Les actions envisagées pour rendre l’Armée malienne plus performante et la collaboration entre nos forces de défense et leurs partenaires dans la lutte contre le terrorisme sont, entre autres, sujets abordés, dans cette interview par le ministre de la Défense et des Anciens Combattants
L’Essor : Le défi sécuritaire demeure une préoccupation à laquelle fait face le Mali depuis de nombreuses années. Qu’envisage votre département en matière de renforcement de la sécurité qui constitue le premier axe du Plan d’action du gouvernement ?
Colonel Sadio Camara : Pour comprendre et évaluer objectivement l’engagement des Forces armées maliennes (FAMa) sur le théâtre des opérations, il faut se rappeler qu’en 2012 une horde d’individus sans foi ni loi, a envahi notre pays avec le dessein affiché de détruire notre nation, plongeant ainsi notre pays dans une des plus graves crises de son histoire. Cette crise, à la fois politique, institutionnelle, sécuritaire et sociale a ébranlé les fondements même de l’État et mis à rude épreuve nos forces de défense et de sécurité. Elle a aussi et surtout révélé de profonds dysfonctionnements de notre outil de défense qu’il fallait impérativement et urgemment corriger pour reconstruire notre armée, la moderniser et l’adapter aux besoins de sécurité du pays, afin que ce qui est arrivé, ne se produise plus jamais.
C’est dans ce cadre que les autorités du pays ont ouvert un vaste chantier de reconstruction des forces armées avec comme objectifs prioritaires : assurer efficacement la défense du territoire national et de la population ; réussir les missions de sécurité publique ; performer dans les opérations militaires spéciales ; protéger les institutions publiques et protéger les populations contre les risques ou fléaux de toute nature et contre les conséquences d’un conflit éventuel. La réalisation de ce vaste et ambitieux chantier de reconstruction de notre armée, on peut le deviner facilement, prendra du temps et nécessitera des sacrifices humains, matériels et financiers énormes que l’État s’est engagé à mobiliser.
Cet investissement important, malgré les difficultés économiques et les moyens limités de l’État et malgré le contexte hostile marqué par des attaques répétées contre ses bases, a permis aux forces armées maliennes de prendre le chemin du renouveau, disposant aujourd’hui des ressources humaines, matérielles et financières suffisantes pour mener à bien sa mission de protection et de stabilisation du territoire.
Décidé à poursuivre cet investissement vital pour le pays, le département chargé de la Défense, grâce à l’appui du gouvernement, a fini d’élaborer une deuxième génération de la Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM) qui permettra de consolider les acquis et de renforcer toutes les capacités opérationnelles de l’armée avec un effectif plus important, avec plus d’acquisitions d’équipements, plus de formation et d’aguerrissement des hommes, entre autres.
Pour revenir à la question de savoir ce qu’envisage le département chargé de la Défense, pour le rétablissement de la sécurité sur toute l’étendue du territoire conformément à l’Axe n°1 de la Feuille de route de la Transition et du Programme d’action du gouvernement, je commencerais par dire que les Forces armées maliennes ont une conscience très élevée de cette mission que la nation attend d’elles pour la réussite de la transition.
Si, toutes les années de crise 2012- 2020 ont été pour les FAMa, des années opérationnelles particulièrement denses et continues, dans la lutte pour le retour de la paix et de la stabilité dans le pays, 2021-2022 sera encore plus exigeante et plus difficile, puisqu’il s’agira en plus de ses missions régaliennes, d’accompagner et de sécuriser le processus électoral engagé, dont dépendra la construction du Mali nouveau que tous les Maliens appellent de leurs vœux.
Notre pays, comme vous le savez, est très vaste avec un relief parfois hostile. Ceci explique pourquoi le maillage territorial par les forces est insuffisant, l’armée ne disposant pas encore de toutes les capacités lui permettant d’être partout et en même temps dans toutes les localités du pays.
Pour faire face à cette contrainte, nous avons adopté une posture engagée, dynamique et adaptée au contexte qui nous permet de déployer suffisamment de forces de façon progressive, dans les zones affectées par l’insécurité, afin de détruire les groupes armés terroristes, leurs camps d’entrainement, leurs dépôts logistiques, et les chasser des zones qu’ils occupent pour y installer les forces de sécurité et faire face à l’insécurité résiduelle. Pour ce faire, nous avons de façon quotidienne, maintenu un niveau d’engagement élevé sur le théâtre des opérations, en planifiant et exécutant avec succès plusieurs opérations.
A titre de rappel, retenez que de nombreuses opérations militaires ont été exécutées pour pacifier et stabiliser le pays. Il s’agit, entre autres des opérations HORONYA, DANAYA et TAMA menées dans le cadre de la sécurisation de la ville de Gao et ses environs ainsi que la sécurisation des travaux de construction de la route Gao-Bourem ; des opérations SIRA, DONGO et TACHAMAMTE qui sont menées dans le cadre de la sécurisation de la ville de Tombouctou et environs ainsi que pour sécuriser les travaux de construction de la route Léré-Niafunké. Mais aussi, l’opération DAMBE et SOUTOURA pour sécuriser la frontière Mali-Côte d’Ivoire en coopération avec les forces ivoiriennes et l’opération SENO qui prend en charge la frontière Mali-Burkina et les Cercles de Tominian, Koro et Bankass.
Plusieurs autres opérations ont été menées avec les Forces partenaires de Barkhane, de la Minusma et des pays voisins. Des Opérations militaires conjointes transfrontalières communément appelées OMCT sont menées dans le cadre du G5-Sahel.
On peut noter aussi l’opération SOUDOU-BABA qui a regroupé les unités du Mali, du Niger et de la force Barkhane. Une autre OMCT est en cours de préparation et devrait concerner le Mali et la Mauritanie. Au-delà de ces opérations, à travers lesquelles nos forces armées prennent l’initiative pour assurer le contrôle du territoire, nous assurons l’escorte des convois sur les axes routiers. Nous offrons aux populations en difficulté ou affectées par la crise, des services militaro-civils pour soulager leurs souffrances.
Je comprends les multiples interrogations des populations face à la récurrence des attaques terroristes, malgré l’importance des troupes engagées sur le terrain et les immenses ressources matérielles et financières engagées. Mais, elles doivent comprendre que nous sommes dans une guerre asymétrique, une guerre qui ne répond à aucune norme et ne respecte aucune règle d’une guerre classique, dans laquelle l’ennemi ne recule devant rien y compris les violations des droits, la violence contre les civils et la manipulation, pour assouvir leurs desseins criminels. Nous sommes préparés à cela et sommes résolument engagés à y mettre fin.
L’Essor : Quel est l’état d’esprit des Forces armées maliennes aujourd’hui ? Que peut-on retenir comme actions menées par les FAMa au cours du premier semestre de 2021 ?
Colonel Sadio Camara : La force et l’engagement d’une armée se joue aussi et surtout au niveau mental des hommes. Ceci est incontestablement un facteur multiplicateur de la montée en puissance des forces. Sur ce plan, beaucoup d’actions ont été initiées et ont porté des fruits. Il s’agit, entre autres, de l’adoption d’une politique volontariste de recrutement qui a permis d’améliorer et de rajeunir les effectifs; de la moralisation et la décentralisation du recrutement qui ont permis de recruter essentiellement des hommes et des femmes qui ont choisi volontairement le métier des armes et qui en ont la vocation.
En plus, la relecture du statut général des militaires a permis d’octroyer des avantages inédits aux militaires : 10 ans de salaire aux ayants-droit des militaires tombés en opération ou en mission commandée ; 05 ans de salaire en cas d’infirmité irréversible handicapante pour permettre aux grands blessés réformés de se reconvertir dans la vie civile ; des primes de logements et d’opération. Au-delà de ces avantages, la saine distribution des récompenses et des punitions contribue également au réarmement moral des troupes, car elle démontre l’équité et la justice dans le traitement des hommes. Tout ceci fait qu’aujourd’hui, les soldats sont plus sereins quant au devenir de leur famille en cas de décès et sont plus motivés et plus engagés notamment par la reconnaissance de la nation pour les sacrifices qu’ils consentent, parfois au prix de leur vie, au service du pays. Au-delà des pertes en vies humaines, l’armée est en train de reprendre confiance et de redevenir professionnelle.
L’Essor: La montée en puissance de l’Armée malienne est une réalité. Quelles sont, selon vous, les contraintes majeures qui empêchent notre outil de défense d’entrer en possession de ses pleines capacités ?
Colonel Sadio Camara : Je parlerais plutôt des acquis de la montée en puissance de notre armée et non de ce qui l’empêche d’entrer en possession de ses pleines capacités comme vous dites. Vous savez qu’aucune armée, face à ses besoins, ne peut tout avoir et en même temps. Une armée se construit et s’adapte constamment aux besoins de sécurité du pays, à son environnement géopolitique et sécuritaire et à l’évolution des techniques et des sciences. Notre pays est, depuis les douloureux évènements de 2012, fortement engagé à bâtir une armée nationale forte et républicaine, respectueuse des droits de l’homme.
Ce vaste chantier s’inscrit en termes de priorité pour les autorités de la transition.
Le Programme d’action du gouvernement de transition définit le cadre d’ensemble de notre sécurité et fixe les objectifs à atteindre, à savoir, doter notre pays, d’un outil de défense adapté aux besoins réels du pays et capable en toutes circonstances de défendre l’intégrité du territoire national, de protéger les populations et leurs biens.
La vision des autorités de la transition s’articule autour des trois axes principaux: Construire l’Armée de nos besoins, c’est-à-dire capable de défendre l’intégrité territoriale, la souveraineté nationale et la forme laïque et républicaine de l’Etat ; développer une politique de ressources humaines cohérente pour rénover le recrutement, maitriser les effectifs, et améliorer les forces morales des hommes ; tourner l’outil de défense vers l’avenir en l’insérant dans une dynamique de sécurité sous régionale et en adoptant une posture empreinte de vision prospective qui permette à notre outil de défense de s’adapter en permanence à l’évolution de la menace.
Cette vision est fondée sur les principes suivants : le principe de l’appropriation nationale, qui se décline en trois sous-principes : sa déclinaison dans le Programme d’action gouvernemental, le respect du principe de la subordination de l’Armée à l’autorité politique et la capacité du budget national à soutenir les reformes envisagées.
S’y ajoutent le principe de la coordination qui vise à éviter les incohérences et les insuffisances dans les actions menées à différents niveaux du commandement ; le principe de l’inclusivité qui renvoie à l’adhésion non seulement de la troupe mais aussi des populations maliennes et le principe de la vision prospective pour gérer l’urgence opérationnelle et créer les conditions favorables à une stabilité durable. Les réformes en cours et celles qui vont suivre, visent à doter nos forces de défense et de sécurité des moyens humains, technologiques et matériels nécessaires à leur mission; reformer et renforcer la gestion des ressources humaines de l’armée; créer les conditions pour une utilisation efficace des ressources humaines, matérielles et financières des forces de défense et de sécurité; améliorer les conditions de vie des troupes ;
Cet engagement, nul ne peut en douter, a contribué fortement à moderniser et à adapter notre outil de défense au contexte nouveau de promotion de la sécurité, à créer les conditions les meilleures du plein épanouissement des Forces de défense et de sécurité, à renforcer ses capacités opérationnelles et à améliorer la cohésion et la discipline au sein des Forces armées et de sécurité. Elle a aussi contribué au réarmement moral des troupes, à la réorganisation de la chaine de commandement, à la mise en condition opérationnelle des troupes, au renforcement des effectifs, à l’amélioration des conditions de vie et de travail des militaires et de leurs familles.
À l’origine de cette mutation au sein de « la grande muette », la volonté politique affichée par les plus hautes autorités du pays de bâtir une armée nationale à la hauteur des défis du temps. Cette volonté se traduit, essentiellement, par les nombreuses réformes envisagées, notamment la Loi d’orientation et de programmation militaire, le nouveau statut général de la fonction militaire, etc.
L’Essor : Selon de nombreux Maliens, la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation est loin d’être satisfaisante. Pourquoi les combattants des groupes signataires ne s’engagent-ils pas avec les FAMa dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?
Colonel Sadio Camara : L’objectif fondamental de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, est de créer les conditions durables de la fin des rebellions à répétition qui ont marqué l’histoire du Mali de son accession à l’indépendance à nos jours.
S’agissant des «questions de défense et de sécurité » (Titre III de l’accord), l’accord prévoit la création d’une armée reconstituée intégrant les anciens groupes armés signataires, et des mesures de développement économique spécifiques au Nord du pays, le tout appuyé par un effort de dialogue, de justice et de réconciliation nationale.
Les mesures envisagées portent sur la cessation effective de l’état de belligérance entre le gouvernement et les mouvements signataires, d’une part, et les Mouvements entre eux ; la mise en place du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) à Gao, Tombouctou et Kidal ; le lancement du processus de «DDR accéléré» ; le recensement des ex-combattants éligibles au programme DDR intégration ; l’ adoption conjointe de la Stratégie de réforme du secteur de sécurité qui vise à mettre en place une armée reconstituée et respectueuse de la diversité des populations et des particularités géographiques et culturelles du Mali ; l’entente entre les Parties sur les modalités fondamentales des forces armées et de sécurité reconstituées ; l’ entente entre les Parties maliennes sur l’organisation et les missions de la police territoriale et des unités spéciales entre autres .
à défaut d’être pleinement mis en place, l’accord a permis de faire des avancées importantes dans le sens du retour de la paix. Ainsi, conformément à l’Accord pour la paix et la réconciliation, malgré plusieurs manœuvres de diversion et attaques des groupes terroristes, la 3è compagnie du bataillon des FAMa reconstituées de Kidal, initialement stationnée à Gao, a rejoint sa garnison à Kidal. Il s’agit là d’une étape décisive dans la mise en œuvre de l’Accord, réalisée grâce à toutes les parties signataires du texte, de la communauté internationale et de l’engagement de la Minusma. Le bataillon reconstitué est composé des soldats des Forces armées maliennes, des ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (Cma) et des ex-combattants des groupes armés pro-gouvernementaux. Il a été créé dans le cadre de l’Accord qui prévoit à son article 21 “le redéploiement des forces de défense et de sécurité dans toutes les régions du nord”. Il faut signaler que la première compagnie du bataillon est arrivée à Kidal en février 2020.
Afin de consolider les acquis indéniables enregistrés, des actions importantes sont en cours pour concrétiser, à titre prioritaire, les actions de l’opérationnalisation des bataillons reconstitués de Gao, de Tombouctou ; la reprise des discussions de niveau décisionnel sur les aspects restants du volet Défense/Sécurité de l’Accord ; la relance, du DDR-accéléré ; la relance des consultations dans la perspective de l’adoption du projet de loi sur la police territoriale. Ces mesures aboutiront à l’intégration pérenne des anciens combattants des groupes armés au sein de l’armée malienne et de sa chaine de commandement. Leur réalisation effective connait, il est vrai, des difficultés et des retards dont certains sont liés à la mise en œuvre de l’Accord lui-même.
Malgré tout, nous avançons lentement certes, mais nous avançons dans leur mise en œuvre. Et je pense et souhaite que cela soit dans un avenir le plus proche possible que l’Armée nationale reconstituée assure à hauteur de souhait toutes les missions de défense du territoire, de protection des populations et de leurs biens, mais aussi et surtout la lutte contre le terrorisme et toutes les menaces qui assaillent notre pays.
L’Essor : La lutte contre le terrorisme passe par la collaboration entre les FAMa et les forces partenaires. Quelle articulation entendez-vous mettre en place dans la perspective du remodelage de la force Barkhane ?
Colonel Sadio Camara : Depuis 2013, l’intervention militaire internationale au Mali est fondée essentiellement sur la menace terroriste. Dans un contexte de régionalisation de l’insécurité, cette présence des forces internationales partenaires a dépassé nos frontières pour couvrir l’ensemble du Sahel. Elle est constituée par un dispositif militaire important, comprenant des forces onusiennes déployés au sein de la Minusma ; des soldats français de l’opération Barkhane ; des soldats de la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) ; des soldats au sein de l’EUTM Mali (European Union Training Mission). Indéniablement, ce dispositif a permis de stabiliser et d’améliorer les conditions de sécurité au Mali et dans le Sahel, et d’impulser davantage la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger.
Mais, je dois dire et c’est important de savoir que c’est à la demande du gouvernement du Mali et avec son accord, que ces forces étrangères interviennent dans notre pays. Si notre pays a fait appel aux Nations unies et à ces forces armées étrangères présentes au Mali c’est parce qu’il les juge capables de lui apporter une aide et une assistance substantielles dans la gestion de la crise multidimensionnelle et dans la construction de la paix. Il n’y a donc aucun doute possible, ces forces étrangères sont les alliés du Mali dans le combat que nous menons contre le terrorisme. Leur soutien aux forces armées en matière de renseignements, de logistique et de formation est important. Notre collaboration avec ces partenaires a permis de réaliser des avancées significatives pour le retour de la paix, de la stabilité et de la sécurité, même si les attentes ne sont pas encore à hauteur de souhait en termes de victoire sur l’ennemi. Nous devons avoir constamment à l’esprit que dans le combat que nous menons aujourd’hui, il est préférable et indispensable d’avoir des alliés plutôt que d’être seul, les menaces étant transfrontalières et l’environnement interdépendant.
Mais sachez que les Forces armées maliennes n’ont jamais douté de leur responsabilité et leur leadership dans la protection du territoire et des citoyens et dans la lutte contre le terrorisme, le narcotrafic et le crime organisé au Mali. Nous ne doutons point et n’avons jamais douté de la primauté de notre rôle, dans cette lutte. Je suis convaincu que la réponse à ce qui se passe au centre et au nord du pays, n’est pas au dessus des capacités de l’Etat. La lutte prendra du temps, mais nous la gagnerons.
Vous évoquez aussi l’après Barkhane au Mali. Comme vous le savez, l’opération Barkhane, est une opération militaire menée au Sahel et au Sahara par l’Armée française, depuis le 1er août 2014, avec l’aide secondaire de plusieurs autres armées alliées. Elle vise à lutter contre les groupes armés terroristes dans toute la région du Sahel.
Vous vous souvenez que le jeudi 10 juin 2021, le Président français avait annoncé la décision de la France de suspendre à titre conservatoire et temporaire les opérations conjointes avec les Forces armées maliennes et de procéder à une transformation profonde de la présence militaire française au Sahel, et la mise en place d’une alliance internationale antiterroriste dans la région associant les États de la région. Cette transformation devait aboutir à la fin de l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure pour être remplacée par une opération d’appui, de soutien et de coopération aux armées des pays de la région qui le souhaitent. Cette décision devait conduire à la fermeture des bases militaires françaises à Gao, Kidal, Tessalit et Tombouctou.
Au Mali, nous avons pris acte de cette décision du gouvernement français que nous respectons. Mais je dois préciser qu’aussi bien pour Paris que pour Bamako, cette décision ne signifiait pas un retrait total des forces françaises du Mali et du Sahel, mais une réorganisation du dispositif existant dont l’objectif principal est d’associer d’autres pays européens. Au demeurant, vous avez suivi que les opérations conjointes Barkhane et FAMa ont eu lieu le 2 juillet 2021.
« La France reste engagée militairement au Sahel, de manière significative : l’objectif demeure, ce qui change c’est l’approche ». dit-on à Paris L’opération Barkhane sera remplacée par « une alliance internationale » associant les pays du Sahel. La lutte contre les djihadistes sera conduite par des forces spéciales, structurées autour des unités de la force européenne « Takuba ».
Le nouveau dispositif s’appuiera sur la task force Takuba constituée de forces spéciales européennes qui rassemble plusieurs nationalités dont des Français, des Estoniens, des Tchèques, des Suédois et d’autres partenaires sont attendus. Nous devrions nous convaincre que nous ne gagnerons pas cette guerre en nous trompant d’ennemi et en faisant le jeu des ennemis de la paix.
L’Essor : à l’évidence, le G5 Sahel n’a pas permis aux pays membres d’endiguer les agissements des groupes terroristes. Faut-il une autre forme de coopération entre les pays du Sahel ?
Colonel Sadio Camara : Je voudrais relativiser cette affirmation en disant que le G5 Sahel est un instrument crédible au service de la sécurité et du développement de ses pays membres. C’est aussi, un dispositif idéal d’intégration et d’opérationnalisation dans la résolution des problèmes sécuritaires et de développement par les populations elles mêmes, qui sont les principales victimes du terrorisme, des trafics illicites, de la criminalité transnationale organisée, de l’extrémisme violent, toutes choses qui compromettent dangereusement les acquis de notre développement économique et social.
Koffi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies ne disait-il pas à propos du G5 Sahel : «il n’y a pas d’objectif plus élevé, d’engagement plus profond, ni d’ambition plus grande pour les États et pour la communauté internationale que la prévention et la gestion des conflits armés». La création du G5 Sahel s’inscrit dans cette dynamique. Elle est sous-tendue par une grande volonté politique et un engagement fort des chefs d’État des cinq pays membres (Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad) de circonscrire les préoccupations communes de sécurité, d’amorcer le développement dans l’espace régional, mais aussi, et surtout, de conforter la démocratie afin de s’approprier en toute responsabilité le leadership de leur destinée dans un esprit de coopération mutuellement bénéfique.
Le G5 Sahel est considéré aujourd’hui par les analystes géopolitiques et par tous ses Etats membres comme une approche efficace de coopération interétatique pour la paix, la sécurité et l’intégration économique.
Je partage cet avis et pense très sincèrement qu’il s’agit pour les Etats membres plus d’engagement, plus de mutualisations des moyens et des actions, une meilleure coordination des opérations plutôt que d’envisager une autre forme de coopération. Je voudrais ajouter que contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) est bien présente sur le terrain où elle continue d’intensifier la pression sur les groupes terroristes. Elle a mené, au cours de la période considérée, de nombreuses opérations avec des résultats très encourageants, au cours desquelles plusieurs dizaines de terroristes ont été « neutralisés », du matériel logistique et militaire saisi et des bases détruites, notamment dans la zone dite des trois frontières, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Les pays membres du G5 Sahel ont du reste reconnu les résultats significatifs enregistrés sur le terrain par la force conjointe et se disent encouragés par la dynamique positive imprimée par les sommets de Pau et de Nouakchott qui ont conduit à la création d’une « Coalition pour le Sahel » pour une meilleure coordination des opérations militaires mais aussi en termes de renforcement des capacités opérationnelles de la Force conjointe qui bénéficie de l’assistance logistique, opérationnelle et financière de plusieurs acteurs internationaux, notamment les Nations unies, l’Union européenne, l’Union africaine, les cinq pays du Sahel et, plus récemment, de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).
A cela, il faut ajouter que le renforcement de la composante police de la Force conjointe est aussi un élément important du suivi des opérations militaires mais également de la protection et de la promotion des droits de l’homme.
Le chemin parcouru est important, même si des difficultés majeures continuent d’exister dans notre sous région en matière de sécurité. Nos pays continuent de faire face à des menaces inédites, graves et complexes à travers des attaques récurrentes asymétriques des groupes extrémistes contre les forces armées nationales, les forces étrangères, le personnel de maintien de la paix de l’Onu, les travailleurs humanitaires, les populations civiles et les légitimités traditionnelles ainsi que la persistance des conflits intercommunautaires.
Nous savons tous que la guerre contre le terrorisme, le narcotrafic et la criminalité transfrontalière sera longue, difficile et demandera plus d’engagement, de solidarité entre les États membres et entre ceux-ci et tous les partenaires internationaux. Nous savons aussi que la seule réponse militaire n’est pas suffisante pour le retour de la paix et de la stabilité dans la sous région. Le G5 Sahel, étant un projet de développement structurant, pour ses pays membres, il est donc une réponse adéquate face à la situation. Il a besoin d’un soutien continu et accru de la communauté internationale en général et de ses partenaires stratégiques en particulier pour l’atteinte des objectifs.