Le mercredi 11 septembre 2013, un affrontement violent a opposé l’armée malienne aux forces du MNLA, le mouvement indépendantiste touareg. La presse internationale a fait état des combats et même d’un bilan (20 morts), sans pouvoir expliquer les vraies raisons de cette violation du cessez-le-feu conclu à Ouagadoudou. Nous avons approché des hauts gradés qui nous décrivent leur perception de la situation.
Il faut savoir que le MNLA, depuis l’Accord préliminaire de Ouagadougou, est, sur le papier du moins, cantonné à Kidal. Le mot « cantonné » n’est pas d’ailleurs très exact dans la mesure où les combattants rebelles censément cantonnés conservent leurs armes et leurs véhicules alors que, dans un autre camp de Kidal, le contingent militaire malien de quelque 150 hommes est, lui aussi, « cantonné » comme s’il constituait un autre groupe rebelle. En témoigne l’interdiction formellement faite aux soldats maliens de quitter leur base de Kidal et l’intervention immédiate (rapportée en son temps par votre journal) de la Force Serval française pour faire retourner à Anéfis des soldats maliens venus, sans autorisation française ni onusienne, pour ravitailler en vivres et munitions leurs camarades « cantonnés » à Kidal.
Le plan rebelle
Maintenant qu’un nouveau président malien (IBK) est élu et que les négociations doivent, selon le calendrier convenu, reprendre sous soixante jours, le MNLA veut renforcer ses arguments afin de discuter en position de force avec l’Etat malien. Or il n’occupe à ce jour que la maigre portion de Kidal où il est cantonné, ayant perdu tout le reste du nord depuis sa défaite militaire, en avril 2012, contre les jihadistes et l’avènement des forces internationales, en janvier 2013. Avec une si petite portion de Kidal occupée, de surcroît sous contrôle international, comment imposer ses vues politico-financières à l’Etat malien, si tant est que la question de l’indépendance soit exclue des débats ? Les stratèges du MNLA décident donc de chercher de nouvelles zones d’occupation. Le projet semble, à première vue, fort difficile à concrétiser. Il faut effectuer ces prises sans bruit, ce qui ne va pas de soi par ces temps de guerre. Sachant tout le danger qui persiste sur les 1.600 kilomètres de frontières qui séparent le Mali de l’Algérie, la MINUSMA a carrément bouclé ce secteur en y mettant le plus gros de ses moyens.Il est impossible au MNLA de s’installer, sans être vu, dans une quelconque localité de cette zone sous haute surveillance qui longe la région de Kidal. Il lui faut trouver une autre solution, plus discrète, plus efficace.Le MNLA songe alors à ses dizaines de combattants déguisés en civils et qui vivent, depuis belle lurette, dans des camps de réfugiés en Mauritanie. Il est décidé que certains de ces combattants se rendent, les mains nues, vers Léré où ils seraient rejoints par des combattants armés qui, déjouant la surveillance internationale, quitteraient Kidal et ses environs. Les réfugiés recevraient, lors de la jonction à Léré, des armes de leurs complices venus de Kidal.Le groupe opérationnel ainsi formé n’aurait aucune peine à profiter de complicités civiles locales pour occuper, sans combat, trois ou quatre localités maliennes.Et si l’armée malienne tentait, ultérieurement, de l’en déloger par la force, elle serait accusée de reprendre les hostilités contre des combattants réputés présents en ces lieux depuis longtemps, c’est-à-dire bien avant l’accord de Ouagadougou.
Complicités
La première partie du plan du MNLA a marché comme sur des roulettes. Comme prévu, les combattants déguisés en réfugiés ont quitté les camps en Mauritanie pour se rendre au lieu de jonction avec leurs complices: Léré. Quant à la deuxième partie du plan, elle a, elle aussi, réussi en grande partie puisque les combattants armés du MNLA, à bord de plusieurs pick-up, ont pu sans encombre quitter Kidal pour Léré, localité située à des centaines de kilomètres de la capitale des Ifoghas.
Bien entendu, il a fallu de lourdes complicités pour que la jonction réfugiés-combattants armés se réalise. On peut comprendre (sans l’excuser) que les forces onusiennes de la MINUSMA, submergées de travail à la frontière algérienne, n’aient rien vu. Mais tout expert connaît les liens privilégiés entre les autorités mauritaniennes et les MNLA; tout expert sait également impossible qu’une colonne armée travserse le désert jusqu’à Kidal sans être aperçue par l’aviation et les satellites français qui patrouillent en permanence dans le ciel malien. La France aurait-elle donné son aval au plan machiavélique du MNLA ? Continuerait-elle à aider en sous-main les indépendantistes comme elle l’a fait lors de la reconquête militaire de Kidal ?
En tout état de cause, il y eut des fuites. Informée des mouvements rebelles, l’armée malienne dépêche à Léré des renforts de la zone de défense numéro 2, celle de Ségou, commandée par un officier touareg loyaliste. Ce dernier prend lui-même la direction des opérations. A Foïta, près de Léré, les combats surprennent le MNLA qui espérait manoeuvrer en douce. Résultat: une vingtaine de morts dans ses rangs et une dizaine de prisonniers qui ont été évacués à Ségou avant de rejoindre Bamako. Il a fallu toute l’autorité du commandant malien pour que les prisonniers aient la vie sauve, tant nos soldats étaient décidés à faire la peau à tout rebelle rencontré.
Sur les circonstances de l’affrontement, le lieutenan-colonel Souleymane Maïga, porte-parole de l’armée, déclare à RFI: « Nous avons constaté qu’il y a eu des vols de bétails. Des forains sont attaqués, dépossédés de leurs biens. La population se plaint de ce banditisme. Si des individus sèment la terreur au sein de la population en se faisant passer pour des combattants du MNLA, je pense qu’il y a un problème.». Le lieutenant-colonel Maiga est cependant connu pour mener l’opinion en bateau depuis qu’il animait, en janvier 2013, les points de presse de l’armée. Les explications qu’il donne ne concordent d’ailleurs pas avec le plan d’occupation discrète envisagé par les rebelles. C’est pourquoi nous faisons davantage confiance au récit fait par le capitaine malien Modibo Naman Traoré à nos confrères français du Figaro: « Une patrouille militaire est tombée sur des hommes en armes se déplaçant à bord de quatre véhicules tout-terrain. Ils ont refusé d’obéir aux ordres des militaires et ont ouvert le feu sur les soldats, en blessant trois.». Interrogé par Le Figaro, Attaye Ag Mohamed, l’un des fondateurs du MNLA, a accusé l’armée d’avoir ouvert les hostilités en encerclant ses hommes. Il n’a fourni aucun bilan des combats.
Surenchère étouffée dans l’oeuf ?
Si son plan avait abouti, le MNLA aurait revendiqué, lors de la reprise des négociations avec le Mali, le contrôle de nombreuses localités alors qu’aujourd’hui, il n’en contrôle aucune. Il en aurait profité pour faire de la surenchère en termes de révendications.D’autant qu’on nous révèle que le mouvement indépendantiste n’a pas très envie de discuter avec le nouveau ministre de la Réconciliation mais directement avec IBK.