Trente ans après la démocratisation du continent africain, la déclaration fracassante et choquante de Jacques Chirac vaut son pesant d’or. En déclarant en 1990 que «La démocratie est un luxe pour les Africains», l’ancien président français s’est attiré les foudres de l’élite et de la jeunesse engagée africaines. Il a été accusé de tous les péchés d’Israël. Pour les uns, c’est un raciste. Pour les autres, Jacques Chirac est contre le progrès de l’Afrique. Mais à y regarder de près l’évolution politique de certains pays africains, depuis 1990, date du début de l’avènement de la démocratie, l’histoire donne raison à l’ancien chef d’État français qui n’avait pas lâché cette phrase au hasard. Il savait en âme et conscience que les Africains allaient claquer le modèle occidental de la démocratie sur leur continent, d’où son échec. Et pourtant, c’est ce qui s’est réellement passé. La classe politique africaine a effectivement procédé au copier-coller. Elle a importé la démocratie à l’occidental sans tenir compte des réalités sociologiques de leur pays. Résultat: le chaos s’est installé en Afrique, particulièrement dans les pays francophones.
Si on définit la démocratie comme le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple, on se rend compte sa pratique est une autre réalité en Afrique. Les hommes politiques africains, qui ont accédé au pouvoir, ont vidé la démocratie de son contenu pour se servir au détriment de la grande majorité du peuple qui végète encore dans la misère noire. Cette minorité prédatrice, au lieu de maintenir la stabilité, la souveraineté des États et la cohésion sociale héritées du parti unique, ont misé sur des élections truquées débouchant sur des guerres civiles, sur la violence, la haine ethnique, les conflits communautaires pour converser le pouvoir. Quoi qu’il advienne.
Par leur gestion calamiteuse, les démocrates africains ont transformé l’Afrique en un champ de ruines où prospèrent tous les maux. Ils ont été incapables de réaliser l’alternance, un principe sacro-saint, du jeu démocratique, plongeant les États dans le chaos et dans l’incertitude. Et tout ce qu’ils ont reproché aux dirigeants du parti unique, ils ont fait pire que ceux-ci une fois qu’ils se sont fait élire président. Cette volonté de rester vaille que vaille au pouvoir a fait réveiller les vieux démons des années 1970 et 1980: les coups d’État. Et pour éviter les coups d’État, certains pays, comme le Mali, ont écrit dans leur Constitution que «le coup d’État est un crime imprescriptible». Malgré cette mise en garde, le Mali a connu deux coups d’État (2012, 2020) en pleine démocratie. Comme une trainée de poudre, les régimes démocratiques sont en train d’être balayés par des coups d’Etat. Le dernier en date est la Guinée (le président Alpha Condé a été arrêté le 5 septembre).
La démocratie est un luxe pour les Africains parce qu’ils n’ont pas su réaliser l’alternance. La démocratie est un luxe pour les Africains parce qu’ils ont inventé la présidence à vie (Gnassingbé Eyadema au Togo, Oumar Bongo au Gabon). La démocratie est un luxe pour les Africains parce qu’ils ont mis en place une succession de père en fils (Faure Eyadema au Togo, Ali Bongo au Gabon, Mahamat Déby au Tchad). La démocratie est un luxe pour les Africains parce qu’ils tripatouillent les Constitutions pour un troisième mandat.
La démocratie restera un luxe pour les Africains tant que nos textes ne refléteront pas nos réalités socio- économiques pour prendre en compte les aspirations des peuples africains. Elle restera un luxe tant les règles du jeu sont fausses. Trente (30) ans après, la démocratie importée a atteint ses limites. Et il est du devoir des Africains de se réinventer pour faire de leur continent un havre de paix. Sinon, Jacques Chirac aura toujours raison sur l’Afrique et sa célèbre phrase sera toujours d’actualité: «La démocratie est un luxe pour les Africains». N’en déplaise aux panafricanistes !