. Le bras de fer entre enseignants et autorités nationales, un spécialiste ahurissant, se fait aux dépens du droit à l’éducation pour les enfants.
Par ailleurs, la religiosité apparente de nos habitudes, sans vouloir heurter les esprits étriqués, crée un conflit et une discorde entre l’esprit des lois et les agissements des sujets du droit positif. On a proclamé une république laïque. Mais en réalité le pays n’a ni les moyens ni les hommes, ayant le recul nécessaire, pour concilier la pratique religieuse (relevant de la conviction personnelle) et les lois républicaines. Aussi, il suffit qu’une problématique d’ampleur nationale implique les religieux pour que la loi soit contournée. Et c’est bien là où réside le paradoxe ! En effet, la religion étant également synonyme d’ordre (loi) et de convenance sociale (interdictions), toute habitude contraire n’y est pas tolérée. Mais en créant des passe-droits, le peuple, surtout les plus jeunes, reçoit un message brouillé. Le propos peut être illustré par l’histoire de la fermeture des lieux accueillant le public en période de la pandémie de Covid-19. Aucun ministre n’a eu le courage de décréter la fermeture des mosquées alors même qu’elles constituaient les lieux de contamination par excellence.
Le malien a donc pris goût à la désobéissance civile, hors contexte légal, justement parce que les lois de la république lui paraissent de plus en plus floues. Cela n’est pas grave en soi mais à condition que l’équilibre soit restauré par une puissance publique consciente de la nécessité des lois. Si au contraire, et comme c’est le cas fréquemment, la puissance publique se détourne de son obligation de faire des exemples pour restaurer l’autorité de la loi, la légalité demeurera un concept à géométrie variable. Enfin l’échec des tentatives de refondation, tant réclamée, s’explique par l’inadéquation des mesures prises avec le clientélisme, le clanisme et la camaraderie en face de la loi. C’est pourquoi toutes les initiatives prises ou à venir sont vouées à l’échec. Les débats interminables, les assises et autres modes de dialogue demeureront pléthoriques faute d’hommes majoritairement épris de légalisme. Ces maux qui accumulent le légalisme sont aussi les freins au développement. Le progrès, et donc le développement, est consubstantiel à l’ordre donc au respect de la loi.